Jean-François Boulanger à la barre du virage « historique » du Centre Jules-Léger

Jean-François Boulanger, directeur de l’éducation du Consortium Centre Jules-Léger. Crédit image: Étienne Ranger, Le Droit

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

OTTAWA Après trois ans d’attente, la gouvernance du Centre Jules-Léger est officiellement transférée aux mains du Consortium Centre Jules-Léger. Un virage important pour cette institution franco-ontarienne, fondée en 1979, qui sera désormais gérée « par et pour les francophones ». À la tête de cette nouvelle aventure, Jean-François Boulanger, directeur de l’Éducation, qu’ONFR+ a rencontré peu de temps avant le grand jour.

« Pour commencer, et c’est la question que l’on a posée à tous nos invités de la Rencontre ONFR+ depuis mi-mars, comment se passe votre confinement?

Comme pour tout le monde, c’est arrivé comme un choc. Mais pour nous qui accueillons une population fragile, des élèves qui ont des troubles d’apprentissage, qui sont malentendants ou atteints de cécité, c’est encore plus difficile. On a mis en place des mesures pour les aider, on a continué le travail à distance avec les orthophonistes, les travailleurs sociaux, on a créé des groupes pour trouver des façons de briser l’isolement et de garder les élèves motivés et maintenir leur apprentissage, mais c’est un défi.

À titre personnel, j’ai continué à venir physiquement au Centre, même si comme beaucoup de parents, tout était plus compliqué puisque j’ai de jeunes enfants. Ce n’était pas évident, mais il fallait continuer à travailler sur le transfert et s’assurer du bien-être et de la santé mentale des élèves et de l’équipe.

Aujourd’hui marque la fin d’un long chapitre avec le transfert de la gouvernance du Centre Jules-Léger. Qu’est-ce que cela va changer concrètement?

Ça va être géré par et pour les francophones, ce qui veut dire qu’on va vraiment pouvoir prendre des décisions qui répondent à nos besoins. On va travailler en symbiose avec tous les 12 conseils scolaires francophones et tous les partenaires provinciaux, car nous avons une portée qui va au-delà d’Ottawa. Et avec ce changement, on pourra décider de nos priorités.

Quelles sont ces priorités?

On sait qu’il y a des besoins pour les enfants en difficulté franco-ontariens. Notre rôle sera d’assurer un leadership à travers la province pour bâtir une capacité là où le besoin se fait sentir, pour permettre d’agir dans toutes les écoles, par l’accompagnement des gens qui y travaillent. On n’a pas la prétention de détenir la vérité, mais on peut aider.

Vous-mêmes êtes en poste depuis 2018. Que s’est-il passé entre la décision du gouvernement en 2017 et aujourd’hui?

Depuis mon arrivée comme directeur des services consultatifs, dans un premier temps, j’ai travaillé avec nos partenaires, comme le CHEO (Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario), la Société canadienne de l’ouïe et d’autres, afin d’établir des relations, ainsi qu’avec les conseils scolaires. Il y a eu beaucoup de reports jusqu’au transfert de gouvernance, mais je pense que c’est un mal pour un bien qui nous a permis de nous préparer de la meilleure façon.

« Je n’aurais jamais pensé assister à la création d’un 13e conseil scolaire francophone »

Pour en arriver à cette décision, il y a eu un rapport d’enquête, publié par l’ancien commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, qui, en juillet 2015, recommandait que le Centre Jules-Léger soit géré par et pour les francophones. En quoi cela va changer les choses sur le terrain?

On va continuer à suivre le curriculum de l’Ontario et les belles choses que nous avons déjà accomplies jusque-là, ces dernières 40 années. Mais on va aussi pouvoir développer davantage de partenariats. J’espère aussi que les élèves vont sentir une différence, qu’ils vont avoir confiance en l’avenir.

Ce transfert permet-il de garantir la pérennité du Centre qu’on disait menacé?

 C’est ce qu’on espère et ce à quoi on travaille. Raison pour laquelle il est important de consulter nos partenaires pour bien comprendre les besoins et y répondre. Je suis confiant.

Le Centre Jules-Léger d’Ottawa. Archives ONFR+

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le Centre Jules-Léger, expliquez-nous son rôle?

Le Centre Jules-Léger est une institution exceptionnelle, qui n’existe nulle part ailleurs en français à l’extérieur du Québec. Au départ, le Centre servait à faire de la recherche et à former le personnel éducatif en lien avec les troubles d’apprentissage. Depuis, nous accueillons des enfants francophones sourds, aveugles, sourd-aveugles ou ayant un trouble d’apprentissage. C’est une population vulnérable avec des défis. Notre mandat, c’est de contribuer à leur succès. C’est toujours beau de voir d’anciens élèves venir et dire merci.

Combien d’élèves fréquentent le centre?

Nous avons 70 élèves sur place. Mais il est important de souligner que si nous sommes physiquement à Ottawa, nous avons aussi des élèves de partout à travers la province. Aujourd’hui, nous en comptons 500 de Thunder Bay à Welland, en passant par Geraldton et l’Est ontarien. On dessert les conseils scolaires qui nous font part de leurs besoins en accompagnant leur personnel, fournissant du matériel ou en envoyant un consultant sur place.

Le Centre Jules-Léger a connu une chute de sa fréquentation chez sa clientèle malentendante les dix dernières années. Comment comptez-vous inverser cette tendance?

C’est un problème que nous avons déjà commencé à résoudre. Alors qu’on a eu des cohortes de seulement huit élèves par le passé, nous aurons 21 élèves pour 2020-2021. On sait que la demande est là, mais parfois, elle n’est pas adressée. Ça me surprend toujours quand des gens du milieu de l’éducation ne connaissent par le Centre Jules-Léger. Ça va donc faire partie de nos objectifs d’être plus visibles.

Gracieuseté : journal Le Droit

On a aussi évoqué le manque de ressources financières. En aurez-vous assez pour mener à bien votre mission?

En termes de ressources humaines, nous avons des gens très qualifiés. Pour ce qui est des ressources financières, nous travaillons avec le ministère [de l’Éducation] pour l’approbation d’un budget qui devrait nous permettre de répondre aux besoins.

Nous sommes dans un temps très particulier avec la COVID-19. Savez-vous comment va se dérouler la rentrée pour vos élèves?

Nous sommes dans une situation unique, car nos classes ne dépassent pas 15 élèves. Nous allons donc pouvoir rouvrir à temps plein et accueillir de nouveau nos élèves pour la rentrée, prévue le 27 août.

« L’apprentissage à distance, malgré nos efforts, ce n’est pas facile pour nos élèves »

C’est une très bonne nouvelle pour eux. Car notre enseignement est beaucoup basé sur le un à un, le contact, le fait de bâtir leur confiance et leur estime de soi… Et c’est difficile à créer à distance. On a senti un certain découragement, parfois, chez nos élèves.

À titre personnel, vous êtes le premier directeur de l’Éducation du nouveau Consortium Centre Jules-Léger, qu’est-ce ce que cela représente pour vous?

C’est une grande fierté et je sens que j’ai beaucoup de gens derrière moi pour m’appuyer. C’est vraiment quelque chose d’historique ce qu’on vit aujourd’hui. On crée un nouveau conseil scolaire!

J’ai toujours été impliqué dans le milieu de l’éducation et dans la francophonie, notamment à la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO). Et pour moi, c’est important de faire une différence.

Quand j’étais directeur à l’école Sainte-Anne, dans la Basse-ville d’Ottawa, on parlait de fermer l’école. Aujourd’hui, elle fonctionne très bien. Je veux faire profiter le Centre Jules-Léger de mes expériences.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette mission?

Quand j’ai vu l’affichage du poste, j’ai tout de suite vu que c’était un beau défi. J’ai beaucoup bougé dans ma carrière et développé un grand réseau. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis entré dans le milieu de l’éducation, car on peut faire beaucoup de choses et explorer. Le Centre Jules-Léger, c’est un énorme défi, mais il y a un côté historique auquel je veux contribuer.

Crédit image : Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario

Connaissiez-vous déjà le Centre avant d’entrer en poste?

Mon rôle de directeur des services consultatifs m’a permis de mieux comprendre ce qui se passe dans le centre, de parler avec nos partenaires, de me sensibiliser. Mais ce n’est pas un univers complètement inconnu pour moi, puisque dans les différentes écoles où j’ai été directeur, nous avions des classes distinctes avec des élèves de différents profils. J’ai donc appris à cerner leurs besoins ainsi que ceux de leurs parents.

À titre personnel, comment est-ce que ça se passe pour vous depuis votre arrivée?

Je découvre beaucoup de choses et j’ai même commencé des cours de langue des signes québécoise (LSQ). C’est très intéressant et ça me permet de travailler avec les élèves, d’établir des communications plus ouvertes. Je ne suis pas encore totalement fluide, mais je trouve que c’est une langue très belle, car elle utilise le corps et les expressions faciales. Je me débrouille, mais quand ça devient plus technique, c’est plus difficile!

Que souhaitez-vous accomplir à la tête du Centre Jules-Léger?

Je veux redorer le blason de cette institution, assurer sa pérennité et la faire connaître comme un centre d’excellence partout dans la province. Je veux que le travail exceptionnel que nous faisons ici soit reconnu. » 


LES DATES-CLÉS DE JEAN-FRANÇOIS BOULANGER :

1976 : Naissance à Hearst

2000 : Débute sa carrière d’enseignant à Niagara Falls

2004 : Agent d’éducation à l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE)

2005 : Conseiller pédagogique à la mise en œuvre de la politique d’aménagement linguistique pour le projet Pédagogie culturelle

2018 : Nomination au poste de directeur des services consultatifs du Centre Jules-Léger

2020 : Devient officiellement le premier directeur de l’Éducation du Consortium Centre Jules-Léger

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.