Geneviève Latour, militante d’une province à l’autre
[LA RENCONTRE D’ONFR]
MONCTON – Pour les Franco-Ontariens, Geneviève Latour est un visage familier. Ancienne vice-présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), puis co-fondatrice du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), elle a longtemps symbolisé la fameuse « relève franco-ontarienne ». Une expression utilisée à tort et à travers pour décrire de nouveaux visages… jeunes. Depuis deux ans, la voilà maintenant à Moncton, et partie pour y rester. Rencontre avec celle qui vivra les élections provinciales de lundi aux premières loges.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
« Les élections au Nouveau-Brunswick sont dans quelques heures. Est-ce que vous avez milité dans cette campagne avec autant d’ardeur que vous le faisiez autrefois en Ontario?
J’ai surtout milité au sein de mon poste comme directrice du Centre d’agression sexuelle du Sud-Est du Nouveau-Brunswick (CASSE) et de directrice adjointe de Carrefour pour femmes qui est l’organisme-parapluie. Ce sont vraiment donc les enjeux pour les femmes que j’ai suivis et appuyés tout au long de la campagne. C’est un travail qui se fait dans les deux langues, avec des partenaires et des résidents acadiens, anglophones ou bilingues.
On sait que vous êtes une militante féministe, que vous aimez défendre les francophones en milieu minoritaire. Était-ce donc le travail de vos rêves que vous avez trouvé?
Je dirais oui. J’aime beaucoup mon emploi, car ça me permet de travailler directement avec les survivantes de violence, mais aussi d’aller défendre les droits dans les communautés. Un des grands défis, c’est le financement. Nous avons surveillé les mesures annoncées pendant la campagne pour la prévention et l’intervention contre la violence. Mais il y a aussi la question du logement, un des grands chevaux de bataille dans la région du Grand Moncton. À savoir : trouver du logement pour que les femmes puissent habiter là sans craintes. Travailler directement dans le milieu de la violence, ça a été pas mal mon dada depuis que je suis adolescente.
Comment est justement venue cette sensibilité aux violences faites aux femmes?
(Petite hésitation). J’avais porté ce dossier à titre de vice-présidente de la FESFO. On avait tenu en Ontario les Etats généraux sur le développement des services en français en matière de violence contre les femmes, en 2004. J’avais rencontré beaucoup d’actrices qui sont devenues des mentors en matière de leadership féminin. J’avais été impliquée lorsque j’avais 17 ans dans l’ouverture du Centre Novas –CALACS francophone de Prescott-Russell. On n’avait pas de services en français en milieu rural pour les victimes d’agression sexuelle. On a finalement réussi à aller chercher le financement, les ressources, et on a réussi à ouvrir le Centre Novas.
Pensez-vous qu’il y a plus de violence sexuelle qu’avant ou bien, que de nos jours, il y a plus une parole libérée des femmes?
Oui, la parole des survivantes est libérée, mais les gens reconnaissent un peu plus la violence sexuelle. Tout n’est pas parfait cependant. Quand je donne des exemples de violence sexuelle dans le cadre d’ateliers, les personnes ne savent pas toujours qu’il s’agit de violence sexuelle. Il y a du changement, c’est vrai, mais encore du chemin à faire sur le consentement.
Être francophone en milieu minoritaire, est-ce un défi en plus pour ces femmes victimes de violence?
Je dirais que oui. Car la violence vient chercher une intimité. Ce n’est pas la même chose que se faire voler son porte-feuille au restaurant. Si on veut porter plainte, avoir des conseils juridiques, c’est important de pouvoir le faire dans la langue de son choix. Si on n’a pas accès à ces services, ça peut-être une barrière tellement importante, et ça peut freiner les gens de vouloir dénoncer. Souvent, c’est dans la langue maternelle qu’on va vouloir être réconforté.
Parlons un peu de votre parcours. Pourquoi être venue vous installer au Nouveau-Brunswick en 2016?
J’ai voulu faire une maîtrise en travail social. En faisant un peu de recherche, je suis tombée sur l’Université de Moncton. J’ai donc déménagé pour la maîtrise, et deux ans plus tard, je suis encore ici, et je pense que je suis ici pour un pas mal long bout. C’est une communauté qui est accueillante, et j’aime le fait que Moncton soit une communauté à échelle humaine. J’ai vécu mon adolescence à St-Albert, dans l’Est ontarien, en milieu rural, je suis à l’aise dans les petites communautés. Ce n’est pas quelque chose que je retrouvais à Ottawa.
Moncton est donc le parfait milieu entre St-Albert et Ottawa?
(Rires). On pourrait dire cela, oui!
On voit que cette campagne au Nouveau-Brunswick est marquée par une remise en question du bilinguisme. Comment voyez-vous ça?
Au niveau du nombre de personnes élues en chambre, ce n’est pas le même nombre qu’en Ontario. Quelque chose que je suis de près, c’est le projet sur l’équité salariale dans le secteur privé. Au Nouveau-Brunswick, on parle de 11 $ l’heure de salaire minimum. Il faut qu’il y ait une loi qui touche les entreprises.
Sur la francophonie, je ne veux pas émettre mon opinion politique, mais c’est sûr que je regarde ce qu’il y a dans les programmes par rapport à la communauté acadienne. Ce n’est pas simplement les questions de langue qui touchent les Acadiens, mais on parle aussi d’une communauté qui se situe bien souvent en milieu rural, avec l’enjeu parfois de l’analphabétisme.
Est-ce qu’un jour vous vous lancerez en politique?
C’est quelque chose que je me fais souvent demander. Le système politique n’est pas alléchant pour les femmes, notamment les efforts pour la conciliation famille-travail. Au Nouveau Brunswick, les femmes élues doivent se rendre à Fredericton quatre fois par semaine. Par ailleurs, la façon dont les femmes se font traiter en politique par les médias, où l’on parle plus de comment elles sont habillées que de ce qu’elles ont à dire, montre qu’il faut des changements importants. Beaucoup de femmes ne font pas le pas en politique à cause de ces embûches-là.
En 2009, le RÉFO naissait grâce à votre volonté et celle de l’autre co-fondateur, Alain Dupuis, avec à la base très peu de moyens. Comment voyez-vous son évolution?
Quand on a commencé, on était une gang d’étudiants qui voulait faire bouger les choses. Aujourd’hui, le RÉFO a gagné une visibilité et une notoriété importantes. Quand on regarde les photos ou les témoignages, on voit que le RÉFO va chercher une diversité au niveau des minorités ethnoculturelles, des sexes, des régions. L’organisme est inclusif et c’est à tout son honneur. J’ai hâte de voir ce que fera le nouveau directeur général [François Hastir est entré en fonctions le 10 septembre dernier].
Vous aviez milité pour une université franco-ontarienne au temps où vous étiez étudiante à l’Université d’Ottawa. Mais en arrivant au Nouveau-Brunswick, vous avez eu la chance d’étudier dans un cadre uniquement francophone à l’Université de Moncton. Quelles sont donc les différences?
Les premiers mois où j’étais à l’Université Moncton, j’avais le réflexe de dire « thank you » quand on me tenait la porte, comme si j’avais associé la vie universitaire avec l’anglophonie. J’ai dû me défaire de ces habitudes. À l’Université d’Ottawa, dès qu’on parlait d’enjeux comme la réduction des frais de scolarité à la Fédération étudiante, ça se faisait en anglais. Ce n’est pas une question que je me pose ici avec la Fédération étudiante à Moncton. Les professeurs ne sont pas tous acadiens, mais comprennent ce qu’est l’Acadie. C’est quelque chose que je ne retrouvais pas à l’Université d’Ottawa où certains professeurs n’étaient pas sensibilisés à la politique ontarienne.
Quelque chose que les gens ignorent de vous, c’est que vous avez habité plusieurs mois en Espagne. Racontez-nous cela.
Je suis allée en Espagne en 2010 pour voyager et prendre un an sabbatique. J’avais un contrat pour enseigner le français et l’anglais dans les écoles à Madrid, mais j’en ai profité pour voyager en Espagne et un peu partout sur le continent européen. C’est bon de sortir d’où on est pour mieux revenir et comprendre. Ça donne une nouvelle perspective! Ça m’a permis d’ajouter l’espagnol dans mes bagages. Mon espagnol est encore très bon! Je dois dire que je suis aussi une militante écologiste. Avoir voyagé aux Pays-Bas où l’on peut utiliser son vélo, et voir des pistes cyclables avec de telles infrastructures, j’avais trouvé cela fascinant!
On vous connait comme une féministe, et une militante francophone, mais est-ce qu’il y a d’autres causes que l’on ignore de vous?
La réconciliation avec les peuples autochtones me tient aussi beaucoup à cœur. Ayant moi-même de l’héritage l’autochtone, c’est quelque chose que l’on se doit de faire. La plupart des communautés autochtones sont ouvertes quand on va les rencontrer.
Avec toutes ces étiquettes, peut-on vous qualifier donc de progressiste?
(Hésitations). Je dis souvent que je suis une personne radicale. Je vais à la racine pour trouver les problématiques et les solutions.
Le mot radical a tout de même une connotation négative…
Oui, mais les gens confondent le mot radical et extrémisme. Le radicalisme, ce n’est pas nécessairement soigner les symptômes, mais plus la cause.
Vous êtes une militante infatigable. Est-ce une adrénaline cette façon de revendiquer ou parfois il y a des frustrations, comme un poids?
Bonne question, car je fais actuellement actuellement un projet de recherche sur le militantisme chez les jeunes, et on s’aperçoit que le militantisme part beaucoup de l’indignation. Je reste parfois dans l’indignation et la frustration, mais je connais les outils pour changer cette indignation en changement, avec des solutions. »
LES DATES-CLÉS DE GENEVIÈVE LATOUR
1988 : Naissance à Ottawa
2004 : Vice-présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO)
2009 : Co-fondatrice du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO)
2010 : Départ pour l’Espagne. Séjour d’un an
2016 : Déménage à Moncton
2018 : Devient directrice générale du Centre d’agression sexuelle du Sud-Est du Nouveau Brunswick (CASSE) et directrice adjointe de Carrefour pour femmes
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.