La nouvelle vie d’Audrey LaBrie
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – Dans une semaine, Audrey LaBrie quittera officiellement la vice-présidence de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada. Une nouvelle étape dans la vie de cette jeune femme aux multiples identités franco-canadiennes.
« Après trois ans à la vice-présidence de la FCFA, vous avez décidé de tourner la page. Comment vous sentez-vous?
Un peu triste, mais j’ai eu trois belles années à la FCFA et je laisse l’organisme entre de bonnes mains. Je sens que j’ai donné ce que j’avais à donner. Je suis en début de carrière [Audrey LaBrie est directrice adjointe du Programme pratique du droit à l’Université d’Ottawa depuis mai], je dois me concentrer là-dessus, même si la francophonie continue de me tenir à cœur.
En quoi l’organisme a-t-il changé depuis votre arrivée en 2015?
On a fait de beaux progrès sur les messages qu’on prend, notre engagement politique, notre façon très active de faire du lobbying… Je dis souvent à Alain [Dupuis, directeur général de la FCFA depuis 2017] que son embauche est la meilleure décision à laquelle j’ai participé. Je suis vraiment contente de voir un jeune comme ça à la direction générale de la FCFA et de voir tout ce qu’il fait.
Quelle image aviez-vous de la FCFA avant d’en devenir la vice-présidente?
Marie-France Kenny était mon idole, mais je voyais la FCFA comme un organisme d’adultes. Dans ma tête, je pensais m’y impliquer à 40 ans ou plus. Aujourd’hui encore, je suis la plus jeune autour de la table, mais je suis contente de voir la diversité des gens qui se présentent au poste de vice-président [François Hastir, Justin Johnson et Julie Mbengi Lutete]. Je ne dirais pas que j’ai brisé le plafond de verre, mais j’ai peut-être contribué à montrer que de siéger à la FCFA, ce n’est pas juste pour un certain groupe d’âge ou d’individus.
De manière générale, on dit souvent qu’on n’accorde pas assez de place à la jeunesse dans la francophonie. Qu’en pensez-vous?
Je pense que ce n’est pas l’envie des jeunes qui manque, mais c’est la place qu’on leur fait. Si on les inclut juste pour être les « jeunes de service », sans valoriser leur opinion, ce n’est pas suffisant. Je l’ai vécu dans mon expérience en francophonie. Les gens étaient fiers d’avoir une femme, jeune… Mais quand ça venait à dire mes opinions, il fallait que je me batte plus fort pour me faire entendre. Je me suis déjà fait dire que mes propos étaient émotifs, alors que je ne faisais que m’exprimer franchement.
Que retenez-vous personnellement de votre expérience à la FCFA?
Ça m’a donné un beau bagage en lobbying et en relations publiques. Ça m’a aussi appris à travailler avec toute sorte de gens, des personnes passionnées par la francophonie qui ont leur propre vision.
Et quelle est votre vision de la francophonie?
C’est celle, partagée par beaucoup, d’une francophonie dynamique et inclusive. Ce n’est pas nécessairement une culture, un groupe ethnique ou un bagage de traditions, c’est vraiment une langue qui réunit les gens, quel que soit le lieu où ils l’ont appris. Tous les gens qui parlent le français et qui veulent contribuer à la francophonie devraient pouvoir se sentir chez eux dans la francophonie canadienne.
N’est-ce pas le cas?
On voit encore des lacunes sur le terrain pour bien accueillir et tendre la main aux nouveaux arrivants. On le voit par des comportements, des paroles… Des organismes sont encore réticents à faire de la place à des gens qui ne sont pas nés dans la région ou qui n’ont pas appris le français comme langue maternelle. On parle souvent d’immigration francophone en disant ce que les gouvernements doivent faire, mais on doit aussi penser à ce qu’on doit faire comme individu.Ce sont des choses que j’ai vues sur le terrain et que des immigrants francophones me disent. On doit les écouter! Des fois, comme francophones, on n’aime pas admettre qu’on a ces enjeux-là à surmonter, mais je pense qu’il faut en parler.
Avez-vous des regrets par rapport à vos trois années à la vice-présidence?
J’aurais aimé voir plus de changements dans le dossier de l’immigration francophone. C’est le dossier qui me passionne le plus. J’aurais aimé qu’on ait une politique nationale, comme on le demande depuis des années. On a besoin d’un leadership politique pour ça. Ça prend du temps et des fois, on se décourage un peu, on devient pessimiste.
Pensez-vous que pour faire bouger les choses, un ultimatum, comme par exemple, celui lancé par la FCFA à propos du plan d’action pour les langues officielles, est nécessaire?
Il faut savoir hausser le ton quand on est francophone. Des fois, je voudrais même qu’on réagisse encore plus fort. Nous sommes le chien de garde, on doit exprimer notre mécontentement de manière stratégique quand c’est nécessaire.
S’impliquer dans des organismes comme la FCFA peut être exigeant. Comment avez-vous fait pour concilier cet engagement avec vos études?
La francophonie demande beaucoup d’engagement personnel et financier, car quand tu t’absentes du travail, tu n’es pas rémunéré. Ce sont des postes de bénévolat ou avec de faibles honoraires qui sont très exigeants. C’est une des raisons pour lesquelles ce n’est plus faisable pour moi. J’ai fait beaucoup de sacrifices envers la FCFA, mais aussi dans ma vie personnelle. C’est difficile sur les amis, le couple, la famille. Mais je suis chanceuse d’avoir des gens autour de moi qui sont très engagés aussi et qui m’encouragent.
Vous êtes impliquée dans la francophonie depuis plusieurs années, à Francophonie jeunesse de l’Alberta, au sein de la Fédération de la jeunesse canadienne-française… Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager?
Mon engagement vient surtout de mon grand sens de la justice. Quand je vois des inégalités, je veux intervenir. Je continue d’ailleurs à travailler à la clinique juridique à Cornwall, dans le milieu de la justice sociale. C’est vraiment quelque chose qui me passionne.
Je dois tenir ça de ma mère ou de ma grand-mère maternelle, qui habite à St-Quentin, au Nouveau-Brunswick, et que je suis tellement fière de voir mobiliser sa communauté contre les coupures en santé ces derniers mois.
Nouveau-Brunswick, Alberta, Ontario… Vous avez vécu dans plusieurs communautés francophones en situation minoritaire. Quelles différences voyez-vous entre chacune de ces communautés?
C’est sûr qu’au Nouveau-Brunswick, c’est une province officiellement bilingue, le statut de la langue y est donc plus élevé et on trouve des coins à forte majorité francophone.
En Alberta, la capacité économique n’est pas la même et ça a un impact sur la francophonie. Quand je suis arrivée en Alberta, je n’en revenais pas de la qualité des infrastructures. Mon école, Sainte-Marguerite-Bourgeoys, était belle, neuve, très différente de ce que je connaissais…
À Ottawa, je trouve que c’est plus facile d’être francophone. Le statut du français y est plus important qu’à Calgary, il y a beaucoup de francophones… C’est certain que l’Ontario a encore beaucoup de chemin à faire, mais ce que la province a fait en termes de statut de la langue, c’est un beau message envoyé à l’Alberta sur ce qu’ils pourraient faire là-bas.
Est-ce que ça a été difficile de déménager en Alberta?
Quand je suis arrivée, je ne parlais pas l’anglais. Et c’est là que j’ai réalisé la réalité de bien des écoles de langue française : quand tu es dans les couloirs, c’est seulement en anglais. J’ai donc dû apprendre la langue pour me faire des amis et avoir les référents culturels anglophones que je n’avais pas encore. Quand on est minoritaire, on est ce qui rassemble les deux solitudes. On a les bagages culturels de la francophonie et de la majorité anglophone.
Est-ce qu’une carrière politique pourrait vous intéresser?
Je suis vraiment passionnée par la politique, mais c’est beaucoup plus difficile d’être une femme en politique. On verra ce que l’avenir nous réserve.
En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?
De moderniser la Loi sur les langues officielles, en consultation avec les communautés. La plupart des grands enjeux et des impasses auxquelles on fait face en francophonie pourraient être réglés avec une modernisation de la Loi. »
LES DATES-CLÉS D’AUDREY LABRIE
1992 : Naissance à Grand-Sault (Nouveau-Brunswick)
2005 : Déménage à Calgary (Alberta)
2011 : Présidente de Francophonie jeunesse de l’Alberta (FJA)
2012 : Vice-présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF)
2014 : Baccalauréat en éducation au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta
2015 : Vice-présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada
2017 : Juris Doctor – programme de common law en français à l’Université d’Ottawa
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.