« La pire chose à faire est de recourir immédiatement à la police » – Constant Ouapo

Constant Ouapo, directeur général de l'Entité de planification des services de santé en français Érié St.Clair/Sud-Ouest. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Constant Ouapo est le directeur général de l’Entité 1. L’organisme de planification des services de santé en français évalue les besoins sanitaires des francophones du Sud-Ouest de l’Ontario et émet des recommandations au système de santé.

LE CONTEXTE :

La chute mortelle du Franco-Londonnien Caleb Tibula Njoko, trois semaines avant celle de la Torontoise Regis Korchinski-Paquet et de l’interpellation tragique de l’Américain George Floyd, fera l’objet d’une manifestation ce samedi, à London.

L’ENJEU :

Les deux décès ontariens ont relancé le débat autour du mode opératoire des policiers, de l’aide en santé mentale, tout comme du soutien social et communautaire apporté aux minorités noires.

« Comment avez-vous réagi à la tragédie de London?

Un jeune homme plein de vie et d’avenir qui part de la sorte, franchement, c’est dommage. C’est vraiment triste. Je présente toute ma sympathie à la famille éplorée.

Y a-t-il des lacunes dans l’aide en santé mentale en direction des jeunes Noirs?

Il existe des initiatives en santé mentale en français et en anglais qu’on peut utiliser. Mais il faut bien comprendre que ce drame est juste la face visible d’un iceberg. Le problème est plus profond. Ça vient avant tout de la perception que l’on a de la santé mentale. Ça fait peur. Ça dérange. Les gens ne veulent pas en parler. Et quand vous prenez les communautés immigrantes, c’est encore plus sérieux.

Caleb était un immigrant de 2e génération. En quoi l’immigration complexifie ce problème?

Dans les différentes cultures, les gens associent la santé mentale avec la folie. Personne ne veut être associé avec ça. Il y a donc un travail de fond à faire en termes de démystification et de promotion des services de santé mentale. Il faut que les communautés immigrantes comprennent qu’on peut recevoir des soins et être soulagé, de la même façon que l’on peut se rendre chez son médecin de famille pour un mal de tête. Car les drames qui en résultent sont très graves.

Mais en situation de crise, comment désamorcer la tension?

La pire chose à faire est de recourir immédiatement à la police qui elle-même n’est peut-être pas de mauvaise foi, mais a besoin aussi d’avoir certaines compétences culturelles. Les policiers ne viennent pas dans l’intention de tuer mais pour calmer la situation. Quand elle les dépasse, eux-mêmes ne savent plus quoi faire.

Les policiers sont-ils correctement formés dans cette optique?

Ça va dans les deux sens. Autant les communautés immigrantes doivent être formées à la demande de services en santé mentale. Autant, la police devrait ajouter à sa liste de compétences, la compétence culturelle, c’est-à-dire comment interagir avec des communautés qui sont déjà terrifiées d’avoir à traiter avec la police.

Faudrait-il intensifier la collaboration entre la police et les acteurs sociaux et communautaires?

Il y a un travail de partenariat qui doit se faire entre la police et les services sociaux pour adoucir la perception qu’on a de l’intervention de la police. Même si elle est de bonne foi, elle fait peur, à plus forte raison quand on est dérangé mentalement. À Toronto par exemple, des représentants de la police mènent des ateliers pour dire aux gens « N’ayez pas peur, voici notre rôle ». La police a un rôle communautaire et doit capitaliser là-dessus.

Des projets pilotes d’intervention mixte (policière-communautaire) ont été lancés dans plusieurs villes ontariennes en 2017. Souhaitez-vous qu’elles soient étendues partout en province?

Tout à fait, car le cas de ce jeune homme à London et celui de cette jeune femme à Toronto, c’est peut-être un signal. Quelque chose qui devrait créer un déclic. Ce ne sont pas sûrement pas des cas isolés. Il y a dû avoir d’autres cas passés inaperçus. Il faut développer cette approche.

Le 911 devrait-il orienter plus souvent les appelants vers des travailleurs sociaux?

On devrait encourager ce réflexe. Il ne faut pas que la police soit seule sur le terrain. Le rôle du travailleur social est de trouver les mots nécessaires pour apaiser, protéger la personne afin qu’elle sente une certaine empathie, qu’elle sente qu’on vient pour l’aider, et non pas la juger et la condamner.

Quelle influence peut avoir l’Entité 1 dans la réponse sanitaire et communautaire aux défis des jeunes Noirs?

Nous allons y travailler. C’est un point important que nous allons soumettre à discussion dans nos prochaines rencontres avec nos partenaires et voir dans quelle mesure cela peut être inclus dans le plan biennal que nous sommes en train de développer et quelles actions on peut mener en terme de communication et de recommandations au système de santé.

La manifestation de samedi peut-elle aussi accélérer cette réponse, en pressant la société et les politiques à agir en ce sens?

C’est important pour attirer l’attention des autorités, susciter la prise de conscience. Mais en tant que technicien, moi, je veux qu’on s’attaque à la racine du problème. Les actions de masse ont leur raison d’être, mais mon équipe et moi, on préfère se concentrer sur les aspects techniques pour faire avancer les choses.

Le gouvernement Ford a annoncé la création d’un comité pour l’égalité des chances et une subvention de 1,5 million $ aux organisations de soutien des familles et des jeunes Noirs de l’Ontario. Votre réaction?

Je souhaite que ce soit le point de départ d’une dynamique globale et pérenne d’équité envers la population cible. Cela suppose la mise en place d’une approche collaborative et systémique impliquant l’ensemble des acteurs concernés si l’on veut voir un réel changement. »