Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

Qu’ont ces trois livres en commun : La danse du figuier, Moi, figuier sous la neige et Le figuier sous le toit? Ils ont tous trois été écrits par des femmes immigrantes (ou d’origine) et traitent de parcours de vie. Et, bien évidemment, dans les titres de ces trois livres figure le nom d’un arbre magique qui n’est autre que le figuier.

On se demande pourquoi ces trois autrices voyageuses ont inclus le figuier comme emblème de leur livre.

Le figuier sous le toit de Marguerite Andersen autrice franco-ontarienne qui nous a quittés en 2022 après une longue vie et une œuvre dense et riche, est un plongeon dans sa vie de jeune adolescente dans l’Allemagne d’Hitler, avec le souvenir vague d’avoir porté l’uniforme nazi.

Mais que vient faire le figuier, ou plus exactement, le ficus carica, cet arbre fruitier de la famille des Moracées qui donne un fruit comestible qu’on appelle la figue, dans ce retour en arrière que fait cette dame établie au Canada après avoir voyagé et vécu dans plusieurs pays du monde?

C’est justement lors de son séjour en Tunisie, alors qu’elle devient mère avec tous les défis que cette nouvelle identité peut apporter ou enlever à une femme, que Marguerite Andersen fait la connaissance de cet arbre symbolique de la Méditerranée ensoleillée. Plus tard, elle essaie de le planter sur le toit de son immeuble à Toronto.

Un déracinement. Une transplantation. Des gestes médicaux qui requièrent à la fois dextérité et rigueur. Mais lorsqu’il s’agit d’un arbre, et surtout d’un figuier natif de régions chaudes, cette opération peut-elle réussir dans un environnement froid et enneigé?

C’est presque arrivé et c’est ce que Marguerite Andersen (ou son alter ego dans le livre) essaye de faire sur son toit canadien avec un figuier tunisien : « Elle l’a mis dans un vieux tonneau sur le toit de l’immeuble et cet arbrisseau encore chétif a maintenant l’air de vouloir produire une toute petite figue avant la venue de l’horrible hiver. » 

Renouveau, persévérance et résilience

Se peut-il que ce figuier rappelle à l’autrice la vie ou le renouveau, la persévérance et la résilience? Ce qui est sûr, c’est que cet arbre peut vivre jusqu’à 300 ans et ainsi nous survivre. Et par conséquent, continuer à regarder le monde autour de lui, une fois après notre départ. Ses racines sont si profondes qu’il n’exige pas beaucoup d’entretien, un peu comme une autrice qui se renouvelle et trouve dans la littérature le terreau fertile pour grandir.

Chez Elkahna Talbi, l’autrice de Moi, figuier sous la neige, le figuier revêt un autre symbole. La poétesse et artiste aussi connue sous le nom Queen Ka (depuis elle a publié un autre recueil : Pomme Grenade) raconte qu’elle se promène dans les rues de Montréal avec, sous le bras, un figuier secret.

« Le figuier est l’écho du pays d’origine. Il est le frère que je n’ai pas eu. Il est un peu moi », se révèle-t-elle. Le figuier est cet arbre que son père tunisien a ramené de Tunisie et qu’il a replanté dans le sol québécois. Une manière d’étancher sa soif nostalgique. Tant que ce figuier survivra, je survivrai.

Mais pour Elkahna Talbi, Québécoise de seconde génération de parents immigrants, cet arbre n’a pas la même signification que celle que son père lui confère. C’est un rappel presque quotidien de son altérité, de celle qui est d’ici et d’ailleurs. De celle qui navigue sur des eaux calmes jusqu’à ce que les événements du 11 septembre 2001 lui éclaboussent le visage, que ces eaux s’agitent, que la question de ses origines remonte à la surface. Et la navigation devient difficile par moments et délicate par d’autres.

La poésie d’Elkahna Talbi est sensorielle et percutante. Elle dit vrai : « C’est dans l’écriture que j’ai trouvé mon pays, une poésie au-delà des frontières ». Le figuier est ce pont entre ses parents et elle, et c’est aussi son gri-gri qui lui donne la force de répondre aux questionnements des autres tantôt sournois, tantôt bénins.

Un rôle de pilier, un feu éternel

Pour Emné Nasereddine enfin, La danse du figuier est un hymne à la grand-mère et à la mère, et surtout, à la terre des ancêtres. Cette terre libanaise couverte de sang, de débris et de pauvreté… et qui continue pourtant à faire pousser des arbres. Surtout le figuier qui vit dans la cour de sa grand-mère.

Il y a la notion de joie et de fête dans la danse, et pourtant, le livre d’Emné Nasereddine est dur et enrobé d’une tristesse douce et constante. Avec la mort de la mère, tout devient banal. Même le bonheur. Le deuil est lourd à porter, mais il y a toujours ce retour en arrière vers cette terre qui symbolise la naissance et la résilience.

L’autrice rend hommage à ces femmes libanaises dont le deuil se porte toujours à bout de bras. Les nourrissons qui meurent. Les maris qui disparaissent. Les enfants qui émigrent et laissent un trou béant dans le cœur maternel et dans les branches de la fratrie qu’aucune pousse ne peut remplacer. Et le figuier qui joue le rôle de la pièce centrale. Le pilier. Le feu éternel autour duquel on danse pour oublier le deuil, pour oublier la violence des hommes qui rend les femmes tristes.

Ces trois livres et le rôle que prend le figuier dans chacun d’entre eux sont fascinants. Même si pour Elkahna et pour Nasereddine, le figuier est natif de leur terre ancestrale, il reste pour Anderson, cet arbre exotique dont elle fait connaissance lors de son séjour en Tunisie et auquel elle s’attache au point de vouloir le transplanter à Toronto, sa ville d’adoption.

Je me rappelle avoir lu le livre de Joy Kogawa, Obasan, et sa description du dernier moment où elle est obligée de faire ses adieux à la maison familiale, exilée par le gouvernement canadien dans les terres intérieures et désertes de la Colombie-Britannique. La petite Joy entoure le cerisier de leur cour arrière avec ses mains et fait un vœu : celui de revenir un jour à sa maison natale.

Ce vœu sera exaucé des années plus tard. Encore un arbre magique. Encore un livre magnifique. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.