La crise Montfort a influencé la trajectoire des soins de santé en français en Ontario

Des milliers de manifestants massés à Ottawa le 22 mars 1997.
Des milliers de manifestants massés à Ottawa le 22 mars 1997. Source: Hôpital Montfort

OTTAWA – Il y a 25 ans, jour pour jour, des milliers de manifestants déferlaient dans la capitale pour empêcher la fermeture du seul hôpital universitaire francophone de la province. Sous la bannière SOS Montfort, cette mobilisation hors norme a impulsé des changements d’approche et des structures novatrices qui constituent le socle des services tels qu’on les connaît aujourd’hui, mais de nombreux défis demeurent dans l’accès à la santé dans la langue de son choix.

Un quart de siècle plus tard, l’Hôpital Montfort a quasiment doublé sa superficie et triplé son personnel. Hissé dans le top 100 des hôpitaux canadiens, l’hôpital universitaire est devenu une clinique militaire et forme des professionnels qui alimentent les besoins en ressources humaines partout au pays.

Cette crise majeure qui a secoué l’Ontario en 1997 a aussi été le détonateur à la création d’un réseau de services de santé à Ottawa qui s’est étendu, par la suite, dans le reste de la province. Dans même veine, la mise sur pied en 2006 d’un comité francophone a aussi donné naissance aux entités de planification des services de santé en français, pour soutenir les RLISS.

Ce véritable bras de fer entre la communauté et le gouvernement Harris a aussi préfiguré la création du Consortium national de formation en santé (CNFS) capable de former des professionnels de santé partout en Ontario et au Canada en milieu minoritaire. D’aucuns estiment que la création de la Société de santé en français (SSF) en 2002 et de 16 réseaux de santé au Canada hors Québec, trouve elle aussi son origine dans ce rapport de force dont le dénouement judiciaire a représenté une victoire retentissante pour les droits de la minorité.

Michel Tremblay, directeur général de la FARFO et ancien directeur de la SSF. Archives ONFR+

« Toutes ces structures découlent de cette époque, de cette lutte », estime Michel Tremblay, directeur général de la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) et ancien directeur de la SSF. « Si la crise Montfort n’avait pas existé, on aurait donné aux gouvernements successifs le loisir de fermer des établissements ou de réduire des services, voire de ne pas en créer de nouveaux », est-il convaincu.

« Ça a été un signal envoyé aux gouvernements que les services de santé en français sont importants et que, si on y touche, les francophones se tiennent debout », abonde Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie en Ontario (AFO).

« Aucun gouvernement ne touchera plus à Montfort, ça c’est officiel (…). Ça nous permet aussi de rappeler aux gouvernements de ne pas oublier la lentille francophone quand ils font une réforme. »

« Cette contestation a pavé le terrain pour que les gouvernements supportent mieux les francophones » – Sean Keays

« Sans la crise Montfort, il n’y aurait pas eu le rapport Savoie (2005) qui a mis en relief l’importance d’une planification délibérée de services de santé en français », renchérit Jacinthe Desaulniers, présidente-directrice générale du Réseau des services de santé en français de l’est de l’Ontario.

« Toutes les recommandations ont été mises en œuvre, en dehors de celle de la création d’un RLISS (Réseau local d’intégration des services de santé) francophone. Le compromis a été la création des entités. Ce rapport, trop oublié de nos jours, a sensibilisé le système à la responsabilité qu’il avait de planifier et livrer des services à la minorité. »

Jacinthe Desaulniers, présidente-directrice générale du Réseau des services de santé en français de l’est de l’Ontario. Archives ONFR+

« Cette contestation a pavé le terrain pour que les gouvernements supportent mieux les francophones et ça va nous aider pour le restant de nos carrières. La voix des francophones dans la santé est durable », convient Sean Keays, le directeur du foyer de soins de longue durée Richelieu à Welland. « Mais tout n’est pas acquis. Il faut continuer à se battre pour ne pas perdre cet héritage et ça va prendre des efforts aux  générations à venir. »

M. Keays met en avant l’immense défi que représente la pénurie de personnel de santé. « On essaye de prendre le talent partout où il se trouve : en Ontario, au Québec, en France et autour du monde », tandis que les membres de son personnel proviennent de huit provinces et pays francophones. Ce défi humain atteint même l’Hôpital Montfort qui peine à pourvoir certains postes.

Pénurie de personnel, déserts médicaux et application réelle de la LSF parmi les défis

L’autre faille qui fragilise la qualité des services de santé en français tient à la géographie : certaines régions offrent très peu de services, non seulement au niveau médical et hospitalier mais aussi communautaire. « Il y a des déserts comme dans le Sud-Ouest », pointe M. Tremblay, « car les organismes ne font pas l’effort de demander une désignation sous la Loi sur les services en français (LSF) ».

Il faut dire que l’application de la LSF est très critiquée en Ontario. « On a une nouvelle Loi avec des améliorations, tant mieux, mais c’est la mise en œuvre est décevante », indique Mme Desaulniers. « Cette loi dit que les francophones devraient avoir accès à la santé dans les régions désignées mais est-ce que le gouvernement a transféré ce pouvoir à des agences et est-ce que ces agences livrent ces services? Ces quatre dernières années, des rapports montrent qu’il reste énormément de travail sur ce point. »

Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie en Ontario (AFO). Archives ONFR+

Elle ajoute que la restructuration incessante du système de santé annihile les progrès réalisés. « À chaque fois qu’on change de système, on doit rebâtir les relations et rééduquer tous les joueurs. On recommence à la case zéro à chaque fois ». La dernière réforme de la santé a en effet bouleversé les repères d’acteurs cruciaux comme les entités de planification qui cherchent encore à définir leur rôle le nouvel écosystème de soins.

Selon Estelle Duchon, directrice des services de santé au Centre francophone du Grand Toronto, les services en santé mentale, les services aux aînés et les soins de longue durée font clairement défaut en Ontario. « Trop souvent les francophones doivent faire le choix entre une résidence près de leur famille ou une résidence où on parle en français », illustre-t-elle. « De façon générale, plus les services se spécialisent, plus c’est difficile d’accéder à des soins en français. »

Des manques que la COVID-19 n’a fait qu’exacerber, complète M. Jolin. « La pandémie a révélé plusieurs lacunes dans la livraison de services. Il y a du travail à faire pour les offrir, que ce soit dans les services primaires, les hôpitaux et même au sein du gouvernement. »