Rym Ben Berrah raconte notamment une anecdote dans un autobus, alors enceinte et privée de place réservée. Photo : Canva

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.

Les inégalités sociales, on en entend tout le temps parler : on s’y connaît, on en connaît, on sait en nommer et on sait en reconnaître. Parfois l’ombre du préjudice prend le dessus et, surtout en situation de privilège, certaines nuances nous échappent. Cette idée s’est accrue en moi, notamment, lors de ma dernière grossesse.

À la fin du troisième trimestre, fin du huitième mois, mon ventre paraissait à peine et je n’ai jamais joui de cette aura magnifique de femme enceinte avec un gros ventre rond pour le prouver. Parfois je rentrais dans le cabinet du docteur et je me faisais toiser de haut en bas… Elle fait quoi, elle, ici en fin de grossesse à risque?

Une fois, dans un autobus, j’étais vraiment mal en point, avec douleurs au ventre et au dos. Dès que ça swinguait, je me retrouvais à devoir forcer avec mes jambes pour ne pas perdre mon équilibre. J’étais au bout de ma vie. Un jeune homme s’est levé, libérant sa place à l’avant – et qui devait être pour femmes enceintes et personnes âgées – a une demoiselle qui venait d’entrer. Ah bon?! Moi, je tiens un enfant entre mes entrailles mais who cares? En espérant que sa prouesse de prince charmant finisse en rendez-vous galant!

Je savais que la place me revenait de droit, l’affichage sur l’autobus le stipulant. La ville d’Ottawa le sait et le sens commun des choses le soutient aussi. Pourtant, puisque je n’avais pas un gros ventre qui justifiait haut et fort mon « état », cette personne, même n’étant pas mal intentionnée, était entrain de me faire du tort car elle n’avait pas le canal pour connaître mes besoins. Vous me suivez jusque là dans le parallèle avec les inégalités invisibles? Tant mieux. 

Inégalités linguistiques 

Je ne suis aucunement experte en termes d’équité linguistique mais j’aimerais partager avec vous une pensée qui me taraude. Lorsqu’on réussit à quasiment arriver à nos cibles d’immigration francophone dans la province mais qu’on loupe nos cibles d’emploi, ne devrions-nous pas avoir des représentants et politiciens plus alertes de ce qui se passe démographiquement sur le terrain du recrutement? Je parle du fait, par exemple, d’exiger des immigrants francophones de parler un anglais irréprochable lorsqu’ils appliquent pour des postes francophones en Ontario.

Je sais évidemment que cela va de soi, qu’on doit être bilingue pour prospérer en Ontario et qu’il est quasiment impossible de vivre de façon unilingue (et ce n’est pas le but), mais pour quelqu’un qui a atterri ici, qui a payé pour une scolarité francophone pour finalement pouvoir exercer et de se voir refuser des emplois à cause de son niveau d’anglais, ne voyez-vous pas la différence dans l’expérience de recrutement et de niveau de vie? En sachant qu’on a « promis » à cette personne qu’ « en Ontario, tu peux carrément vivre en français »…

Dans ma courte vie sur cette terre qui commence à être quand même conséquente (bonjour les premiers cheveux blancs), j’ai vu des étudiants, des femmes, des familles être brisés par le milieu éducatif francophone et bilingue, en commençant par ma propre histoire.

J’avais pris un cours de mathématiques en français à ma première année postsecondaire en Ontario et le livre, que dire, la brique indigeste qui nous servait de manuel de maths avancées, était en anglais. Moi, Rym, 18 ans, dont à l’époque le seul anglais que je connaissais provenait de séries doublées et à qui on avait promis une scolarité en français à telle université, me retrouvais à faire des équations avec des explications en anglais. Je payais des milliers de dollars en plus pour ma scolarité.

Lorsque j’ai naïvement parlé de ça au prof, il m’a toisée en me disant : « Ce n’est pas mon problème ». C’était l’une des premières flèches d’injustice sociale que je prenais en plein cœur. Par la suite, j’ai compris que des centaines et milliers de personnes vivaient des situations d’injustice linguistique et d’intégration similaires. Vous croyez que j’aurais pris le cours, payé pour, le laisser ruiner ma côte universitaire à l’époque, si je savais au préalable que le bouquin serait en anglais? Logiquement, non.

Ça peut sembler anodin pour certains. Pour d’autres, c’est tout leur monde qui tremble : la déception des parents et leur sacrifice migratoire, les notes pas assez hautes pour avoir accès à des bourses, l’échec qui n’est même pas le fruit de quelque chose dont on détient le pouvoir.

Une autre mention qui me tient à cœur : les immigrants qui, après des études d’auxiliaire infirmier ou aide-soignant dans un collège francophone échouent à leur stage de fin d’études, après le sacrifice de temps et le sacrifice financier, car au milieu de stage on leur exigeait un anglais irréprochable.

À l’époque (je ne sais plus si c’est le cas encore aujourd’hui), l’école se dédouanait du processus d’échec et j’avais déjà reçu des témoignages d’étudiants à qui ont écrivait des mentions telles que « T’es en Ontario, t’es supposé savoir tous les médicaments en anglais ». Supposé, peut-être que oui, mais pas au prix d’un échec humain et financier de deux ans de temps post-immigration. Eh puis ces récits-là n’arrivent pas qu’aux autres et aux nouveaux arrivants. 

Inégalités financières 

Je cite les sujets scrutés sous ma propre loupe de vie, comme à l’habitude. Au-delà des problématiques primaires liées à l’immigration et à l’intégration à court et moyen terme, j’aimerais porter votre attention sur un sujet qui me préoccupe depuis longtemps : l’éducation financière chez les nouveaux arrivants et leur progéniture.

Comparons un enfant dont les parents sont nés ou ont grandi au Canada versus un enfant d’immigrant dont les parents sont arrivés en milieu de vie professionnelle pour s’installer au Canada et offrir une vie plus prometteuse à leur enfant. Auront-ils forcément les mêmes privilèges et accès, même si les deux débutent leur scolarité au même niveau et dans le même système éducatif nord-américain? 

Si on prend un enfant d’un couple qui a fréquenté des écoles d’ici et qui a bénéficié d’accès aux informations éducatives financières dès un jeune âge (placements , RÉER, cotisations, REEE, fonds de pension, taux d’intérêt, gestion de crédit, etc.) peut-on dire que son bagage est égal à un enfant dont les parents sont dans l’intégration du marché d’emploi et la survie économique après un déracinement total du pays d’origine?

Les enfants d’immigrants de première génération devraient avoir accès à une éducation financière qui viendrait palier le manque d’enracinement financier de leurs parents, afin que tous les étudiants soient sur le même piédestal et aient la même égalité des chances en termes de finances car, cela va sans dire, la santé financière impacte énormément l’expérience académique et par la suite l’implantation dans la société active franco-ontarienne et franco-canadienne. 

Inégalités médicales et psychologiques 

Nous ne sommes pas tous et toutes nés avec les mêmes capacités, les mêmes réponses cognitives, ni le même tempérament. Ce qui semble être logique pour l’un, ne l’est pas pour l’autre. Ce qui semble être sain pour l’un, ne l’est pas pour l’autre.

Physiologiquement nous n’avons pas les mêmes capacités, alors pourquoi tout est construit selon un seul modèle de conduite pour les gens actifs dans le milieu du travail? Bien sûr, mis à part les limitations d’accessibilité, il devrait y avoir d’autres rangées d’accommodation, car nous ne sommes pas tous de la même veine, non? 

Je sais que parfois on en parle de manière détendue dans les 5 à 7 et autres rencontres plus spontanées en dehors du bureau. Certains disent « Je suis pas du matin », d’autres « Je suis plus productif la nuit ». D’autres « Après le repas midi, je n’arrive pas à fonctionner. C’est pour ça j’aurais préféré que mon heure de lunch soit le plus tard ».

Est-ce que c’est cela qui nous manquerait pour créer des environnements de travail des plus productifs et où les salaires sont au maximum de leurs profits et les gens sont au maximum de leurs reconnaissances car tout est mis en place pour tirer le meilleur parti de chaque situation? N’est-ce pas ce qu’on a commencé à comprendre dans un monde post-COVID-19 et dans lequel la nouvelle génération nous bat en terme d’efficacité, d’intégration et de productivité?

Je crois qu’il devrait y avoir une réflexion générale dans les milieux francophones en essor sur comment on pourrait garder le cap en amenant tous les agents impliqués à être à leur meilleur, que ça parte du département des ressources humaines et que ça se termine dans les activités annuelles planifiées entre employés. Trois volets qui portent à réflexion pour, je le souhaite, ce qui nous préoccupera entre autres pour la nouvelle année à venir. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.