Bob Rae, ancien premier ministre de l’Ontario, ambassadeur et le représentant permanent du Canada auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU), s’entretient avec ONFR dans le cadre de son rôle dans la crise haïtienne.

Le lundi 11 mars, la Communauté caribéenne (CARICOM) a organisé un sommet d’urgence à Kingston en Jamaïque sur l’état de siège de Haïti, dont la capitale, Port-au-Prince, est aux mains des gangs. Réunissant des leaders caribéens, des représentants du Canada, des États-Unis, de la France et de l’Organisation des Nations Unies (ONU), cette rencontre a permis d’établir les prémices d’un gouvernement provisoire, un Conseil présidentiel de transition et ses membres.

Sans élections depuis 2016, sans président depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Haïti est en proie à la violence des gangs qui réclamaient, tout comme la population, la démission du contesté premier ministre Ariel Henry s’accrochant au pouvoir. Au lendemain du sommet en Jamaïque et de la désignation du gouvernement provisoire, il a annoncé son retrait. La restauration de la sécurité et l’aide de forces armées extérieures restent les priorités.

« Comment s’est passé le Sommet en Jamaïque? 

La situation de crise dure depuis plusieurs années et cela fait maintenant 18 mois que les pays voisins caribéens s’impliquent comme médiateurs. Nous avons consolidé les efforts de médiation qui ont été faits dans le pays avec d’autres intervenants d’autres pays pour convaincre tous les partis, incluant celui du premier ministre actuel, de s’unir face à un défi commun.

Le Sommet a été précédé d’une série de réunions, dont une avec le premier ministre canadien Justin Trudeau en octobre. Malheureusement, tout le monde ne pouvait pas se déplacer hors d’Haïti et une partie s’est déroulée en virtuel.

Étape par étape on a essayé de trouver un moyen pour trouver un accord. Il s’agissait du moment de décision, et maintenant on en est à la mise en place des détails de l’accord. Jour après jour, ça avance.

Quelle en est l’issue?

Les partis ont nommé leurs représentants constituant le gouvernement provisoire, un conseil présidentiel de transition. Ce fut une tâche ardue de mettre tous les partis d’accord. Il s’agit maintenant de nommer un président du conseil et un premier ministre intérimaire. Le travail du conseil fera l’objet de négociations qui vont se poursuivre.

On trace la voie d’une élection, mais pas sans un niveau de sécurité acceptable d’abord. Elles sont anticipées certes, mais pas avant l’été 2025. La priorité est en premier lieu d’améliorer la sécurité. La police nationale haïtienne (la PNH) continue de montrer un degré de résilience remarquable, il y a chaque jour des confrontations avec les gangs.

À ce jour, que contrôlent réellement les gangs armés?

Les gangs dominent et contrôlent presque la totalité de la ville de Port-au-Prince, mais leur pouvoir n’est pas si grand en dehors de la capitale. La propagation de leur zone de contrôle reste un danger si on n’enraye pas l’hémorragie. On ne peut pas laisser les gangs contrôler la distribution de la nourriture et de l’aide de tous les groupes humanitaires, de l’ONU, des agences internationales, etc. Il faut mettre fin à ce chaos et rétablir un équilibre.

Une fois la situation de nouveau sous contrôle, quelle solution sur le long terme pour éviter à nouveau de tels débordements?

Il faut avoir une stratégie pour attirer les jeunes. Malheureusement, on voit des enfants très jeunes, parfois de moins de 10 ans, qui sont recrutés et ce n’est pas une situation acceptable. Il y a un facteur d’aventure qui leur est promis et le facteur de l’argent, mais derrière ça, la réalité c’est une mort quasi assurée.

Une stratégie humanitaire est capitale, mais aussi une stratégie de développement du pays et d’emploi est nécessaire pour le long terme pour changer la situation en Haïti. Développer un plan sérieux et créer des opportunités pour l’avenir du pays va requérir un partenariat important avec le Canada et d’autres pays.

Des policiers kenyans devaient être déployés. Où en est-on de cette mesure? D’autres forces armées pourraient-elles être mobilisées par la communauté internationale?

Le Kenya attend que la transition du gouvernement soit officielle. Le premier ministre sortant Ariel Henry a dit qu’il officialiserait sa démission après la création du conseil et la nomination d’un premier ministre et de son cabinet. Dès lors, on verra une réponse positive du Kenya pour cette mobilisation. D’autres pays dans la région tels que la Jamaïque, les Bahamas, le Bélize, le Bénin y contribueront également. Le Canada va aider financièrement et logistiquement la création de cette force multinationale pour venir en aide à Haïti. Les Haïtiens restent aux commandes quoi qu’il en soit, on ne peut se substituer à leur dernier mot. »