La tyrolienne du domaine des flocons. Gracieuseté Patrimoine canadien

OTTAWA – Le Bal de neige bat son plein jusqu’au 19 février à Ottawa et Gatineau. Mais la grande fête de l’hiver, tradition de la capitale fédérale depuis 1979, fait face à un défi de taille. Les températures plus douces causent entre autres la fermeture de la patinoire du canal Rideau, symbole de la ville et de l’événement. Entre l’ajout d’activités intérieures et la fabrication de neige artificielle, un changement de paradigme semble s’opérer lentement, mais sûrement.

« Ça fait plusieurs années qu’on fait des changements à la programmation pour s’adapter aux changements climatiques », lance d’entrée de jeu Charles Cardinal, gestionnaire principal du Bal de neige chez Patrimoine canadien, en entrevue avec ONFR. Il souligne qu’à son arrivée dans l’organisation, il y a 15 ans, « il y avait déjà un rapport qui parlait des changements climatiques à venir ».

C’est une accumulation de journées (douces) consécutives, et aussi le fait qu’il ne neige pas.
— Charles Cardinal, Patrimoine canadien

C’est aussi depuis une quinzaine d’années que des canons à neige sont utilisés au Domaine des flocons pour bâtir, entre autres, les énormes glissoires. Le principal défi lorsque la température est plus douce, c’est la fonte du parterre de neige. C’est pourquoi le Domaine des flocons, situé sur la rive gatinoise de la rivière des Outaouais, a ouvert ses portes une journée plus tard que prévu cette année. L’équipe a pris le temps de sécuriser le site en étalant plus de neige la nuit, lorsqu’il faisait plus froid. « Je pense qu’on est rendus des experts de la contingence », exprime Charles Cardinal.

Une fermeture de taille

En 2023, pour la première fois de son histoire, l’emblématique patinoire du canal Rideau n’a pas pu accueillir de visiteurs de toute la saison. Un an plus tard, elle n’a été accessible que quatre jours en janvier. Dans un communiqué envoyé le 8 février, la Commission de la capitale nationale (CCN) tentait de se faire rassurante.

« Nous effectuerons des tests lundi pour évaluer l’état de la glace et continuerons à travailler pour qu’il soit possible de rouvrir la patinoire dès que les conditions seront sûres. Nous sommes optimistes quant à la réouverture de la patinoire du canal Rideau en raison des températures plus froides prévues pour la semaine prochaine. »

Plus de 70 000 personnes se sont ruées sur la patinoire du Canal Rideau lors de ses quatre jours d’ouverture en janvier, selon la CCN. Gracieuseté Patrimoine canadien

Entre-temps, si plusieurs activités prévues sur le canal ont pu se déplacer, certaines n’ont pas cette possibilité. C’est le cas des courses du Festival de bateaux-dragons sur glace Queue de castor, pour lesquelles des athlètes voyageaient depuis aussi loin que les Pays-Bas et le Pakistan. 65 % des 1600 participants prévus arrivaient de l’extérieur.

« Les organisateurs ont épuisé tous les efforts pour tenir les courses à un autre endroit où les replanifier, dû aux exigences uniques des parcours en matière de taille, combinées aux prévisions météorologiques », pouvait-on lire dans un communiqué à quelques jours du festival.

Une offre modifiée

L’organisme Fierté dans la capitale est l’un des partenaires de programmation de Patrimoine canadien. Depuis 2019, la Fierté hivernale se déroule pendant le Bal de neige. Au micro d’ONFR, le directeur des affaires francophones de Fierté dans la capitale, Francesco MacAllister-Caruso, explique cette collaboration.

La fierté hivernale a lieu durant le Bal de neige depuis 2019. Gracieuseté : Patrimoine canadien

« C’est un événement si populaire que plusieurs personnes viennent dans la région pour vivre le Bal de neige. On espère que, pendant qu’ils seront en visite à Ottawa, ils verront nos événements de la fierté, qu’ils n’auraient peut-être pas vus normalement. »

L’une des activités est le défilé sur glace, qui en sera à sa deuxième édition. L’événement n’a encore jamais eu lieu à l’endroit pour lequel il a été pensé, la patinoire du canal Rideau. Les organisateurs avaient déjà un plan B et un plan C en tête. C’est finalement au parc Lansdowne que le défilé aura lieu, ce dimanche.

Une autre activité emblématique du Bal de neige a été modifiée cette année, mais le public n’y verra que du feu… ou de la glace. La compétition internationale de sculptures sur glace a connu des temps difficiles dans les dernières années.

En 2018 aussi, les sculptures avaient fondu avant la fin du Bal de neige. Crédit image : Rachel Crustin

« L’an dernier, après le premier week-end, toutes les sculptures avaient fondu », relate Charles Cardinal. Cette année, la compétition a été remplacée par une exposition qui se renouvelle toutes les fins de semaine, avec six nouveaux sculpteurs invités, encore une fois de partout dans le monde. Ils créent des œuvres en s’inspirant des thèmes de la programmation et peuvent discuter avec le public. « Ça garantit d’avoir des sculptures tout au long du Bal de neige, et ça permet aux visiteurs de voir des sculpteurs professionnels à l’œuvre chaque week-end », se réjouit le représentant de Patrimoine canadien.

Une question de perception

Le premier Bal de neige a été créé par la CCN en 1979 afin de « célébrer la culture et le climat nordique uniques du Canada », selon le site officiel de l’événement. À cette époque, l’entièreté de la programmation se tenait sur la patinoire du canal Rideau.

Depuis, l’offre s’est diversifiée afin d’occuper toute la capitale. Si les changements climatiques ne sont pas étrangers au fait que la moitié des activités soient prévues à l’intérieur en 2024, Charles Cardinal nuance. « Il y a aussi le fait que le Bal de neige est devenu très populaire. C’est quand même 600 000 visiteurs » par an, dont le quart vient de l’extérieur de la région.

La glissade au Domaine des flocons est une autre activité phare du Bal de neige. Gracieuseté Patrimoine canadien

600 000 visiteurs à qui il faut expliquer que la patinoire du canal Rideau, quand elle est ouverte, n’accueille désormais plus que 1 % des activités du Bal de neige. Selon M. Cardinal, « l’enjeu qu’on a, c’est que la patinoire est tellement une icône de Bal de neige que, quand elle est fermée, ils croient qu’il n’y a pas d’activités ». Il dit quand même comprendre l’envie des gens de vivre l’expérience de patiner sur la plus grande patinoire du monde.

Deux Glamottes, mascottes officielles du Bal de neige, croisées sur la rue Sparks lors de la première fin de semaine de l’édition 2024. Crédit image : Rachel Crustin

Pourtant, la programmation du Bal de neige continue de s’enrichir. Cette année, la rue Sparks accueille le tout premier OLG Buskerfest, version hivernale du Buskerfest d’Ottawa, un festival international d’arts de la rue. Au domaine des flocons, on pourra assister à une compétition de break dance organisée par Break City Montréal. Parmi les juges, on retrouvera le champion du monde de break dance, Phil Wizard.

Le temps doux a aussi des avantages

Selon le directeur des affaires publiques de Tourisme Ottawa, Jérôme Miousse, les températures plus douces ont aussi de bons côtés. Il prend l’exemple de 2023 où, malgré la fermeture de la patinoire du canal Rideau, le Bal de neige a accueilli un nombre de visiteurs semblable à 2019 et 2020, qui étaient de bonnes années.

« Il y a deux week-ends qui étaient plus chauds, qui se rapprochaient de -5, 0 degrés Celsius. Et ces fins de semaine ont été plus populaires que celle où on a eu de grands froids de -20, -25. »

Il souligne que les événements intérieurs, comme dans les musées, par exemple, sont plus populaires lors des grands froids.

Un mini pow-wow, organisé par Expériences autochtones, avait lieu au Musée canadien de l’Histoire lors de la première fin de semaine du Bal de neige 2024. Gracieuseté Patrimoine canadien

Tourisme Ottawa aurait aussi observé, en 2023, une hausse de visiteurs venus de régions situées à distance moyenne d’Ottawa. C’est le cas par exemple des Montréalais, qui peuvent faire l’aller-retour dans la même journée. « Ces gens-là étaient plus prompts à venir ici, parce que les routes étaient belles », affirme M. Miousse.

Le représentant de Tourisme Ottawa explique qu’il est difficile de mesurer l’impact réel de la fermeture de la patinoire, puisqu’il n’existe pas de données sur les motivations des gens à se rendre au Bal de neige, un événement gratuit, mais dont les retombées économiques sont tangibles.

« On voit un pic dans la demande hôtelière durant les trois weekends du Bal de neige »
— Jérôme Miousse, Tourisme Ottawa

Tourisme Ottawa veut aussi cultiver la tradition du Bal de neige pour les citoyens de la région. « Quand les visiteurs voient que les événements ont du succès au niveau local, ça leur donne d’autant plus le goût d’y assister eux aussi. »

La rue Sparks est pleine d’installations lumineuses, comme ce tunnel interactif. Crédit image : Rachel Crustin

Même s’il trouve important de continuer de diversifier la programmation pour être moins dépendants de la neige et de la glace, Jérôme Miousse relativise aussi. « On est à Ottawa. Il y a toujours eu des périodes de grands froids et des hivers un peu moins froids aussi. »

La glace est donc bien mince entre un temps trop froid, rébarbatif pour les familles, et un temps trop doux qui force l’annulation d’activités extérieures.

Le Bal de neige se déroule chaque année durant trois fins de semaine et se termine avec le Jour de la famille en Ontario. L’événement se poursuit donc jusqu’au 19 février.