Jacques Babin est le gagnant du Mérite Horace-Viau pour son implication dans le milieu franco-ontarien de Sudbury. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR]

SUDBURY – Juriste, avocat, conférencier, musicien, sexologue, chroniqueur : Jacques Babin est l’exemple même de la versatilité. Originaire de Kapuskasing, mais Sudburois d’adoption, ce discret infatigable a siégé au sein de plusieurs comités de la ville, et vient tout juste d’être annoncé le gagnant du Mérite Horace-Viau remis par les Clubs Richelieu du Grand Sudbury.

« Vous venez de recevoir le Prix Mérite Horace-Viau, était-ce une surprise pour vous? 

Oui, j’étais surpris quand je regarde les gens qui ont le mérite par le passé surtout que je travaille toujours en arrière-plan. Souvent les gens réalisent après coup que je suis impliqué dans tel ou tel projet parce que je suis une personne introvertie. Ce qu’on m’a dit c’est qu’on a vu toute l’étendue de tout ce que j’ai accompli dans la région de Sudbury et que c’était impressionnant. Mais oui, définitivement, j’étais agréablement surpris. 

Vous êtes originaire de Kapuskasing mais habitez depuis 1988 à Sudbury : qu’est-ce qui vous a amené dans la capitale du Nickel?

À la base, c’était pour enseigner au niveau postsecondaire, pour enseigner des cours de droit. À ce moment-là je pratiquais le droit à Hearst et Kapuskasing donc on m’a proposé une offre à Sudbury et j’ai accepté. 

Que retenez-vous de vos longues études universitaires qui ont touché à plusieurs domaines? 

Beaucoup de chance et de fierté. Le droit m’avait toujours intéressé, une chose dont je suis très fier c’est que j’ai pu faire toutes mes études en français. J’ai dû aller au Nouveau-Brunswick, à l’Université de Moncton, pour étudier le droit en français, car c’était la seule université où on pouvait le faire et la seule au monde pour le Common law en français. Je trouvais ça dommage qu’on ne puisse pas étudier en français avant et même à l’Université d’Ottawa c’était uniquement en anglais jusqu’à un certain moment.

En 2022, Jacques Babin s’est vu remettre un prix de reconnaissance par le Club Richelieu de la Vallée dont il est le président. Crédit image : Le Voyageur.

On parle de vous comme d’un pionnier dans le milieu légal franco-ontarien, étant parmi les premiers avocats à exiger des documents légaux en français en Ontario? 

Oui, il faut dire que quand on sort de l’université après avoir étudié le droit en français, on nous encourage à pratiquer en français. On était la première génération d’avocats à avoir étudié complètement en français, donc nous on prenait notre place. Dans le Nord justement, il y avait des anglophones qui étaient ouverts à ça. Ils travaillaient pour le gouvernement et voulaient qu’on puisse offrir des documents dans les deux langues, car les clients étaient parfois francophones. Aujourd’hui, l’Ontario n’est pas une province bilingue, mais je peux vous assurer que tous les documents légaux sont traduits dans les deux langues. Donc on a poussé c’est sûr, mais on a eu de l’aide.

Que pensez-vous de la pression exercée par des avocats pour l’adoption de la Constitution canadienne en français?

Je suis d’accord avec eux, je reste un constitutionnaliste convaincu. Néanmoins, ce que j’aime au niveau fédéral, c’est qu’on dit qu’on ne doit pas regarder la version anglaise et se servir du côté anglais et l’interpréter à la française, mais il faut se servir des mots exacts qui se trouvent dans la version française d’une Loi ou d’une Constitution. Et c’est arrivé dans le passé qu’on utilise la version française, car elle était plus avantageuse pour les francophones.

Vous portez plusieurs chapeaux : juriste, notaire et avocat, procureur de la Couronne fédérale et provinciale, traducteur de documents juridiques : est-ce difficile de choisir? 

Oui, mais souvent dans la société on pense qu’on devrait être spécialiste dans un seul domaine. Personnellement je reste convaincu que quand on a plusieurs intérêts, pourquoi ne pas les combiner et étudier dans plusieurs domaines. J’ai une maîtrise en histoire et quand j’ai eu la chance d’étudier au niveau doctoral surtout dans le domaine des infractions criminelles à nature sexuelle et faire de la recherche dans la matière, j’ai sauté dessus. Je n’aurai pas cru que ça m’amènerait à avoir une chronique sur la sexualité à Radio-Canada depuis cinq ans, mais c’est le cas.

Jacques Babin aux côtés de Stéphane Paquette et la députée France Gélinas exhortent en 2018 le gouvernement de Doug Ford à ramener l’indépendance du Commisariat aux services en français et l’Université de l’Ontario français. Source : Compte Facebook de France Gélinas

Oui, car vous êtes aussi sexologue et thérapeute? 

Oui, d’ailleurs j’étais le premier sexologue avec doctorat à Sudbury et l’un des premiers à offrir des consultations à la fois en anglais et en français. J’ai eu pendant plusieurs années un bureau et j’ai dû arrêter, non pas parce que je n’avais pas assez de demandes, mais plutôt le contraire. On me consulte toujours aujourd’hui, les médecins et autres professionnels par rapport à des cas de patients.

Quels sont les cas les plus fréquents pour lesquels on vous consulte? 

C’est surtout dans le domaine sexuel. J’en ai parlé à ma dernière chronique justement, sur le fait qu’on enseigne pas assez la sexualité. Durant les quatre ans où on nous a enseigné à l’école de médecine, on avait juste quatre heures par semaine ce qui est absolument incroyable pour des médecins. Je ne pense pas que ça ait changé aujourd’hui et c’est pour ça qu’on vient souvent me voir.

Vous avez l’avantage de voir à la fois le côté légal/juridique mais aussi l’angle de la sexualité, ça aide?

Et psychologique aussi, alors oui c’est sûr que c’est pour ça aussi que j’aime faire la chronique. J’aime éduquer les gens au sujet des nouvelles recherches scientifiques, les partager avec les auditeurs et auditrices.

eN 2018, Jacques Babin, alors trésorier à l’ACFO du Grand Sudbury, remet un prix de reconnaissance à Sophie Bouffard, ancienne rectrice de l’Université de Sudbury. Crédit image : Le Voyageur

En ce moment, le débat fait rage au sujet des questions d’identités sexuelles et de genre, c’est important pour vous de les informer à ce propos aussi? 

Premièrement, j’adore le fait que l’on puisse en discuter. Par contre, ce qui me fait un peu peur, c’est qu’il semble y avoir un recul. Il y avait une ouverture envers les gens qui ne sont pas hétérosexuels depuis les années 80, mais depuis quelques années, il semble y avoir un recul. Je ne suis pas le seul à le penser, tous les sexologues sont du même avis. Aujourd’hui, on sent une certaine tendance dans la société de vouloir persécuter les gens qui sont différents et c’est vraiment alarmant. Forcément, ça amène ces personnes-là à rechercher de la thérapie pour les accompagner, car ce n’est vraiment pas facile pour elles. On observe ça de très près et il va y avoir de la recherche qui va paraître à ce sujet.

On entend souvent dire que la différence est encore plus difficile à accepter dans le Nord, où les communautés sont moins nombreuses et isolées, l’avez-vous constaté?

Absolument. On a des ressources, mais pas assez. Encore là, je ne parle pas que de celles de la communauté ou des agences sociales par exemple, mais des ressources de type médicales et autres. Et si les gens ne sont pas formés ou ne savent pas référer à d’autres professionnels alors évidemment il y a des lacunes. C’est pour ça que les jeunes se sauvent, si je peux dire ça comme ça, pour aller vers les grands centres comme Ottawa ou Toronto parce qu’il y a de plus grandes communautés pour eux et ils s’y sentent plus à l’aise. Un peu comme dans les années 1950-1960-1970 pour les homosexuels, par exemple dans ma ville natale, ils s’en allaient à Toronto.

Jacques Babin a été acteur et chanteur pendant plusieurs années dans la pièce Kanata 1534. Gracieuseté

Vous avez été impliqué au comité de chantier de la Place des Arts, êtes-vous content du résultat aujourd’hui? 

J’en suis très fier, à chaque fois que j’y mets les pieds, c’est incroyable le travail qui y a été fait. C’est un vrai bijou pour le centre-ville.

Vous avez aussi passé seize ans au conseil d’administration du Théâtre du Nouvel-Ontario, avez-vous un intérêt pour les arts? 

Oui, je suis musicien et j’ai cofondé un groupe de acapella, Acapazilda. Un groupe avec des hommes, et on va donner des concerts dans des endroits où se trouvent des personnes vulnérables comme des centres de cancérologie, des maisons de personnes âgées etc.

Jacques Babin était membre de la chorale des Troubadours. Gracieuseté

Vous auriez pu faire carrière dans le football aussi… 

J’étais un bon joueur de football au niveau secondaire, j’avais été recruté mais malheureusement une blessure a mis fin à ma carrière. J’ai pu me concentrer sur mes études au moins!

Un autre talent caché?

Je fais partie de la Société humaniste de l’Ontario depuis plusieurs années et je peux marier des personnes dans la province de l’Ontario. Il s’agit de mariage civil, donc un mariage non religieux. Je peux marier en français, en anglais et même dans les deux langues comme c’est souvent le cas ici à Sudbury. J’entraîne d’ailleurs des célébrants dans le cadre de mon implication. J’ai fait des mariages partout, dans les parcs, sur le bord de l’eau, la plupart des gens aiment se marier dehors. Du moment qu’un couple obtient une licence de mariage de l’hôtel de ville, je peux les marier.

Jacques Babin a agi comme célébrant pour le mariage de son fils. Gracieuseté

Aujourd’hui, vous êtes à la retraite, qu’est-ce qui vous occupe le plus?

Je fais du bénévolat, j’aide à travailler au bingo, et même si je ne siège plus à aucun conseil d’administration, on continue de solliciter mes conseils alors quelque part je suis encore impliqué. J’écris aussi des articles à la Voix du Nord et au Voyageur sur la sexualité de temps en temps alors ça me garde occupé. »


LES DATES-CLÉS DE JACQUES BABIN :

  • 1956 : Naissance à Kapuskasing
  • 1985 : Diplômé en droit de l’Université de Moncton (Nouveau-Brunswick)
  • 1988 : S’installe à Sudbury
  • 2000 : Commence à pratiquer en tant que sexologue
  • 2023 : Annoncé comme le Mérite Horace-Viau des Clubs Richelieu du Grand Sudbury

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.