Grève des enseignants : « C’est comme revivre le cauchemar sous Mike Harris »
Automne 1997. Les enseignants de l’Ontario se mobilisent contre les réformes du gouvernement progressiste-conservateur de Mike Harris. L’enjeu pour les syndicats? La Loi 160 votée à Queen’s Park qui offrirait au gouvernement la possibilité de décider de la taille des classes, du temps d’enseignement et de la préparation des cours. Quelque 22 ans plus tard, le conflit entre les enseignants et le gouvernement de Doug Ford rappelle inévitablement l’affrontement de 1997. Une comparaison pertinente?
L’ancienne vice-présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) à cette époque, Lise Routhier Bourdeau, soupire lorsqu’interrogée sur ce conflit.
« Quand je lis les nouvelles, c’est comme revivre le cauchemar sous Mike Harris [premier ministre ontarien de 1995 à 2002]. Ce sont des milliards de dollars qu’on veut retrancher du système d’éducation. Les décisions sont prises aujourd’hui sans connaître les fondements. On ne sait pas, par exemple, comment les cours en ligne souhaités par le gouvernement vont être générés, ni l’intention du gouvernement pour la maternelle et le jardin d’enfants. »
Le 27 octobre 1997, ils sont 126 000 enseignants des écoles publiques et catholiques de langue anglaise et de langue française à défier le gouvernement progressiste-conservateur. Après dix jours d’une grève illégale, ils sont contraints de rentrer au travail, sans être parvenus à faire fléchir Mike Harris.
22 ans plus tard, les sources du conflit sont différentes. Les conventions collectives régissant les relations de travail entre les syndicats et le ministère de l’Éducation sont échues depuis le 31 août.
Pour l’instant, seul le Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente notamment les concierges, les aides-soignants et employés de bureau, a conclu une entente de principe avec le gouvernement.
Pour les autres syndicats, l’AEFO en tête, les discussions achoppent sur l’augmentation d’élèves dans les salles de classe, la hausse des salaires ou encore, les cours en ligne. Conséquences des derniers jours : des grèves du zèle pour l’AEFO, par rotation pour la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (OSSTF/FEÉSO), et tournantes pour la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO).
Dévalorisation des enseignants après 1997, selon l’AEFO
« Dans les années de Mike Harris, on voyait une dévalorisation de la population enseignante, le moral était bas », analyse Mme Routhier Boudreau.
Un avis partagé par l’actuel président de l’AEFO, Rémi Sabourin.
« Je me souviens très bien. J’étais sur les lignes de piquetage dans la région de Mississauga en tant qu’enseignant en 7e et 8e année à l’école élémentaire. Pendant des années, je n’osais plus dire aux gens que j’étais enseignant! Il a fallu des années pour s’en remettre! »
Pour M. Sabourin, la comparaison entre la période de Mike Harris et celle de Doug Ford est valable.
« Ces attaques se ressemblent étrangement, car ce sont des coupures irréfléchies et sans consulter. Dans notre cas, nous n’avons jamais eu de rencontres avec les fonctionnaires du gouvernement. »
Depuis le début du conflit, le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, tente de désamorcer la crise en appelant les grévistes à la retenue.
« En raison du retrait de services, les élèves de l’Ontario n’obtiennent pas les soutiens précieux dont ils ont besoin pour réussir leur parcours éducatif. Nous continuons de demander aux syndicats d’enseignants de cesser les moyens de pression qu’ils utilisent, de mettre fin à ces grèves et de centrer leurs efforts sur la conclusion d’ententes qui veillent à ce que les élèves restent en classe, comme il se doit », déclarait-il, par voie de communiqué, jeudi, en réaction à la phase 2 de la grève du zèle annoncée par l’AEFO, la journée même.
Meilleure organisation des syndicats aujourd’hui
Présent sur les bancs de Queen’s Park sans interruption depuis 1990, le député néo-démocrate Gilles Bisson est un spectateur privilégié des conflits entre le gouvernement et les associations d’enseignants.
« Les gouvernements Ford et Harris ont une approche différente. Je pense que les coupures de Doug Ford, qui veut augmenter la taille des salles de classe et faire l’éducation par internet, sont beaucoup plus féroces. »
Dans la forme, de l’eau a coulé sous les ponts, estime le député de Timmins.
« Les enseignants sont beaucoup plus solidaires aujourd’hui que sous M. Harris. Ils ont été meilleurs à communiquer et meilleurs dans leur stratégie. Par exemple, une grève d’une journée, au lieu de sortir tous les travailleurs en même temps, est une bonne chose. Doug Ford, lui, pense qu’en se battant contre les enseignants, il est tough aux yeux de monsieur et madame tout le monde, mais ce n’est pas une bonne lecture de la situation. »
Violence évoquée dans les manifestations de 1997
En 1997, le francophone Paul Demers, lui, était de l’autre côté du rideau, travaillant pour le ministre délégué aux Affaires francophones, Noble Villeneuve. L’année suivante, il rejoindra le ministère de l’Éducation et de la Formation.
« C’était un temps où les manifestations n’étaient pas aussi bien organisées qu’aujourd’hui et où elles pouvaient être très violentes. Je me souviens des jets de briques, notamment à travers les fenêtres. C’était pas le fun pour un gars de 27 ans! »
Pour ce conservateur convaincu, les réponses données par le gouvernement à 22 ans de différence sont de la même nature : le besoin d’une responsabilité fiscale.
« Oui, en 1997, les coupures étaient justifiées car le gouvernement avait eu le mandat de mettre de l’ordre dans les finances publiques. Aujourd’hui, c’est encore différent, car les contribuables ne peuvent plus se permettre de continuer à payer pour des augmentations de salaires dans les services publics, compte tenu de la situation fiscale des provinces. »
Et de poursuivre : « Le fait de dire qu’on veut mettre fin à la grève et que les professeurs sont bien payés ne veut pas dire qu’on déteste les professeurs! On ne peut juste tout simplement pas se permettre de donner tout ce que les syndicats demandent! »
À savoir si les répercussions de 1997 se font sentir encore aujourd’hui, Lise Routhier Boudreau insiste.
« Dans les écoles, les besoins en personnel spécialisé sont toujours criants, et nous n’avons pas les ressources adéquates. Beaucoup de coupures sous Mike Harris allaient dans ce sens-là et nous n’avons pas réussi à faire du rattrapage. »
Une affirmation fausse pour M. Demers. « C’est le discours du syndicat bien sûr! Ce que je peux dire, c’est que j’ai deux enfants qui sont passés dans le système d’éducation, dont une qui y est encore, et nous avons un excellent système en Ontario! »
« S’ils sont sérieux, le gouvernement doit revenir sur la taille des classes et faire une décision », conclut M. Bisson
Article écrit avec la collaboration de Benjamin Vachet