La Saskatchewan retient son souffle dans la cause Caron
REGINA – Dans l’ombre de l’Alberta, les 19000 Fransaskois attendent avec anxiété le jugement de la Cour suprême du Canada rendu le vendredi 20 novembre dans la cause Caron. Un verdict qui pourrait donner le statut de province officiellement bilingue à la Saskatchewan.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz
« C’est un de nos gros dossiers », confie à #ONfr Francis Potié, directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF). « Nous avons mobilisé beaucoup d’énergie dessus. »
Cette saga linguistique et judiciaire remonte pourtant à 2003 lorsque Gilles Caron et Pierre Boutet, deux Franco-Albertains, avaient tous les deux contesté des contraventions rédigées seulement en anglais.
Une affaire albertaine ou presque puisque le statut unilingue anglophone a été gravé dans le marbre en même temps que la Saskatchewan en 1988. Le tout à la suite de la cause Mercure, une histoire de contravention très semblable, amenée aussi devant le plus haut tribunal du pays.
Conséquence? Le verdict de la Cour suprême avait alors statué que les lois sur le bilinguisme qui existaient dans les provinces étaient certes valides, mais non enchâssées dans la Constitution, ce qui les rendait abrogeables en tout temps.
Pour les partisans de la cause Caron, il s’agit dès lors de donner aux deux provinces, fondées en 1905, l’intégralité de leur loi dans les deux langues officielles du Canada.
« La différence avec l’Alberta, c’est que nous sommes néanmoins plus avancés qu’eux », explique M. Potié. « Après 1988 et la cause Mercure, notre gouvernement a fait plus d’efforts envers nous que celui de l’Alberta. »
À la différence de sa province voisine, la Saskatchewan possède une politique permettant le bilinguisme des procès de juridiction civile. Une quarantaine de lois y sont également traduites dans la langue de Molière, ce qui n’est pas le cas en Alberta.
« On parle malheureusement seulement de politique », indique M. Potier. « Le changement, si l’on gagne la cause Caron, c’est que tout cela serait alors enchâssé dans une loi. »
Retard au postsecondaire
Mais derrière le tableau « avantageux » en comparaison avec l’Alberta, les Fransaskois restent très à la traine dans le domaine de l’éducation postsecondaire en comparaison des autres provinces minoritaires.
Car si le Conseil des écoles fransaskoises possède 13 écoles situées dans les quatre coins de la province, le bât blesse quand on arrive au domaine universitaire.
« Les services ne sont pas adéquats. Les programmes en français se limitent à un baccalauréat en éducation et un autre en français. Du coup, les jeunes font leurs études en anglais ou quittent la province pour étudier en français », explique M. Potier.
La province bénéficie pourtant d’un unique établissement d’enseignement collégial en français : le Collège Mathieu, quasi centenaire et situé à Gravelbourg.
Point positif : la Cité universitaire francophone a remplacé l’Institut français de l’Université de Regina, très récemment, et ainsi obtenu son statut d’établissement d’enseignement.
« C’est un gros pas en avant », note M. Potié. « Cette nouvelle mesure va permettre plus d’indépendance, éventuellement l’embauche de professeurs et l’offre de programmes. »
Immigration et frustration
Derrière la cause Caron et le postsecondaire, l’ACF lorgne aussi de très près sur le dossier de l’immigration. Si l’Ontario vient de voter une cible de 5% d’immigrants francophones, rien de cela encore en Saskatchewan. Ce qui agace passablement le directeur général de l’organisme.
« On se fie sur la cible de 4,4% du gouvernement fédéral, mais celui-ci ne fait pas grand-chose pour dynamiser l’immigration. Il y a pourtant beaucoup d’emplois à pourvoir dans la Saskatchewan. Nous essayons donc de le faire par l’intermédiaire de foires d’emploi, d’internet ou encore du programme Destination Canada. »
Peu adepte de la langue de bois, M. Potié ne tourne pas en rond lorsqu’il évoque le gouvernement de Brad Wall élu en 2007 sous la bannière du Parti saskwatchanais, classé politiquement à droite. « On ne sent pas une mauvaise volonté de leur part, mais il y a une ignorance. Il faut toujours leur rappeler les choses. »
Et de décocher en guise de conclusion : « On nous dit que derrière les portes, des affaires comme la cause Caron, ça les dérange bien. »