La Fête du Canada n’est pas un jour de réjouissances pour les Premières Nations

Après avoir tenu des célébrations modestes pour le 50e anniversaire de la Confédération en 1917 à cause de la guerre, dix ans plus tard Ottawa fête le 60e en grand sur la Colline du Parlement - Crédit image: Samuel J. Jarvis / Library and Archives Canada

OTTAWA – Il ne devrait pas y avoir beaucoup d’endroits au pays où l’on célèbrera la Fête du Canada cette année, par respect pour la mémoire de centaines d’enfants autochtones dont les dépouilles ensevelies ont été repérées sur les sites d’anciens pensionnats. Hier, près de 182 autres sépultures anonymes ont été détectées près d’un autre ancien établissement du même genre. L’historien Médérik Sioui, de la Nation huronne-wendat croit que ce n’est qu’un début.

« En tant que membre des Premières Nations et en tant qu’historien de l’histoire des Premières Nations, il n’y a aucune surprise pour moi. Et tous ceux qui ont suivi la Commission de vérité et réconciliation (CVR), le savent par les témoignages des familles de ces gens-là disparus. Ces histoires-là ont été rapportées à la CVR. La commission avait d’ailleurs établi le chiffre de 4 000 enfants, au minimum, non retournés, donc disparus dans le système des pensionnats, donc probablement décédés. Ce n’est que le début probablement », croit M. Sioui.

C’est donc dans un climat de deuil que les Premières Nations vivront ce 1er juillet 2021, un jour qui, déjà pour eux, est chargé de souvenirs douloureux, dont celui des tractations qui ont conduit à la Confédération en 1867.

« Les Premières Nations ont été complètement ignorées, voire tassées lors des négociations de Charlottetown ou de Québec. On n’a même pas pensé aux Premières Nations. On savait qu’on allait prendre leurs territoires. La Confédération, c’est aussi ça. C’est la création d’un système fédéral, de la Loi sur les Indiens. C’est le non-respect des traités. C’est John A. MacDonald. C’est tout ça ».

Le Canada fêté avec modération cette année

Cette année, on peut s’attendre à peu de célébrations de la Fête du Canada. Ce ne sera cependant pas la première fois dans l’histoire que les Canadiens seront appelés à modérer leur enthousiasme le 1er juillet.

« En 1917, c’était le cinquantième anniversaire de la Confédération, mais le gouvernement fédéral jugeait alors que le pays était en pleine guerre, que c’était inapproprié d’organiser de grandes festivités, ce qui fait qu’elles ont été modestes », note le professeur d’histoire de l’Université York, Marcel Martel.

« Nous avons le devoir de nous tenir debout à leurs côtés et d’exiger des comptes de la part de nos gouvernements » – Liane Roy, présidente de la FCFA

Cette fois-ci, de nombreux leaders appellent les Canadiens à la réflexion. Parmi eux, la nouvelle présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Liane Roy, qui lance un appel à la solidarité.

« Nous devons répondre à l’appel des nombreux leaders autochtones qui nous demandent de les accompagner dans leur deuil, et de s’engager pour la durée envers la réconciliation. Tant que les peuples autochtones de ce pays n’auront pas les mêmes droits et les mêmes opportunités que l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens, nous avons le devoir de nous tenir debout à leurs côtés et d’exiger des comptes de la part de nos gouvernements. »

« Les communautés francophones et acadiennes s’engagent à demeurer solidaires de ces luttes et à poursuivre leur apprentissage sur les moments plus sombres de notre histoire, afin que ce pays puisse réellement être à la hauteur des principes qu’il souhaite représenter », déclare Mme Roy dans un communiqué.

Une fête politisée?

L’historien Marcel Martel raconte que c’est avec le gouvernement de John Diefenbaker, élu en 1957, que la politisation de la Fête du Canada va commencer.

« On va utiliser ce moment pour inviter les gens à se rappeler qui ils sont comme Canadiens. Donc pour Diefenbaker, le 1er juillet c’était une manière de rappeler les origines britanniques du Canada », résume l’historien. « Ce à quoi on assiste en 1957, c’est vraiment une politisation des festivités du premier juillet. »

Et cette politisation va se poursuivre avec le gouvernement de Lester B. Pearson qui, pour plaire aux francophones, va promouvoir le bilinguisme.

« Lorsque Pearson est arrivé, il a dit ‘‘Il y a une crise au Québec, les francophones sont de mauvaise humeur, ils estiment être considérés comme des citoyens de seconde classe’’. Alors on va se mettre à valoriser le bilinguisme en disant ‘‘Écoutez, au Canada le 1er juillet, on célèbre le fait qu’on est un pays bilingue’’ », relate M. Martel.

« Et on s’est mis également à ‘‘parader’’ et, je suis désolé d’utiliser ce mot-là, à parader les Amérindiens, comme pour dire ‘‘On les traite bien, ils ont encore leurs costumes traditionnels. Bien entendu, on ne parlait pas des pensionnats et on ne parlait pas de génocide culturel. »

Autre exemple de cette politisation : après l’élection du Parti québécois en 1976, le gouvernement fédéral, considérant que l’unité nationale est en danger, va se lancer « dans une campagne de conquête des cœurs des francophones : oui, ils peuvent s’identifier comme francophones, ou comme Québécois, ou comme Acadien, mais il faut également qu’ils s’identifient comme Canadiens. On va donc investir des sommes assez importantes pour faire en sorte que le 1er juillet c’est la fête par excellence au pays », constate M. Martel.

1er juillet, « Journée de l’humiliation »

« Un cas qui est tombé dans l’oubli, c’est celui de la communauté chinoise qui organisait à chaque 1er juillet une « journée de l’humiliation ». Les commerçants d’origine chinoise étaient invités à fermer leurs portes. Ça se passait surtout en Colombie-Britannique, où la communauté chinoise était la plus nombreuse. On invitait les journaux chinois à ne pas publier cette journée-là », une façon silencieuse, explique Marcel Martel, d’envoyer un message à la population non chinoise, que le Canada, malheureusement, ne traitait pas tous ces citoyens avec les mêmes égards.  

Cette contestation faisait suite à l’adoption, en 1923 par le gouvernement fédéral, de la loi d’exclusion « qui essentiellement fermait la porte aux immigrants chinois », souligne l’historien. « Il faut attendre jusqu’en 1947 pour que le gouvernement fédéral modifie sa loi. Les Chinois peuvent désormais immigrer au Canada. Cependant, tous les agents d’immigration vont être envoyés en Europe », révèle M. Martel.