Garderies à 10 $ par jour : dans les coulisses de la discorde

Les frais de garderie appliqués en Ontario. Crédit image : Westend61 via Getty Images

TORONTO – L’entente proposée par le gouvernement fédéral aux provinces et territoires relative au projet universel des garderies à 10 $ par jour fait les choux gras de la presse ontarienne. Le point d’achoppement : une discorde autour de l’enveloppe budgétaire fédérale réservée à l’Ontario jugée insuffisante aux yeux du gouvernement Ford qui refuse toujours de signer l’entente.

C’est l’un des dossiers politiques du moment. Si le projet fédéral consistant à généraliser les garderies à 10 $ par jour sur l’échelle nationale d’ici cinq ans a déjà trouvé preneurs dans huit provinces et territoires, il ne passe toujours pas en Ontario qui abrite 40 % de la population du pays.

C’est justement cette proportion qui est mise en avant dans les récentes révélations qui ont fuité du cabinet du premier ministre, Doug Ford pour expliquer le refus de celui-ci d’apposer sa signature sur l’entente fédérale. Ainsi, proportionnellement à sa population, le gouvernement conservateur aurait demandé 40% sur les 30 milliards alloués par le gouvernement Trudeau pour l’ensemble du pays, ce qui fait 12 milliards de dollars rien que pour l’Ontario.

Stephen Lecce, ministre de l’Éducation, au côté du premier ministre Doug Ford. Source : compte Twitter Stephen Lecce

La source parle aussi d’une demande légitime de la part des conservateurs au regard des frais de garderies très élevés pratiqués actuellement dans la province, ce qui, logiquement, conduirait à une différence plus importante à compenser par rapport aux autres provinces pour atteindre les 10 $ par jour escomptés.

Or, à y regarder de plus près dans le pavé de 740 pages que le gouvernement fédéral avait déposé en avril dernier concernant son plan pancanadien des garderies, 27,2 milliards de dollars seront destinés à « amener le gouvernement fédéral à une part 50/50 des frais de garde d’enfants avec les gouvernements provinciaux et territoriaux ».

Le secret est maître-mot

Sollicité par ONFR+, le ministère de l’Éducation, en charge des négociations en coulisses, reprend mot pour mot ce qu’on a déjà pu lire il y a six mois dans la déclaration du ministère qui a suivi le dévoilement par le gouvernement fédéral de son plan.

« L’Ontario a besoin d’un soutien financier à long terme qui soit flexible pour répondre aux besoins uniques de chaque parent, et non d’une approche unique », indique sa porte-parole Caitlin Clark. « L’Ontario négociera un bon accord pour les parents. »

Pour entendre le ministre à ce sujet, c’est sur les bancs de Queen’s Park qu’il fallait se rendre. « Heureusement que ce ne sont pas les libéraux ou le NPD qui sont aux commandes dans cette province, sinon ils auraient accepté l’entente fédérale sans négocier […] Nous, on négocie », a lancé mercredi M. Lecce devant l’Assemblée législative à propos d’un accord très attendu par les parents.

La vraie raison d’ordre « idéologique »?

Face à ce manque de transparence, l’opposition de la province tire à boulets rouges.

Pour la députée néo-démocrate Bhuila Karpoche, qui a déposé récemment une pétition à Queen’s Park, et ce dans le but de forcer la main au gouvernement à accepter la proposition fédérale le plus rapidement possible, « les motifs du ministre changent tout le temps. L’Ontario n’a toujours pas signé d’entente, alors que la plupart des provinces en ont une. Les retards continuent de nuire aux familles, aux enfants et aux travailleurs et ralentissent la reprise économique de la province ».

Les députées Amanda Simard (PLO) de Glengarry-Prescott-Russell, et Bhuila Karpoche (NPD) de Parkdale-High Park. Gracieuseté

De son côté, la députée libérale Amanda Simard va plus loin et avance une raison idéologique pour expliquer la fin de non-recevoir du gouvernement Ford à ce projet.

« On sait tous que les conservateurs préfèrent que les femmes restent à la maison » – Amanda Simard

« Le gouvernement fait en sorte de trouver toutes les excuses possibles pour ne pas signer cette entente », accuse l’élue de Glengarry-Prescott-Russell. « Pour moi, c’est plus une question d’idéologie que pécuniaire. On sait tous que les conservateurs préfèrent que les femmes restent à la maison. »

Et d’ajouter : « Le gouvernement sait pertinemment que les frais de garderies en Ontario sont les plus élevés du pays et que cette situation dissuade les parents, surtout les femmes, de retourner sur le marché du travail. C’est ce que je trouve le plus dangereux dans cette affaire. »

Le plan des libéraux à plat

Pour ce qui est du visible, le rapport technique du Parti libéral de l’Ontario promet une réduction des frais de garderies de 80%. Cela se matérialiserait par des économies annuelles moyennes d’environ 10 000 $ par enfant, tout en maintenant les subventions existantes pour les familles à faible revenu.

D’après le document, la manœuvre aurait pour retombées la création de quelque « 130 000 emplois pour les parents ontariens, principalement des mères » et « 30 000 nouveaux emplois pour les éducateurs de la petite enfance et autre personnel des centres de garde d’enfants ».

D’ailleurs, le Parti libéral ontarien prévoit une nouvelle grille salariale allant de 23 $ à 40 $ de l’heure pour ces travailleurs de la petite enfance qui, toujours selon le document, gagneraient actuellement moins de 20 $ de l’heure pour la plupart d’entre eux. 

Par ailleurs, le programme promet également « d’améliorer, d’ici la fin de l’année prochaine, la durée du congé parental de 18 mois afin de s’assurer que les nouveaux parents aient la possibilité de rester à la maison plus longtemps avec leurs enfants sans que leurs prestations d’assurance-emploi soient réduites ».

Enfin, pour le symbole, les libéraux espèrent que d’ici la prochaine fête des Mères, Doug Ford aura acté cette entente, c’est-à-dire trois petites semaines avant les prochaines élections provinciales du 2 juin prochain.