Le commissaire aux langues officielles ouvre la porte aux sanctions
OTTAWA – Faire respecter la Loi sur les langues officielles par les institutions fédérales, surveiller la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles et demander au gouvernement une réelle modernisation de la Loi sur les langues officielles seront les priorités du mandat du commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, qui ouvre la porte aux possibilités de sanctionner les manquements en matière de langues officielles.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« Ces priorités englobent plusieurs dossiers. Si on réussit à les atteindre, on aura un impact sur l’immigration, l’éducation, la petite enfance… Et la modernisation de la Loi, tout le monde s’accorde à dire qu’il y a des changements à faire si on veut qu’elle soit actuelle et pertinente », explique M. Théberge à #ONfr, à la sortie de sa comparution devant le comité permanent des langues officielles, ce jeudi.
Alors que la première version de la Loi fêtera ses 50 ans en 2019, le commissaire espère un nouveau projet de loi d’ici 2020, estimant que le travail du Sénat, celui de sa propre équipe et celui des organismes comme la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada et du Quebec community group network (QCGN) évitent au gouvernement fédéral la nécessité de faire de larges consultations.
Après une cinquantaine de rencontres, un sondage en ligne auquel ont participé quelque 4 200 Canadiens d’Est en Ouest et l’analyse des mémoires déposés sur le sujet, M. Théberge a déjà quelques idées des choses à améliorer.
« On doit s’arrêter sur une structure où on sait exactement qui est responsable des langues officielles. On doit également penser à un mécanisme pour s’assurer que les institutions se conforment à la Loi. »
Ouvert aux sanctions
Car après mûre réflexion, explique-t-il, M. Théberge se montre ouvert à des sanctions pour les institutions qui ne respecteraient pas la Loi sur les langues officielles, reprenant certaines propositions émises par son prédécesseur, Graham Fraser, dans un rapport spécial sur Air Canada.
« Est-ce que j’ai les outils nécessaires pour bien faire mon travail? Est-ce qu’après 50 ans, les comportements ont changé? Pour certaines institutions oui, pour d’autres non. C’est toujours préférable d’y arriver par le dialogue, mais il faut donc peut-être d’autres outils. J’en ai mentionné deux qui devraient être considérés sérieusement, les ententes exécutoires et les sanctions administratives et pécuniaires. Ce sera aux parlementaires de trancher. »
Critiques de la FCFA et du QCGN
Ces derniers jours, le commissaire Théberge a fait l’objet de critiques de la FCFA et du QCGN qui l’accusent d’avoir changé sa façon d’enquêter les plaintes sur le volet « Promotion du français et de l’anglais », soit la Partie VII de la Loi, après un jugement de la Cour fédérale, en mai dernier.
Dans sa décision, le juge Gascon y remettait en cause le concept de mesures positives que le gouvernement est censé prendre envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, faute d’une définition claire. Ce jugement a eu un impact sur le traitement par le commissariat des plaintes contre l’entente Netflix, qui a été jugée non fondée.
« On nous dira que le commissaire n’a pas le choix. Peut-être, mais il est tout de même regrettable que cette modification aux enquêtes du commissaire se soit faite discrètement, sans que la FCFA ou d’autres intervenants communautaires soient mis au courant », déclarait la FCFA dans un billet d’actualité publié le 15 octobre.
Reconnaissant que le jugement Gascon l’a « beaucoup déçu », le commissaire défend toutefois son approche.
« Je dois respecter la Loi telle qu’elle existe aujourd’hui », dit-il, rappelant également son indépendance.
Celui-ci incite les gens à continuer à déposer plainte, y compris pour des manquements à la promotion du français et de l’anglais [Partie VII de LA Loi].
Faire pression sur le gouvernement
Mais selon l’avocat spécialisé en droits linguistiques, Michel Doucet, le commissaire pourrait en faire plus.
« C’est certain qu’il doit tenir compte du jugement, mais il va peut-être un peu trop loin quand il juge les plaintes liées à la Partie VII non recevables. Il pourrait faire passer un message au gouvernement, chercher à l’influencer pour qu’il prenne une action immédiate en précisant dans un règlement ce qu’est une mesure positive. Ça n’a jamais été clair, et ce que dit le juge Gascon, c’est que c’est au gouvernement de donner une définition. Le commissaire a porté la cause en appel [Fédération des francophones de la Colombie‑Britannique contre Emploi et Développement social Canada], mais ça risque d’être très long et il n’est pas sûr que les juges voudront clarifier ce concept. »
M. Théberge, qui devrait rencontrer la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, la semaine prochaine, assure qu’il évoquera cette question. Il semble toutefois prêt à attendre la future modernisation de la Loi.
« Il faut trouver une façon de voir ce qu’on fait avec la situation actuelle. On pourrait demander au gouvernement [de passer un règlement], mais ils sont devant les tribunaux. Il y a deux voies, la juridique et la législative. La voie juridique va prendre beaucoup de temps, alors je fonde beaucoup d’espoir sur la voie législative. »
Pour le porte-parole aux langues officielles du Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, il y a urgence.
« C’est votre rôle quand vous allez rencontrer Mme Joly de demander un règlement. C’est urgent! », a-t-il lancé au commissaire Théberge lors de sa comparution devant le comité.
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