Hélène Koscielniak, la littérature du cœur
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
KAPUSKASING – Autrice incontournable du Nord, Hélène Koscielniak accumule les prix et reconnaissances pour sa prolifique œuvre littéraire débutée après une carrière de 36 ans en éducation. Son septième roman, Mégane et Mathis, a reçu le Prix Alain-Thomas au 30e Salon du livre de Toronto, la semaine passée.
« Vous avez livré votre premier roman jeunesse avec Mégane et Mathis. Pourquoi ce changement de genre?
Il y a plusieurs choses. D’abord, je voulais un nouveau défi parce que ça faisait quand même sept romans pour adultes que j’écrivais. Et je voulais avoir quelque chose de différent dans le sens que, au niveau des dialogues, je devais choisir un vocabulaire propre aux adolescents. Chaque chapitre devait aussi être plus court, le déroulement de l’histoire plus rapide. L’autre chose, c’est que je choisis toujours un thème dont on parle beaucoup dans les nouvelles parce que je suis une mordue de ça.
L’anorexie en l’occurrence. Est-ce un sujet qui vous touche?
Ce n’est pas personnellement quelque chose que j’ai vécu, mais on en parlait beaucoup et c’était un sujet à exploiter pour les adolescents. Les garçons en souffrent aussi, mais dans les statistiques beaucoup de jeunes filles sont en prise avec cette terrible maladie. Je voulais vraiment en parler. Et j’avais rencontré une personne qui ne souffrait pas nécessairement d’une anorexie extrême, mais, quand même, qui avait connu de la vie avec ça et ça m’avait frappée. C’est là que j’ai commencé à faire des recherches pour mon livre Mégane et Mathis.
Que retenez-vous de votre longue carrière en éducation?
Dans mon temps, entre guillemets, on avait trois choix : être infirmière, secrétaire ou enseignante. C’est drôle à dire, mais j’ai choisi l’enseignement parce qu’il y avait moins d’années d’études et je suis tombée dans l’enseignement par mégarde ou par chance, devrais-je dire, parce que j’ai adoré enseigner. J’étais tellement heureuse dans ma profession. Si j’avais à recommencer, je ne choisirais pas autre chose que l’enseignement. J’aimais beaucoup les jeunes! J’ai toujours enseigné au niveau de septième et huitième année, donc tous les 13 et 14 ans. Honnêtement, parfois, je trouvais mes week-ends longs. Je sais qu’il y a des gens qui vont avoir de la misère à croire ça, mais c’est la vérité.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’écriture?
Alors ça vient de loin. Quand nous avons déménagé de Fauquier à Kapuskasing, j’avais huit ans et l’enseignante de quatrième année à ce moment-là nous avait dit : ‘’Cette année, les amis, vous allez être obligés de lire cinq gros livres’’. Sur le coup j’ai dit ‘’Mon Dieu, c’est un gros livre, je n’ai jamais vu ça’’. Et le premier que j’ai eu, j’ai tellement aimé l’écriture que depuis j’ai toujours un livre qui m’attend quelque part. Et ça m’a donné tellement de plaisir que je me suis dit qu’un jour, je vais écrire pour, moi aussi, donner ce plaisir à d’autres.
Les clivages générationnels semblent être un thème récurrent de votre œuvre comme dans votre roman Génération Sandwich. Y voyez-vous un enjeu central de notre époque?
Je crois qu’un écrivain, en tout cas ceux que je connais, pige, trouve ses idées et représente ses valeurs, ce qu’il a vécu comme personne. Rendue à mon âge, quand je décide d’exploiter un thème, c’est sûr que je le conçois à partir de mes yeux de personnage. Même si, dans mon cœur, je ne me trouve pas âgée, c’est quand même ce que je suis au niveau des émotions, des idées, des valeurs. Donc ça, ça transparaît dans mon écriture.
Votre livre Marraine a connu un grand succès et obtenu plusieurs récompenses, comment l’avez-vous vécu sachant que c’était votre tout premier livre?
Marraine a été jusqu’à présent – peut-être ça va toujours rester – le livre qui m’a fait connaître comme auteur. Ça a représenté une expérience extraordinaire. Je ne connaissais absolument rien du processus de publication de roman : ça a été tout un apprentissage. J’ai commencé à l’écrire parce que, moi-même, j’avais parrainé un enfant, donc je pouvais au moins aller chercher dans mon expérience les faits réels de ce que ça peut être le parrainage d’antan. Et quand j’ai commencé à écrire mon livre, encore là, j’ai fait beaucoup de recherche. Ça, c’est sûr que, même si mes histoires sont fictives, je veux toujours que le fond de mon histoire soit basé sur des faits réels. Alors je suis tombée sur un site web basé à Montréal.
C’était un homme qui s’appelle Pérard Joseph, qui a publié de façon assez régulière un bulletin de nouvelles au sujet des braceros, ces Haïtiens qui travaillent en République dominicaine dans des champs de canne à sucre. Dans le temps, ils travaillaient vraiment comme des esclaves, même si je suis sûre que ça n’a pas changé. Et cet homme-là, je l’appelais de temps en temps pour lui poser des questions pour savoir si c’était vraiment comme ça et comment ça fonctionnait. Il m’a demandé un jour pourquoi je lui posais toutes ces questions. Alors je lui ai dit que j’étais en train d’écrire un livre à ce sujet-là et que je lui enverrais une copie si j’étais publiée.
Et c’est bel et bien arrivé. Qu’en a-t-il pensé?
Je ne m’attendais même pas d’être publiée! La maison d’édition L’Interligne a accepté de publier mon livre, et je lui ai effectivement envoyé une copie et, à partir de là, ça a été incroyable. Il m’a invitée pour présenter mon livre, à Miami, Boston, Washington, New York et plein d’autres villes américaines où il y a une forte population haïtienne. Il voyait mon livre comme un outil pour sensibiliser les gens à la situation. J’ai vendu tellement de livres qu’on a été obligés de faire une deuxième édition. Quand j’en parle là, je me dis que ça ne peut pas être arrivé, que j’ai dû rêver. Après ça, il s’est passé tellement de choses…Vraiment, l’écriture a complètement changé ma vie.
Vous êtes une des rares auteures francophones à être restée dans le Nord. En quoi cela influence-t-il votre littérature?
Quand j’ai commencé à écrire, je me suis fait la promesse que, par mes romans, je ferai connaître notre région. Donc souvent dans mes livres, je vais parler de la forêt boréale, de hockey, de neige… parce que j’ai toujours vécu dans le Nord. J’adore demeurer ici. J’aime la nature, les sports et je voulais nous faire connaître, montrer à ceux qui lisent mes livres que la vie ici est intéressante. C’est plaisant, paisible.
Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise la vague actuelle des arts dans le Nord ontarien?
Il semble y avoir au Québec une grosse poussée pour valoriser le français, et nécessairement ça nous influence aussi. Puis je trouve qu’au Québec, la culture est pour eux tellement importante que ça commence à déteindre chez nous. À Sudbury, avec la nouvelle Place des Arts, avec des personnes comme Jean Marc Dalpé qui poussent la chose, avec le théâtre aussi, la culture de chez nous est bien vivante.
Quel est votre livre préféré parmi les vôtres?
Franchement, je les aime tous, mais pour des raisons différentes. C’est sûr que Marraine, mon premier, m’a lancée. Après, j’ai écrit la suite parce que les gens qui avaient lu Marraine me disaient chaque fois : ‘’Tu ne peux pas nous laisser comme ça, on veut avoir une suite’’. Alors là, j’ai écrit Filleul et, nécessairement, le filleul, je l’ai fait venir à Kapuskasing. À ce moment-là, on parlait beaucoup des autochtones. Puis lui avait dit qu’au Canada, la vie, c’était comme être au ciel. Tout était beau, tout était bien. Mais quand il devient ami avec un petit autochtone puis qu’il se rend dans une réserve, il trouve qu’on lui a peut-être menti. Le parallèle entre la vie des autochtones et celle des braceros en Haïti a beaucoup plu au public.
Quel est votre prochain projet littéraire?
J’ai décidé d’écrire, et commencé d’ailleurs, une collection de nouvelles, parce qu’il y a beaucoup de monde qui ont beaucoup aimé On n’sait jamais à quoi s’attendre. Parfois, les gens sont pressés, ils ont beaucoup de choses à faire et, au lieu de commencer un roman, avant de se coucher, ils préfèrent lire une nouvelle. Alors j’ai regardé autour de moi. J’ai essayé de voir les choses qui se passent dans la vie des gens.
Je peux déjà dire qu’une chose qui m’intéresse, c’est la question de la chirurgie bariatrique. Je connais beaucoup de gens qui sont passés à travers ça. La question de l’autisme aussi, on en parle beaucoup, surtout au niveau de l’aide financière du gouvernement. J’ai quand même rencontré beaucoup de mamans qui ont des petits enfants autistes, puis je voulais savoir ce qu’est la vie de tous les jours, ce qu’on vit avec un enfant autiste.
Un fait insolite sur Hélène Koscielniak?
Je suis mordue de propreté et je suis hyperactive! »
LES DATES-CLÉS DE HÉLÈNE KOSCIELNIAK :
1949 : Naissance à Fauquier.
1968 : Devient enseignante à l’école Jacques-Cartier de Kapuskasing.
2009 : Prix de littérature éclairée du Nord pour son premier roman Marraine qui paraît la même année.
2018 : Prix littéraire des enseignants de français de l’Association québécoise des professeurs de français et Prix Littérature éclairée du Nord pour son roman On n’sait jamais à quoi s’attendre.
2023 : Remporte le Prix Alain-Thomas pour son roman Mégane et Mathis.
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.