Histoires de coming out en Ontario francophone
Philippe, Frédéric, Georgelie, Nathan, Michel, Renée-Anne et Stéphanie ont accepté de nous raconter leur histoire. Photos: Graiceusetés, sauf pour la photo de Nathan: Rachel Crustin/ONFR
L’expérience du coming out est à la fois collective et personnelle. Chaque personne le vit de façon unique, selon son parcours. Durant le Mois de la fierté, ONFR s’est entretenu avec des Franco-Ontariens qui ont accepté de nous raconter leur histoire.
Renée-Anne et Stéphanie : un premier amour qui dure
Renée-Anne et Stéphanie se sont rencontrées en 12e année, à Timmins.
Renée-Anne se rappelle : « Ça m’a pris plus de trois ans pour faire mon coming out à ma famille et mes amis. Pourquoi? La peur de ne pas se faire accepter, de ne pas être la bienvenue chez moi. »
Renée-Anne avait préparé son sac, convaincue que ses parents la rejetteraient. Elle leur a laissé une lettre, leur demandant de communiquer avec elle s’ils voulaient la chasser de la maison. Si elle ne recevait pas de nouvelles, c’est qu’elle pouvait rentrer normalement. Et c’est la deuxième option qui s’est avérée.
Le lendemain, « ma mère entre dans ma chambre et s’assoit sur le bord de mon lit. Elle dit : on fait quoi avec ça, qu’est-ce que tu attends de moi? Penses-tu que je vais porter un t-shirt pour dire que je suis fière de toi? Je suis restée bouche bée. »
De leur côté, les parents de Stéphanie se doutaient bien que leur fille entretenait une relation amoureuse.
« Ma mère a demandé à Renée-Anne directement si elle était en amour avec moi. Et Renée-Anne a répondu oui. »
Son père a déclaré : « Je l’ai toujours su, j’attendais juste que tu sois prête à nous le dire. »
24 ans plus tard, Renée-Anne et Stéphanie sont mamans de deux garçons, âgés de 14 et 12 ans.
Ils ont dû faire face à des railleries homophobes par le passé. Leurs mères se sont impliquées à l’école, apportant des livres éducatifs et communiquant souvent avec l’établissement, par exemple pour le Mois de la fierté ou la fête des Pères.
Elles constatent tout de même l’évolution de la société. Une génération plus tard, Renée-Anne raconte que sa nièce a également fait son coming out à Timmins. « Ce qu’elle a vécu était tellement plus beau à voir que ce que nous, on a vécu. (…) Ma mère a mis son t-shirt, finalement. J’ai une photo d’elle et de ma nièce avec des T-shirts de la fierté de Nippissing Ouest! »
Philippe et Frédéric : mêmes parents, deux expériences
Philippe vit à Toronto et Frédéric, à Montréal. Ils sont jumeaux. Ils sont aussi homosexuels, un fait qu’ils ont avoué à un mois d’intervalle, lorsqu’ils avaient 17 ans.
Si la nouvelle est bien passée auprès de leurs amis et de leur sœur, l’histoire fut toute autre avec leurs parents.
Frédéric avoue avoir été « un peu surpris de la réaction. Pourquoi ils pleurent? Pourquoi ils sont fâchés? Moi, ça n’a rien changé, dans ma vie, d’être gai. »
Leur père mit 10 ans à accepter que ses fils soient homosexuels. Parti en appartement, Frédéric était plus détaché que Philippe, qui devait subir les insultes lancées régulièrement par son « pire ennemi. »
Son père filtrait et surveillait ses appels. « Il venait s’asseoir au bout de mon lit et il m’écoutait parler. »
Durant ces années, Philippe a forgé son caractère « pour lui montrer que j’allais être le meilleur. »
Un mois après le coming out de son frère, Frédéric s’est décidé à faire de même. « Je n’étais pas certain, car je me disais que si un deuxième jumeau s’affirmait aussi, ça risquait de faire des problèmes. »
Son père l’a envoyé voir un psychologue, qu’il a abandonné après deux séances. « Même le psychologue était gai, ça paraissait », rigole-t-il.
C’est 10 ans plus tard que le père a confirmé qu’il acceptait désormais leur orientation sexuelle. « On s’est pris dans nos bras, raconte Philippe. Ce n’était pas un moment super émotif, c’était plutôt un : bon, enfin! Et j’ai senti que c’était du passé. »
Les jumeaux croient que le refus venait d’un manque d’éducation et, ironiquement, de la crainte de les voir affronter l’adversité.
L’expérience à la fois commune et différente a solidifié la relation fraternelle. Philippe affirme : « C’est la beauté d’être jumeaux. On a pu l’affronter ensemble. »
Nathan : un processus en trois temps
Nathan est une personne non binaire transmasculine. Il vit à Ottawa. Son coming out s’est fait en trois phases : polyamour, bisexualité et transidentité.
Il l’avoue d’emblée, le polyamour est entré dans sa vie de façon malsaine. « Mon ex avait découvert le concept et l’a employé comme excuse pour me tromper. »
Sa famille s’est donc un peu inquiétée pour Nathan. Mais il s’est mis à s’informer sur le sujet, à aller dans des rencontres de la communauté, et a découvert un monde beaucoup plus éthique que ce qu’il vivait dans sa relation.
« Ça m’a aussi apporté plus de connexions avec des gens de la diversité sexuelle et de la diversité de genre, parce qu’il y a un grand chevauchement entre la communauté polyamoureuse et la communauté queer. »
Pour lui, le polyamour ne fait pas partie de son identité queer, mais c’est un mode de vie qui l’a aidé à se trouver.
« Je pense juste que le polyamour donne plus de liberté pour qu’on puisse explorer les gens de la façon dont ils nous arrivent dans la vie, explique-t-il. Ça m’a donné beaucoup d’outils pour discuter de ce qu’on veut. »
Plus tard, Nathan était prêt à avouer à sa famille sa bisexualité, une nouvelle très bien accueillie. À cette époque, son ex-conjoint l’annonçait régulièrement à leurs amis sans son consentement, comme si c’était « la nouvelle de la semaine ».
Heureusement, Nathan a rencontré sa conjointe actuelle, Erin, une femme trans qui a pu l’accompagner sainement dans le polyamour et la découverte de son identité de genre.
Il était nerveux d’annoncer sa transmasculinité à sa famille, entre autres parce que son frère a tendance à faire des blagues non politiquement correctes.
« (Ma famille) me posait des questions, tous en même temps. Et ce que j’ai trouvé touchant, c’est que c’est mon plus jeune frère qui a dit : Wô minute, avant qu’on pose des questions, tu es quand même de la famille et on t’aime. Ça a été très rassurant. »
Les blagues, encore sexistes, l’incluaient désormais du côté des garçons, ce qui lui faisait plaisir.
Mais sa nouvelle position sociale ne le réconcilie pas avec le patriarcat. « Maintenant que je le vis du côté plus masculin, je réalise à quel point ce ne sont pas que les femmes qui sont touchées. »
Michel : Réappropriation culturelle
Michel est un homme bispirituel d’ascendance francophone et ojibwée. Ces deux cultures étaient violemment rabrouées à la maison par sa mère, une survivante des pensionnats autochtones. « Elle nous battait pour que notre anglais soit parfait. »
La découverte du concept de traumatisme intergénérationnel a grandement aidé Michel à se comprendre, tout comme celui de la bispritualité.
La bispiritualité est une identité spirituelle et de genre indissociable de la culture et est donc réservée aux personnes autochtones.
Le terme a été introduit par l’aînée crie Myra Laramee, et adopté comme un concept généralement compris chez les communautés autochtones, en 1990.
Traditionnellement, plusieurs nations valorisaient les personnes qui avaient à la fois un esprit féminin et un esprit masculin. Par contre, Michel croit que la colonisation a occulté cette acceptation.
« Le trauma intergénérationnel est une raison pour laquelle je ne l’ai pas dit à mes parents. (…) Mes cousins leur ont dit que j’étais gai quand j’avais 29 ans, pour me faire du mal. Ça a coupé ma relation avec mes parents. Mais j’avais besoin de me protéger. »
Michel croit que son père l’a rejeté pour protéger sa mère, mais qu’il aurait fini par l’accepter. Malheureusement, il est décédé quelques mois plus tard.
Ce n’est qu’après le décès de sa mère que Michel s’est senti libre de se réapproprier la culture ojibwée. « Accepter les deux côtés de ma personnalité était un cadeau. »
Georgelie : Fuir pour être soi
Georgelie est arrivée au Canada en tant que demandeuse d’asile, en 2019. « Je fuyais les persécutions liées à mon orientation sexuelle. »
Si certains organismes offrent des services à la communauté LGBTQ+ en Haïti, il est difficile de s’associer à eux sans craindre pour sa sécurité. Les discussions se font plutôt « entre amis, dans des espaces assez réservés qui n’étaient pas ouverts au public ».
Georgelie n’a pas fait de coming out. « Ma famille n’était pas ouverte à la diversité sexuelle et de genre. Par conséquent, ce n’est pas quelque chose que j’ai avoué, sauf avec les filles avec qui je suis sortie. Mes proches l’ont simplement constaté, vu mon expression de genre, car je suis plutôt masculine. »
Aux questions, elle répondait : « Pensez tout ce que vous voulez. Je n’ai pas d’explications à donner. »
Georgelie a vécu une longue relation avec une femme qu’elle a toujours présentée comme sa sœur. Sa partenaire actuelle n’avait pas envie de vivre avec un mensonge semblable.
« C’est ma partenaire qui m’a mise dehors (du placard). Elle a commencé à m’identifier dans ses photos sur les réseaux sociaux » pour se réapproprier le narratif alors qu’une personne les menaçait de les dénoncer.
Le geste a engendré « un moment très compliqué pour nous deux », indique Georgelie. Elle attend maintenant la venue de sa conjointe, réfugiée en République dominicaine, et de leurs fils respectifs, restés en Haïti. Elle espère les voir au Canada très prochainement.
Les deux femmes comptent informer leurs fils de la nature de leur relation une fois la famille réunie. « Ce n’est pas, comme les gens pensent, de les exposer ou de faire la promotion de l’homosexualité. C’est pour leur faire voir que chacun a le droit d’être qui il veut. »
Georgelie travaille chez FrancoQueer. « Le milieu dans lequel j’évolue est vraiment un milieu de la communauté. Alors, je n’ai pas vraiment vécu d’homophobie (au Canada), mais plus de la discrimination et du racisme. Ce n’est pas facile, toute cette intersectionnalité en tant que francophone, femme et personne noire. »
Des similitudes
Malgré la diversité des histoires, il est facile de trouver des points communs. Les gens qui ont témoigné ont entre autres mentionné que le coming out n’est pas un événement isolé et précis.
« C’est un processus continu, et c’est fatigant, c’est drainant. On dit toujours LE coming out, comme s’il y avait juste une fois et qu’après, c’est fait, tout est beau. Mais en fait, c’est plein de petits coming out continus », indique Nathan.
Les enfants de parents LGBTQ+ subissent encore de la stigmatisation, même en Ontario. Pour enrayer ce phénomène, l’éducation est primordiale. « On doit inculquer à nos enfants l’amour et pas la haine. Et ne pas cesser de leur dire que les droits de la communauté LGBTQ+, ce sont les droits humains », explique Georgelie.
Si nos enfants se confient à nous, il faut absolument être à l’écoute. Renée-Anne conseille : « Prend un pas de recul et réfléchit avant de parler. Parce que les premiers mots qui vont sortir de ta bouche, c’est de ça dont ton jeune va se rappeler. »
L’accès à des modèles queers positifs est aussi primordial. Pour Nathan, il manque encore beaucoup de représentations crédibles des personnes transmasculines. « J’ai toujours ressenti que j’étais différent, mais je n’avais pas les outils pour me questionner », avoue-t-il.
Renée-Anne se rappelle la première fois où elle et Stéphanie sont allées au défilé de la fierté de Toronto. « On n’avait jamais vu des couples (homosexuels) se tenir la main. (…) Même si tu t’identifies comme eux, tu te sens étranger en même temps, parce que tu ne vis pas ta vie comme ce que l’on voit le jour de la fierté à Toronto. »
Heureusement, la société évolue, constate Michel. « Je n’ai pas besoin d’éduquer les gens aussi souvent qu’avant. »
Philippe souhaite rassurer les jeunes qui pensent faire un coming out. « Ne te sens pas inférieur. Tu es une merveilleuse personne. Ce n’est pas parce que tu es gai que ta vie est finie, au contraire. Je trouve la vie des gais plus intéressante que celle des hétéros, en passant! C’est une culture de fun. Happy Pride! »