La citoyenneté canadienne n’a plus la cote
Les résultats du recensement 2021 n’en finissent pas d’apporter leur lot de nouveautés. La dernière en date concerne le pourcentage de résidents permanents qui deviennent citoyens canadiens, un pourcentage en chute libre depuis les 20 dernières années. Cette situation a poussé l’Institut pour la citoyenneté canadienne à tirer la sonnette d’alarme. Décryptage.
Si le Canada a atteint sa cible en accueillant un nombre record de nouveaux arrivants en 2022 avec 431 645 nouveaux résidents permanents, il n’en est rien pour ce que l’on pourrait voir comme l’étape finale, à savoir la naturalisation.
En effet, Statistique Canada indique qu’en 2021, seulement 45,7 % des résidents permanents présents sur le sol canadien depuis moins de dix ans ont franchi le pas pour devenir Canadiens, ce qui représente une baisse de 60 % par rapport à 2016 et 75,1 % en comparaison à 2001.
Pas si alarmant selon le ministère de tutelle
Toutefois, si ces chiffres peuvent paraître alarmants à plus d’un titre, Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada (IRCC) n’est pas de cet avis.
« Ces chiffres concernent les immigrants adultes qui ont été admis il y a cinq à neuf ans, ce qui, d’après les données du recensement de 2021, donne un taux de citoyenneté de 45,7 %. Les taux de naturalisation globaux au Canada figurent parmi les plus élevés au monde. De plus, en 2022, le Canada a accueilli plus de 374 000 nouveaux citoyens, soit une augmentation de près de 50 % par rapport aux 251 000 accueillis en 2019, ce qui est un record », argue Nancy Caron, porte-parole et conseillère en relations médias au sein d’IRCC.
Chiffre contre chiffre, le ministère avance que 83 % du nombre total des résidents permanents admissibles obtiennent la citoyenneté canadienne.
« La citoyenneté canadienne est en train de devenir moins populaire, moins désirable » – Daniel Bernhard
À cela, Daniel Bernhard, chef de la direction de l’Institut pour la citoyenneté canadienne (ICC) répond : « C’est vrai que ces résultats ciblent une période de moins de dix ans et que plus on prend un intervalle chronologique important et plus ce chiffre augmente. »
« C’est vrai aussi », continue-t-il, « que, globalement, le Canada reste un pays accueillant, mais ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est qu’il s’agit là d’un changement dans les données qui nous indiquent que la citoyenneté canadienne est en train de devenir moins populaire, moins désirable. Une réalité à laquelle il faut faire face pour la corriger et non se mettre sur la défensive ».
Et d’ajouter : « Quant au record évoqué, c’est normal, puisque pendant la pandémie il y a eu beaucoup de retard de traitement de dossiers de citoyenneté, et là ils sont entrain de liquider ces dossiers, ce qui explique probablement cette hausse en 2022. Comme nous, le ministère a accès à ces chiffres, mais je crois que la citoyenneté est devenue moins importante dans sa liste des priorités. En somme, leur priorité première est le nombre de personnes qui arrivent au Canada et non combien d’entre eux deviennent citoyens canadiens. »
Des facteurs qui ne dépendent pas du Canada
De son côté, la professeure Luisa Veronis, titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa, invoque des causes externes qui ne dépendent pas de la volonté gouvernementale.
« Au-delà du fait que, depuis le Recensement de 2016, la période de résidence exigée avant que les immigrants puissent demander la citoyenneté est passée de quatre à trois ans, l’une des variables majeures expliquant ce repli réside dans le fait que, depuis 2001, les deux nations les plus importantes en matière de provenance des immigrants au Canada sont la Chine et l’Inde. Or, il se trouve que ces deux pays ne reconnaissent pas la double citoyenneté, ce qui, probablement, pousse certains de leurs citoyens installés ici à ne pas demander la citoyenneté canadienne ou du moins à hésiter à le faire », explique-t-elle.
En effet, le même recensement 2021 rapporte que les plus grands groupes qui n’ont pas été naturalisés sont les Chinois et les Indiens.
L’autre facteur explicatif avancé par la spécialiste concerne le statut des personnes accueillies.
« À partir de 2015, le Canada a accepté beaucoup de réfugiés, notamment syriens, qui ne parlent pas forcément les deux langues officielles du pays, alors qu’il y a une exigence linguistique pour pouvoir obtenir l’examen de citoyenneté. Ces personnes ont peut-être besoin de plus de temps pour être assez confiant de leurs compétences linguistiques et pouvoir passer cet examen », poursuit-elle.
À ces éléments de réponses, le patron de l’ICC ajoute un constat : « On est en train de mener une étude pour comprendre les raisons de ce recul et je peux vous dire d’ores et déjà que, par exemple, les frais d’application qui ont été augmentés à 300 % y sont pour quelque chose. Ceci dit, il y a actuellement plus de questions que de réponses, car personne n’a posé ces questions avant ce recensement. »
Les jeunes sont les moins intéressés par la citoyenneté
Par ailleurs, l’autre constat qui inquiète les responsables de l’ICC repose sur le fait que les jeunes constituent la plus grande part des personnes n’ayant pas la citoyenneté canadienne.
En effet, en 2021, une personne sur six ne possédant pas la citoyenneté canadienne était âgée entre 15 et 24 ans, alors que seulement une personne sur 10 vivant au Canada appartenait à cette tranche d’âge.
Cette différence est encore plus accentuée chez les personnes âgées entre 25 et 54 ans, soit le principal groupe en âge de travailler. En 2021, 60,7 % de la population n’ayant pas la citoyenneté canadienne appartenait à cette tranche, contre 37,6 % des citoyens canadiens.
De plus, l’âge médian de la population canadienne ayant la citoyenneté était de 42,8 ans en 2021, alors que l’âge médian des personnes n’ayant pas la citoyenneté canadienne était de 33,6 ans. Autrement dit, la population non naturalisée vivant sur le sol canadien était d’environ une décennie plus jeune que celle des citoyens canadiens.
« Ce qui est inquiétant, c’est qu’on arrive à attirer ces jeunes, ces talents et cette force vive pour venir au Canada, mais qu’on les laisse après quitter le pays. Encore plus inquiétant, ces gens arrivent ici, mais ne veulent pas faire partie de notre équipe, car on n’a pas réussi à les convaincre d’adopter ou de s’impliquer dans notre culture et dans notre société. Être citoyen n’est pas seulement un statut légal, c’est aussi un sentiment d’appartenance », déplore M Bernhard.
Pour rappel, au Canada les immigrants représentent 36 % des médecins, 33 % des propriétaires d’entreprises avec personnel rémunéré et 41 % des ingénieurs.