Francophonie : « Le Québec ne peut plus être tout seul dans son coin » – Sonia Lebel
[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Sonia Lebel est ministre québécoise responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne.
LE CONTEXTE :
Dans sa Politique en matière de francophonie canadienne déposée dimanche, le Québec propose de faire un pont entre la société québécoise et les communautés francophones du Canada, notamment entre les entreprises et dans le domaine de la recherche.
L’ENJEU :
La politique venait à échéance cette année et le Québec doit aussi déposer prochainement son projet de loi 96 sur la langue française. Le tout intervient alors qu’Ottawa vient de déposer sa réforme sur les langues officielles et que le débat sur le déclin du français au Canada se fait de plus en plus persistant.
« Quel est votre souhait avec cette nouvelle politique?
Le but de la démarche est d’entamer et d’accélérer un processus de rapprochement avec la francophonie canadienne et maintenant de bien assumer notre rôle de nation francophone au sein du Canada. Le Québec a une position de leadership à jouer qui doit se faire avec les autres communautés francophones. Il faut une francophonie forte, unie et engagée et le Québec ne doit pas le faire tout seul dans notre propre coin.
Qu’est-ce que le Québec ne faisait pas auparavant qui va désormais faire une différence avec cette nouvelle politique?
Quand j’ai fait ma tournée de la francophonie en 2019, il y avait deux choses qui ressortaient. Premièrement, du point de vue du reste du Canada francophone, le Québec s’est un peu replié sur lui-même pour défendre son français et beaucoup de communautés se sont senties un peu ignorées dans leur réalité par la nation francophone, le Québec. Au Québec, on ne se pose pas la question de vivre en français, c’est naturel d’avoir des services en français. Alors pour moi c’est comment on peut utiliser notre statut pour encore plus soutenir les communautés. Ensuite, il faut mieux faire connaître la francophonie hors Québec aux Québécois pour créer ce lien d’appartenance.
Le Québec s’est souvent fait reprocher par le passé de se ranger derrière des gouvernements dans des causes impliquant les francophones. Comment votre province peut-elle concilier ce fait avec le rapprochement désiré?
Je l’ai beaucoup entendu quand j’ai fait ma tournée et c’est sur qu’il faut qu’on ait une meilleure sensibilité quand on est le gouvernement du Québec… La difficulté au Québec est de faire valoir notre autonomie provinciale. L’idée n’est pas d’enlever des droits à personne, mais le Québec demeurera dans un univers anglophone noyé autour de nous. Bien que je suis fervente partisane du fait que notre communauté anglophone doit faire valoir ses droits et avoir le plein contrôle de ses institutions, parfois on est pris avec ça.
Vous parlez de sensibilité. Est-ce que ça veut dire que le Québec pourrait éviter d’intervenir judiciairement à l’avenir?
On est majoritaire dans notre province et on a notre minorité, mais notre majorité est minoritaire au Canada. On a comme un inversement, car notre minorité est majoritaire au Canada alors on se doit d’intervenir comme si on était une majorité alors qu’on est une minorité. Il va falloir avoir une certaine sensibilité dans la façon dont ça va impacter les autres communautés, mais il y a aussi cette espèce de catch-22 à l’intérieur duquel on est pris comme gouvernement qui veut faire respecter ses compétences et c’est ça qui est difficile.
Parfois, les interventions du gouvernement fédéral sont pour les minorités alors qu’elles devraient se faire valoir pour la francophonie, ce qui ferait en sorte qu’on ne serait peut-être pas dans la même situation par rapport à nos obligations.
Pensez-vous que le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles, déposé par le gouvernement fédéral, puisse freiner le déclin du français au Québec et au Canada?
Il ne faut pas nier qu’il s’agit d’un pas en avant. Là où je vois un recul, c’est entre le projet de loi déposé par Mme Joly et celui de Mme Petitpas Taylor où il y avait cette reconnaissance du fait que la seule langue qui était en position de minorité était le français, et pas juste un petit peu, fortement minoritaire. Elle (la langue française) a besoin pour aspirer à une réelle égalité qu’on prenne acte qu’elle est minoritaire (…). C’était ça notre déception au Québec. Il y a aussi des aspects qui interviennent dans nos compétences. On avait salué le projet de loi qui reconnaissait cette asymétrie-là et c’est maintenant disparu. Alors il y a une déception. »