La vie de trois Franco-Ontariens en quarantaine, « des moments de Wild West »
L’épidémie de coronavirus change la vie des 14,5 millions d’Ontariens. Bien avant l’état d’urgence décrété par le gouvernement conservateur, certains avaient d’ores et déjà choisi de se mettre en quarantaine. Rencontre avec Marc Keelan-Bishop, Marc Despatie et Patrick Fournier, trois Franco-Ontariens confinés à leur domicile depuis plusieurs jours.
Marc Despatie (Sudbury) : « Je ne fais plus de déplacements, je les planifie »
Le directeur des communications, planifications stratégiques et relations gouvernementales du Collège Boréal ne s’attendait pas à un mois de mars aussi occupé. Tout partait bien : un retour de vacances de Cuba, puis une participation au congrès de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (PDAC) à Toronto.
Mais tout s’enchaîne rapidement au retour de Toronto. Mercredi dernier, on apprend qu’un homme d’une cinquantaine d’années de la région de Sudbury-Manitoulin est testé positif à la COVID-19. Une nouvelle qui force Marc Despatie à se placer en isolement volontaire.
« Nous étions sept du Collège Boréal à ce congrès minier et nous avons tous pris la décision de nous isoler, même si dans mon cas, j’ai quitté le congrès le 1er mars, soit avant les autres. Techniquement, et suite à la période de 14 jours, j’aurais pu rentrer au bureau, dimanche dernier. »
Mais une autre donnée entre dans l’équation : M. Despatie était à Cuba en février. Suivant les recommandations du gouvernement fédéral, il décide donc de poursuivre son isolement volontaire.
Ce travail de la maison, le directeur des communications le prend comme un mal pour un bien.
« Il n’y a pas de gens qui passent à mon bureau pour placoter, raconter des choses, ça me laisse le temps de me concentrer sur les dossiers, et cela rend le télétravail effectué depuis la maison très productif. Il y a juste des bouts de mon travail que je ne peux pas faire, comme rencontrer des gens, aller à des congrès… Je ne me consacre plus à mes déplacements, mais à les planifier. »
S’il s’éloigne à quelques occasions de chez lui « pour marcher », M. Despatie projette déjà lundi, le jour où il pourra sortir faire son épicerie. « Je veux minimiser les contacts avec autrui et n’infecter personne, mais à un moment donné, je vais devoir acheter des fruits et des légumes! »
Pour le reste, l’employé administratif du Collège Boréal ne s’inquiète pas trop.
« Je n’ai aucun symptôme, ça ne m’inquiète pas. Je suis allé à Cuba, mais il n’y avait alors aucun cas. On ne sait jamais cependant à quoi on va être exposé! »
Patrick Fournier (Toronto) : « Ça commence à être long »
Du côté de Toronto, Patrick Fournier comptait sur l’arrivée du printemps et le retour des beaux jours. Placé en isolation volontaire depuis presque une semaine, cet employé du Groupe Média TFO prend son mal en patience derrière les fenêtres de son appartement.
« Ma copine, pour son travail, a voyagé hors du pays. Elle est revenue de Londres, le dimanche 8 mars, mais deux personnes avec qui elle travaillait venaient d’être testées positives. La quarantaine se terminera donc lundi prochain. »
En attendant, M. Fournier ronge son frein.
« Jusqu’à date, on regarde la télévision, on fait le ménage, on prépare les repas avec ce qu’on a de dispo, mais ça commence à être long… »
Sans compter que le travail, bien qu’effectué à distance, est moins abondant que d’habitude.
« La plupart de mon travail, c’est la planification d’événements, mais en ce moment la production est très réduite! »
« Le pire, c’est que je ne peux rien faire. Je suis déjà resté longtemps chez moi, mais c’était dans le cadre de vacances, là je sais que je n’ai aucune autre option. C’est psychologique! »
Une seule petite sortie autorisée : la promenade du chien.
« Mais on ne va pas dans les parcs, et on évite le monde », prévient M. Fournier, avant de glisser avec amertume : « Quand ma quarantaine sera terminée, je ne pourrai même pas profiter, car tout le reste de l’Ontario est fermé maintenant! »
Le Franco-Torontois ne subira probablement pas de test de dépistage.
« Je n’ai pas de symptômes, et donc on nous a dit que dans ce cas, ce n’est pas la peine de passer les tests. »
Une inquiétude toutefois, l’économie chancelante. « J’ai beaucoup d’amis dans le business. J’ai peur qu’ils perdent leur travail! »
Marc Keelan-Bishop (Comté de Prince Edward) : « Tout le pays devrait être en quarantaine »
« C’est juste du patriotisme communautaire! »
Marc Keelan-Bishop n’y va pas par quatre chemins lorsqu’on lui demande les raisons de son isolement volontaire. L’illustrateur franco-ontarien n’a, certes, ni voyagé récemment, ni rencontré des personnes atteintes de la COVID-19.
Très en vue dans les médias – il a même été nommé parmi les 10 plus grands influenceurs de la francophonie en contexte minoritaire pour 2019 -, M. Keelan-Bishop poursuit son isolement volontaire dans sa maison de campagne, entre Trenton et Brockville.
« Avec ma femme, et mes quatre fils, on a commencé à remplir lentement le congélateur. Je ne veux pas que ma famille devienne malade et que mon entourage meurt. Les gens doivent rester à la maison. Tout le pays devrait être en quarantaine! »
Une situation facile à gérer avec cinq autres membres de la famille?
« C’est le début, mais je suis sûr que dans trois semaines, on va être un peu plus organisé. Pour l’instant, c’est vrai que c’est un peu le chaos, et que mes enfants font un peu ce qu’ils veulent! »
Plus habitué aux dessins, ce Franco-Ontarien ne lésine pas sur les mots quand il parle de l’impact du coronavirus.
« Nos grands-parents sont allés en guerre, nous on peut bien s’asseoir sur le divan. Oui, c’est un peu une guerre mondiale, mais pour une fois, touss les humains de tous les pays sont du même côté. »
Quelques regrets tout de même pour M. Keelan-Bishop, jamais avare de formules.
« Je suis étonné de voir des amis super intelligents et informés, qui ont continué d’aller au restaurant. C’est irresponsable! Il faut rester loin de tout le monde, et ne rendre personne malade! »
Et sur une note plus personnelle : « On s’est promené dans la forêt proche de la maison, pour voir la cabane à sucre. Pour la première fois, depuis cinq jours, nous avons rencontré d’autres personnes. J’ai été obligé de garder la distance avec ces personnes pour des raisons de sécurité… J’ai dû empêcher mon enfant de jouer avec d’autres enfants… Il y a vraiment des moments de Wild West. »