
L’autisme ne s’arrête pas à l’âge adulte

Les adultes, ces grands délaissés des mesures de soutien en matière d’autisme, jonglent souvent avec le manque de disponibilité et de diversité des services. Ceux qui souhaitent être pris en charge en français font face à des listes d’attente démesurées. Or, ce trouble neurodéveloppemental se mesure à l’échelle d’une vie, nécessitant une attention évolutive au fil des ans. Gros plan à l’occasion de la Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme.
Dans la région de Prescott et Russell, Jasmine Chagnon vient de s’installer dans sa nouvelle maison dans laquelle elle est actuellement en train de mettre en place un service de répit. « En déménageant ici, je me suis rendu compte que, à part à Cornwall, il n’y avait absolument rien pour les adultes », dit la jeune intervenante spécialisée de 24 ans venue du Québec.
Aller à la ferme ou encore participer à des activités d’extérieur tapissent l’agenda bien chargé de ses pensionnaires. « On travaille les habiletés sociales, la concentration, la motricité. J’ai aussi plein de cahiers d’exercices, des jeux éducatifs aussi pour les aider », raconte-t-elle.

Le manque de services pour adultes autistes fait consensus au sein des travailleurs d’un secteur peu attractif en termes de revenu. Pour établir ses services, Jasmine a essayé d’obtenir toutes les subventions possibles, sans succès. « Il reste encore à sensibiliser les gens, surtout pour les adultes qui sont parfois un petit peu oubliés » déplore-t-elle.
D’autres services de répit commencent toutefois à timidement voir le jour dans la province. Un an après le sauvetage de la Société franco-ontarienne de l’autisme (SFOA) pour parvenir à maintenir ses services de répits, Carol Jolin, qui préside l’organisme, affirme qu’il souhaite prochainement superviser des programmes pour jeunes adultes autistes. « On a une offre d’emploi qui circule pour trouver quelqu’un qui peut prendre la relève », annonce le président.
Selon lui, évaluer à la fois le nombre d’adultes autistes et les services cliniques en français, continuent d’être des défis provinciaux. « On a besoin de chiffres. Et avec des chiffres, on est capable de parler aux élus », dit-il.
Vers une sensibilisation plus agressive
Dans le Nord, Jacob Claveau, un jeune homme autiste déterminé doit constamment apprendre à vivre avec les refus. Un diplôme de soutien technique en informatique en poche, il a trouvé un poste chez lui à Hearst qu’il a perdu quelques mois plus tard.
Sa mère suspecte que son fils ait implicitement fait partie d’un volet financé par un grand employeur de manière temporaire. « C’est mon impression parce que depuis ce temps-là, il vit beaucoup de refus », dit Shana Verrier. À ce jour, Jacob est concierge dans un grand hôtel de Hearst avec un revenu minimum mais espère décrocher un poste dans son secteur bientôt. « J’ai appliqué pour certains emplois, par exemple à l’hôpital, à Postes Canada et même à l’Université de Hearst », affirme le jeune homme.
« C’est vraiment important pour nous d’éduquer les employeurs de ne pas juger toute une communauté à partir d’une ou deux personnes qu’ils ont rencontrées », dit Neil Forester, organisateur de Spectrum Works, connue comme le plus grand salon pour chercheurs d’emploi autistes où de nombreux employeurs franco-ontariens répondent présents parmi les figurants.
Le succès du salon a permis à M. Forester de comprendre les enjeux de la communauté. « J’ai réalisé que 85 % des personnes autistes sont au chômage, et les 15 % qui sont employés ne gagnent pas plus de 10 000 dollars par an », regrette-t-il.

Cette année, pour la 9e édition du salon, et avec les nombreux partenariats que Neil Forester a pu réaliser, ce dernier recherche 25 de ces demandeurs d’emploi intéressés dans la construction et menuiserie afin qu’ils puissent bénéficier, tout au long de l’année, de formations dans des environnements sensoriels inclusifs au vu d’un programme avec le ministère du Travail.
Une prise d’indépendance délicate
Difficile d’oublier la colère des parents lors de la réforme du Programme ontarien des services en matière d’autisme (POSA) en 2019. « C’est un peu comme si le système s’était privatisé », remarque Gwénaël Laurent-Guy, père de Maëlys, une étudiante brillante diagnostiquée avec l’autisme d’Asperger qui pense passionnément à son avenir, à l’approche de ses 18 ans. Son père avoue s’interroger tous les jours : « On la voit décoller comme une fusée. On connaît sa différence, mais on ne veut pas la freiner. »
Au vu de la limite du POSA fixée à 18 ans, les jeunes adultes autistes peuvent se retourner vers le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées ou bien des Services de l’Ontario pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, mais les familles les accusent souvent d’être insuffisants.
Bradley Bezaire, responsable de la coordination des soins à Autisme Ontario, explique que ces programmes manquent de services de thérapie et en santé mentale, d’autant plus nécessaires à l’âge adulte et très longs à recevoir en langue française. Selon Gwénaël Laurent-Guy, le système actuel qui alloue des fonds aux parents afin qu’ils se fournissent dans le privé a fait gonfler les prix et les listes d’attente.

Dans une réponse à ONFR par courriel, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires soutient que le gouvernement a investi de 1,2 milliard de dollars de plus depuis 2017-2018 dans les services aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Néanmoins, le président de la SFOA, Carol Jolin, n’adhère pas au discours : « Il ne suffit pas de dire : on vous donne de l’argent et allez trouver les services parce que les services en l’état actuel sont très limités », soutient-il.
Les taux de prévalence du trouble du spectre de l’autisme sont en augmentation au Canada, c’est pourquoi M. Jolin affirme de surcroit que cela va peser sur les familles d’adultes autistes : « Ces parents seront obligés de s’absenter du travail ou de prendre des temps partiels ».