Et si on racontait l’histoire franco-ontarienne au cinéma?
Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.
[CHRONIQUE]
L’histoire du cinéma en Ontario français est assez rudimentaire. Raconter l’histoire franco-ontarienne au cinéma, encore moins. Puisque l’écriture nous permet de rêver et de ne pas être cantonnés dans des limites financières, matérielles ou autres, je vous propose dans cette chronique d’imaginer que nous avions tous les moyens de nos ambitions pour réaliser des longs-métrages sur l’histoire franco-ontarienne. Quels pans de notre histoire seraient-ils les plus intéressants à porter sur grand écran? Voici ma sélection.
À l’origine, le Règlement 17
D’emblée, si l’intention dans notre projet hypothétique est de rejoindre le plus grand nombre, il m’est d’avis qu’un long-métrage, basé sur des faits réels, s’imposerait plutôt qu’un documentaire. Ainsi, deux types de films se prêteraient le mieux à faire revivre par le cinéma des moments marquants de notre histoire : le film d’histoire ou encore le film biographique.
Il me paraîtrait évident qu’un film sur la lutte franco-ontarienne au Règlement 17 s’imposerait rapidement. L’époque du Règlement 17 s’inscrivait dans une période mouvementée politiquement, linguistiquement, culturellement, religieusement et militairement. « Les Franco-Ontariens sont nés au Règlement 17 » comme le disait souvent l’historien franco-ontarien Robert Choquette.
Les premiers héros typiquement franco-ontariens sont issus de cette lutte et se trouvent aujourd’hui immortalisés dans notre toponymie. Je pense ici à Napoléon-Antoine Belcourt, Samuel Genest et le père Charles Charlebois.
Ce film devrait aussi représenter les luttes partout où elles ont eu lieu, aux quatre coins de la province. Si la lutte a particulièrement été intense à Ottawa, elle n’en fut pas moins à Pembroke et dans la région de Windsor.
Évidemment, la célèbre bataille des épingles à chapeaux du 7 janvier 1916 à l’École Guigues d’Ottawa occuperait une place centrale dans le film, tout comme le courage des sœurs Béatrice et Diane Desloges.
Je suis aussi d’avis que le film devrait mettre en relief la bataille du Règlement 17 dans son contexte politique. Le gouvernement conservateur de James P. Whitney instaure en 1912 le règlement qui interdit l’enseignement en français dans les écoles de l’Ontario et cette politique sera suivie au-delà de Whitney qui décèdera en fonction deux ans plus tard. En fait, tous les successeurs au rang de premier ministre de l’Ontario continueront à appliquer le Règlement 17.
Formant un peuple à l’époque appelée Canadiens français, les Franco-Ontariens seront massivement appuyés par des Québécois dont les intellectuels Henri Bourassa et Lionel Groulx, entre autres, tout comme par certains politiciens. Le président du Sénat Philippe Landry démissionnera avec fracas de son poste de président de la Chambre haute pour se livrer corps et âme jusqu’à sa mort à la lutte franco-ontarienne. Le député conservateur québécois Paul-Émile Lamarche fera de même en claquant la porte de son parti. Des motions unanimes de l’Assemblée législative du Québec condamneront le Règlement 17. Fait peu connu, une motion sera même présentée pour étudier la possibilité de faire du Québec un pays…
Le combat franco-ontarien était perçu comme le dernier rempart d’une digue francophone qui résiste à la volonté assimilatrice et qui met en examen la jeune fédération canadienne.
D’autres luttes marquantes
À la fin du XXe siècle, le combat de SOS Montfort serait une bonne suite dans nos films franco-ontariens. Là encore, le contexte est intense, des héros surgissent et la lutte est celle de David contre Goliath. À la fin des années 1990, l’Ontario est aux prises avec un énorme déficit. L’objectif du gouvernement, qui délègue ses pouvoirs à une commission de restructuration, est d’économiser de l’argent. Tout y passe, y compris les hôpitaux, dont certains sont identifiés pour être fermés, sans égard des répercussions auprès des groupes minoritaires ou des obligations linguistiques gouvernementales. L’Hôpital Montfort sera du lot.
La réplique franco-ontarienne se fera aussitôt entendre et le mouvement de contestation sera porté par l’héroïne la plus charismatique de notre histoire, Gisèle Lalonde. La crise éclate moins de deux ans après le référendum du Québec de 1995 où le camp du OUI passe bien près de l’emporter. Malgré le soutien populaire, la voie politique ne fonctionne pas et les Franco-Ontariens porteront leur cause devant les tribunaux, où ils obtiendront gain de cause deux fois plutôt qu’une.
Un film aussi sur l’époque de la Nouvelle-France où Samuel de Champlain et Étienne Brûlé se côtoient pourrait aussi être intéressant. Une attention particulière sur la seigneurie du Fort Frontenac (aujourd’hui Kingston) et la région du Détroit devrait être aussi incluse dans le long-métrage ce qui permettrait de retracer toute l’histoire, de la fondation à la conquête de l’histoire de la Nouvelle-France en Ontario français.
Les crises scolaires des années 1970 seraient aussi intéressantes à filmer pour le cinéma. Là encore, c’est aux quatre coins de la province que des luttes ont eu lieu pour des écoles secondaires de langue française en Ontario. Sturgeon Falls, Cornwall, Windsor, Penetanguishene… des noms qui résonnent encore.
L’Ordre de Jacques-Cartier, cette société secrète fondée en Ontario ainsi que le Mouvement c’est le temps, cette campagne de désobéissance civile franco-ontarienne lancée par Jacqueline Pelletier où des francophones sont allés en prison pour réclamer le respect de leurs droits mérite assurément aussi leurs films.
Films biographiques
Dans le genre de film biographique, deux noms me viennent spontanément en tête, soit Gisèle Lalonde et Bernard Grandmaître. Ces deux personnes, nées à quelques jours d’intervalle en 1933 à Eastview (Vanier), ont eu des vies hors du commun. Et leurs parcours se sont souvent croisés. Avant même la bataille pour sauver l’Hôpital Montfort, Gisèle Lalonde avait fracassé les plafonds de verre comme aucune femme franco-ontarienne ne l’avait fait auparavant.
Bernard Grandmaître a mené sa carrière politique avec classe et dignité, de la mairie de Vanier au conseil des ministres provincial. L’adoption de la Loi sur les services en français était loin d’être gagnée d’avance et il a fallu beaucoup de diplomatie, de tact et de doigté pour l’obtenir.
Deux autres vies portées au grand écran pourraient aussi susciter de l’intérêt : Jos Montferrand et André Paiement.
Riche de plus de 400 ans d’histoire, l’Ontario français regorge d’épisodes marquants fertiles pour le 7e art. Silence, moteur, action!
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