La COVID-19 pousse les organismes d’aide aux femmes à la réflexion
L’épidémie de coronavirus a fragilisé la situation des femmes victimes de violence conjugale et augmenté les risques auxquels elles sont confrontées, estiment des intervenantes jointes par ONFR+. Mais la pandémie a également ouvert une réflexion sur de nouveaux outils pour leur venir en aide, disent-elles.
Au début de la mise en place des mesures de confinement, Maïra Martin tirait la sonnette d’alarme. La directrice générale d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) redoutait une hausse des cas de violence conjugale et un isolement encore plus grand des victimes. La situation l’inquiétait d’autant plus que plusieurs femmes auraient moins facilement accès aux services mises en place pour les aider.
Deux mois plus tard, les chiffres manquent encore à l’appel, mais les craintes sont fondées, dit-elle.
« Certains de nos organismes membres rapportent une augmentation des appels, principalement dans les villes. Dans le milieu rural, l’anonymat reste toujours un défi : les victimes ont peur que ça se sache si elles demandent des services ou si elles quittent leur domicile. On n’a pas de chiffres officiels, mais on le sait, la violence est là! »
Le contexte de la COVID-19 avec son lot d’insécurité économique et d’isolement est propice à exacerber cette violence, dit-elle.
Dada Gasirabo, directrice générale d’Oasis Centre pour femmes, dans le Sud de la province, confirme ces propos.
« Les appels sur notre ligne de crise ont continué à augmenter. On a atteint 136 % de nos prévisions sur les huit premières semaines. Et on sait que c’est la pointe de l’iceberg… »
Un constat que partage Jeanne-François Moué, directrice générale de La Maison, un centre d’hébergement pour femmes francophones du Grand Toronto.
« Les appels ont augmenté. Les femmes nous font part de leur détresse, de leur manque de moyens pour aller chercher de l’aide et trouver un lieu sécuritaire. Avec ce qui se passe dans les foyers de soins de longue durée, elles craignent aussi de venir en maison d’hébergement à cause de la COVID-19. »
S’adapter à la nouvelle réalité
Sur le terrain, les organismes d’aide ont fait de leur mieux pour s’adapter.
« On continue d’offrir des services sécuritaires à distance, même si le téléphone, c’est surtout faute de mieux. Ça nous permet d’aider les femmes à construire un plan de sécurité, mais on sait que beaucoup n’ont pas pu téléphoner », explique Mme Gasirabo.
AOcVF a utilisé de multiples plateformes pour rappeler que les services demeuraient accessibles.
La Maison a mis en place des procédures très strictes pour empêcher le coronavirus de franchir la porte d’entrée.
« Nous avons bénéficié de l’aide du fédéral et de la province pour nous constituer un stock d’équipements de protection et assumer les coûts supplémentaires liés à la COVID-19, notamment pour désinfecter ou pour payer les épiceries, alors que les prix ont augmenté », dit Mme Moué. « Mais nos infrastructures n’étaient pas préparées et ça a complexifié notre façon de fonctionner. »
Les aides mises en place, tant par Ottawa que par Toronto, ont été utiles, estime Mme Martin.
« On a apprécié la simplicité et la flexibilité offertes, ce qui a permis de régler, en partie, la question monétaire. Maintenant, il faut voir comment on relance nos activités. »
Car dans ce contexte, les fonds manquent, explique la directrice générale d’Oasis.
« Théoriquement, nous pouvons rouvrir depuis la phase un du déconfinement, mais il y a des consignes sanitaires à mettre en place. On espère pouvoir le faire fin juillet, mais l’aide financière est actuellement insuffisante pour adapter nos services », dit Mme Gasirabo, invitant les gouvernements à la réflexion. « Nous sommes un service considéré comme non essentiel, mais on est essentiel. Il va falloir repenser le système et la dotation de services offerts aux femmes. »
Un nouveau service efficace à Ottawa
Les organismes eux aussi sont en phase de réflexion.
« On va tirer les leçons de cette pandémie pour trouver d’autres façons de rejoindre les femmes, car c’est toujours un défi. Certaines personnes préfèrent des services en face à face, d’autres au téléphone… Il faut développer différentes avenues pour répondre à tous les besoins », juge Mme Martin.
Une des pistes de solution pourrait être le nouvel outil bilingue de textos et de clavardage en ligne, Pas bien chez soi, lancé à Ottawa le 14 avril par plusieurs organismes.
« Nous étions inquiets, car nous savions qu’avec la COVID-19, la violence n’allait pas diminuer, mais que l’accès aux services serait plus difficile pour certaines », explique la directrice générale du Centre des ressources de l’est d’Ottawa, Nathalie Lafrenière. « On a donc développé cette plateforme qui permet aussi de s’adapter aux nouvelles générations. »
Disponible de 8h30 à minuit, sept jours sur sept, cet outil a permis plus de 300 communications en cinq semaines et 4 800 visites sur le site internet.
« C’est un outil complémentaire qui surpasse nos attentes. En un mois, le soutien qui a été offert, c’est 32 % pour la planification de la sécurité de la victime, 32 % pour des proches ou des amis cherchant du soutien, et 20 % pour du soutien affectif. »
De là à l’utiliser à travers la province?
« C’est un service discret et facile qui répond bien à certaines demandes très spécifiques, mais pas pour un suivi à long terme », estime Mme Martin qui souligne également qu’il faut tenir compte de certaines considérations de sécurité.
Avant même de songer à sa provincialisation, il faudra déjà le maintenir en place dans la région d’Ottawa.
« On a réorganisé nos ressources et embauché des intervenantes pour travailler là-dessus. On peut tenir jusqu’à mi-juillet, mais ensuite, on ne pourra pas continuer sans financement additionnel. On a fait une demande de subvention, on espère que ça fonctionnera », précise Mme Lafrenière.