Jacqueline Madogo, des terrains de soccer d’Ottawa aux pistes d’athlétisme du monde entier 

Jacqueline Madogo
Jacqueline Madogo est la seule potentielle Franco-Ontarienne au sein de l’équipe nationale canadienne. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

OTTAWA – Se destinant d’abord au soccer dans ses jeunes années à Franco-Ouest à Ottawa, Jacqueline Madogo nous raconte comment elle a basculé vers l’athlétisme à son arrivée à l’Université de Guelph. Seule potentielle Franco-Ontarienne au sein de l’équipe nationale canadienne, elle revient sur sa saison en cours et fait part de ses objectifs pour cet été. 

« Vous venez de passer dix jours en Europe pour la première fois en individuel, comment s’est passé ce séjour?

J’ai été en Allemagne dans une petite ville à deux heures de Francfort qui s’appelle Rehlingen. J’ai couru le 100 mètres. Je dirais que la course a été correcte. Il y avait plein de filles qui couraient vraiment vite, par exemple celle qui a gagné a couru en 11 »14. J’ai couru en 11 »52. Ce n’était pas vraiment ce qu’on voulait mais c’était une belle expérience malgré tout.

Quand j’ai fini en Allemagne, je suis allée en Grèce pour une semaine. J’ai couru au meeting international de Dromia dans la municipalité de Vari et aussi le 100m là-bas. Encore une fois, ça n’a pas été le résultat qu’on voulait mais je dirais que l’Europe, en somme, c’était vraiment un choc positif pour moi. 

Qu’est-ce qui vous a marquée en Europe? 

Ça m’a vraiment permis de voir l’athlétisme d’un autre point de vue. Les gens sont vraiment beaucoup plus engagés en Europe par rapport à l’Amérique du Nord. Dans chaque stade où on a couru avec mes coéquipiers, c’était plein. Les gens de la ville ou de la municipalité, ils supportent vraiment le sport. J’ai rencontré plein de gens intéressés. Ils m’ont posé des questions sur ce qu’on faisait. On a eu la chance de rencontrer des internationaux comme l’équipe de France ou même d’autres Canadiens qui étaient en Europe. 

Jacqueline Madogo, une habituée des podiums. Gracieuseté

Comment expliquez-vous ces chronos au-dessous de vos espérances? 

C’est vrai que c’était décevant. Je dirais que c’était une combinaison de plusieurs choses. Déjà, j’étais toute seule en Allemagne. Pour la première fois, mon entraîneur n’était pas présent. Ça a aussi été un choc culturel là-bas car peu de monde parle anglais. J’ai dû me débrouiller. Mais, je pense que ce sont des choses que je dois apprendre si c’est ce que je veux faire dans le futur. Les professionnelles voyagent toutes seules pendant un mois, moi je l’ai fait juste pendant 10 jours.

Il y avait aussi un haut niveau de stress parce que c’était assez compétitif et c’était un nouvel environnement. Il n’y avait pas beaucoup de familiarités. L’athlétisme c’est vraiment beaucoup de mental. Si ton mental n’est pas en ligne droite, c’est vraiment difficile de faire une bonne performance. Mais je ne garde que du positif de cette expérience. Même si les chronos n’étaient pas ce que je voulais, cela m’a donné une nouvelle perspective de ce que je voudrais faire avec l’athlétisme. 

Pouvez-vous en dire plus sur cette perspective différente de l’athlétisme?

Ici au Canada, on court toujours avec les mêmes personnes. Donc, on sait où on en est par rapport aux autres. Si je cours contre des concurrents pendant toute la saison, je sais où je me situe par rapport à eux. En Europe, je ne connais personne et personne ne me connaît. Je courais juste pour courir (sans repère) et c’était une belle expérience, un bon apprentissage. Cela m’a permis d’avoir une plus grande maturité par rapport au sport, voir un peu le monde professionnel.

Je ne me considère pas encore comme faisant partie du monde professionnel parce que je suis encore à l’école et que je fais encore de l’athlétisme dans le circuit collégial. Cela m’a vraiment donné un petit goût de comment ça se passe pour ceux dont c’est le métier à temps plein. Avant, je ne pensais pas que c’était pour moi. Mais après avoir eu cette petite expérience, juste avec deux compétitions, ça m’a ouvert les yeux pour voir ce que je pourrais faire dans le futur avec l’athlétisme. 

Que s’est-il passé finalement avec l’étape en France qui était prévue à la base à votre programme? 

L’équipe du Canada est allée courir dans le relais de la Ligue de diamant à Paris mais je ne faisais pas partie des filles qui sont parties. Après avoir quitté la Grèce, je suis rentrée à la maison, je ne suis donc pas allée en France. 

Jacqueline Madogo avec ses parents après une victoire. Gracieuseté

Vous n’avez pas non plus participé à des 200m en Europe, pourquoi ce choix? 

On avait vraiment décidé avec Jason (Kerr, son entraîneur) de mettre l’emphase sur le 100m lors de ce voyage en Europe tout simplement parce que c’est mon épreuve principale et que c’est celle-ci pour laquelle j’aimerais me qualifier. Ici, au Canada, je cours toujours 100 et 200m, mais en Europe c’est plus difficile d’avoir la chance de faire deux épreuves. On s’est donc vraiment concentré sur le 100m. 

Cette expérience en Europe lançait vraiment votre saison extérieure qui pourrait se conclure avec les championnats du monde qui auront lieu fin août à Budapest. Est-ce votre objectif principal?  

Le plus gros objectif cette année est de parvenir à être de l’équipe qui fera les championnats du monde. Mais j’essaie de ne pas me mettre la pression pour absolument faire l’équipe. Je prends une course à la fois, je suis vraiment une personne qui vit dans le moment. Je ne pense pas trop au futur. C’est un bel objectif à avoir pour la fin de la saison. Si ça arrive, ce sera excellent, mais si ce n’est pas le cas ce ne sera pas la fin du monde. On réessaiera l’année prochaine.

Revenons sur votre première partie de saison en salle : quels sont les moments marquants que vous retenez? 

Pour moi, le moment clé de ma saison, c’est quand nous avons participé aux championnats nationaux à Saskatoon. Ce qu’il faut expliquer c’est que pour gagner le championnat et remporter la bannière, il faut faire des scores, c’est une compétition collective. Et nous, l’équipe de filles (de l’Université de Guelph), nous avons eu le record de points. Ça c’est vraiment quelque chose qui m’a marquée. Cela fait quatre ans que je suis dans l’équipe et, chaque année, nous étions proches du record, comme 10 à 15 points, mais nous n’arrivions pas à le battre. Cette année, on l’a enfin eu. C’est un moment que je n’oublierai jamais!

Jacqueline, au centre, dans ses jeunes années à Ottawa. Gracieuseté

Et d’un point de vue plus individuel, quels sont vos moments clés? 

L’autre moment que je retiens, ce sont les championnats provinciaux. J’ai battu le record de notre école. C’était un moment spécial pour moi car j’avais ça en tête depuis un moment. Il y a aussi ma médaille d’or U-Sport parce qu’il y avait beaucoup d’attentes et on se demandait si je pouvais gagner deux fois après celle de l’année dernière. 

Avez-vous eu des déceptions, des compétitions sur lesquelles vous pensez que vous auriez pu faire mieux? 

En tant qu’athlète, on est toujours très critique. A chaque fois, je veux courir plus vite même quand je réalise un record personnel. Je veux toujours m’améliorer et aller plus vite. Je ne pense pas trop en revanche à ce qui aurait pu arriver dans le passé. Je vis dans le moment présent, même si, parfois, je me dis que j’ai fait un record personnel et que j’aurais pu faire ceci ou cela pour aller plus vite. Un record personnel reste un record personnel. Si je m’améliore, c’est fantastique. 

En étant la seule athlète franco-ontarienne au sein de votre équipe de Guelph, le français est-il toujours présent dans votre quotidien? 

En étant à l’Université de Guelph, les gens qui m’entourent sont anglophones dans le monde de l’athlétisme. Mais, mes parents viennent du Congo et le français est une des langues nationales du pays. Donc, j’ai grandi dans une maison totalement francophone. J’ai été à l’école élémentaire totalement en français et au secondaire totalement en français en grandissant à Ottawa.

Le français est vraiment ma première langue. Je n’ai commencé à apprendre l’anglais que lors de ma cinquième année de primaire. J’ai été un peu lente à l’apprendre mais mes parents ont bien fait les choses en me gardant dans un environnement francophone. Maintenant, je suis entourée d’anglophones mais je suis totalement bilingue. 

Vous l’avez dit, vous avez grandi à Ottawa. Que représente cette ville pour vous aujourd’hui? 

J’ai adoré mon enfance et mon adolescence à Ottawa. J’aime bien retourner à la maison. Je vis loin mais chaque fois que je rentre je m’y suis bien. Toutes mes meilleures amies et ma famille sont à Ottawa. C’est la ville où je me vois établir ma propre famille. Je veux être proche de mes parents et de mes amis. C’est vraiment difficile pour moi d’être loin mais je sais qu’à chaque fois que j’y retourne j’ai plein d’amour qui m’attend. Ottawa, ça fait partie de moi. 

Jacqueline demeure passionnée de soccer, son premier sport de prédilection. Gracieuseté

Restons à Ottawa, quels sont vos souvenirs du collège Franco-Ouest? 

Oh mon dieu! Le collège Franco-Ouest, c’est une de mes plus belles expériences. J’ai eu la chance d’aller au secondaire avec mon grand frère et ma grande sœur. On a eu la chance d’être ensemble, c’était une belle expérience. J’ai eu la chance de jouer dans les équipes sportives et on avait de bonnes équipes. J’ai fait partie des équipes d’athlétismes, de volley, de soccer et de touch football. Je faisais vraiment partie à part entière de la communauté sportive. 

Comment était-ce d’un point de vue académique? 

J’ai aussi eu la chance d’avoir une bonne éducation. J’ai suivi le programme du BI (bac international). Cela m’a permis de voir ce qui m’attendait à l’université : la charge de travail, les examens. C’était vraiment un bon apprentissage. Mes parents étaient aussi vraiment impliqués dans l’école. Donc, il y avait pas mal de gens qui connaissaient mes parents. Donc j’étais comme « ah ok tu connais mes parents » (rires). Mes parents avaient de bonnes relations avec tout le monde, la direction, les membres du personnel… Les Madogo ont vraiment aimé leurs parcours à Franco-Ouest. Mon petit frère y est maintenant et il a la chance d’avoir des enseignants que nous avions.

En arrivant à Guelph vous jouiez au soccer à assez haut niveau. Comment s’est produit le déclic par rapport à l’athlétisme qui vous a fait changer définitivement de sport? 

À mon arrivée, je jouais en effet au soccer à haut niveau donc je me voyais continuer pendant quatre à cinq années. J’étais venue en visite ici à Guelph pour l’équipe de soccer. Je n’avais aucune idée qu’ils avaient une bonne équipe d’athlétisme. Puis, à mon arrivée ici, mon entraîneur de soccer m’a demandé si je faisais d’autres sports. Je lui ai dit que j’avais fait de l’athlétisme. Pour moi c’était juste de l’entraînement pour maintenir ma condition physique, c’était juste pour le plaisir. Il m’a demandé si j’étais déjà allée à OFFSA. Je lui ai dit que oui et que j’avais eu une médaille de bronze. Mais je ne savais pas à l’époque qu’aller à OFFSA signifiait qu’on était quelqu’un de très bon. 

En apprenant cela, il m’a mise en contact avec le coach d’athlétisme Jason. Ma première année, je n’ai pas pu participer avec l’équipe d’athlétisme car j’étais blessée pour toute la saison. J’ai demandé à rejoindre la deuxième année pour m’entraîner avec eux et travailler mon cardio. Au début, il ne voulait pas trop car ils avaient déjà de bonnes sprinteuses. Comme j’avais eu de la réussite avec l’équipe de soccer, il avait peur que je ne sois pas sérieuse. Il ne voulait pas que je vienne. Il m’a finalement laissée venir et je pense que dès la première compétition, il m’a directement accueillie dans l’équipe! » 

LES DATES-CLÉS DE JACQUELINE MADOGO :

2000 : Naissance le 14 avril à Ottawa.

2017 : Médaille de bronze aux championnats provinciaux de lycée OFSAA.

2018 : Premiers pas à l’Université de Guelph.

2022 : Record personnel sur 100m en mai à London, Ontario.

2022 : Record personnel sur 200m en juin à Toronto.

2022 : Participation aux championnats du monde de juillet avec le relais 4x100m canadien.

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.