Charles Milliard, président de la Fédération des chambres de commerce du Québec, au Toronto Global Forum. Crédit image: Rudy Chabannes

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), organisation cofondatrice de l’Alliance de la francophonie économique canadienne (AFEC), participait au Toronto Global Forum.

LE CONTEXTE :

L’avantage commercial de la francophonie et le bilinguisme dans la guerre des talents étaient au coeur de la 17e édition qui a rassemblé durant trois jours cette semaine les leaders économiques canadiens.

L’ENJEU :

Alors que l’Ontario fait face à une pénurie de main d’oeuvre critique dans de multiples secteurs, attirer de la main d’oeuvre qualifiée dans les deux langues officielles devient crucial.

« Avec l’Ontario, l’Alberta et le Nouveau-Brunswick, la FCCQ est à l’origine de l’AFEC. Où en êtes-vous dans ce projet lancé en février dernier?

On vient de s’enregistrer comme organisation officielle. On va avoir des discussions avec le gouvernement fédéral sur de potentielles collaborations et on cherche des partenaires pour avoir un représentant par province qui va défendre les intérêts franco-canadiens à l’intérieur de l’Alliance.

Quel intérêt les entreprises et chambres de commerce québécoises ont-elles à voir se développer un tissu économique de langue française en Ontario et ailleurs au Canada?

Il y a un intérêt économique et politique. Au niveau économique, on veut connecter davantage avec les entrepreneurs car c’est beau de faire du commerce international mais le commerce à l’intérieur du Canada est sous-utilisé, selon moi. On a plusieurs initiatives entre le Québec, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario pour valoriser cet entrepreneuriat-là.

Et sur le plan politique et international?

Il y a un discours identitaire très important au Québec. On parle beaucoup du français dans un contexte défensif mais le français est aussi un outil offensif en matière économique. La stagnation voire le déclin du français au Canada est à contre-courant de la tendance sur la scène internationale où le français est en croissance dans le monde. Le nombre de locuteurs augmentera de 500 à 800 millions en 50 ans selon les projections, majoritairement sur le continent africain. Et la part du PIB mondial consacrée aux affaires francophones est beaucoup plus importante qu’on ne le pense.

Le français comme langue d’affaires en Amérique du Nord, n’est-ce pas un peu utopique, ou tout du moins exagéré?

Non, je ne suis pas d’accord avec ça. Le français est l’une des trois plus grandes langues d’affaires au monde. C’est la plus répandue sur la planète avec l’anglais. Le Canada est un pays du G7 qui a le français pour langue officielle. Tout ça compte. L’idée n’est pas que les gens parlent français mais utilisent le français comme langue d’affaires.

Mais les échanges se font avant tout en anglais...

L’idée est de voir le français comme un outil supplémentaire. Ce n’est pas une guerre du français contre l’anglais mais une complémentarité entre l’un et l’autre. Être Canadien et bilingue est un atout sous-valorisé car on parle toujours du français dans un contexte identitaire, plutôt qu’économique.

Le français permet aussi aide mieux connaitre les réalités d’affaires des autres régions du pays, sans compter qu’on a un accord de libre-échange canadien, un levier sous-utilisé. Des PME québécoises connaissent mieux les marchés français et américain que le marché albertain qui est pourtant en croissance exponentielle. Mettre de l’avant ce Canada bilingue est en outre un outil d’attraction pour des entreprises internationales qui veulent réussir sur le marché francophone.

Comment qualifieriez-vous la francophonie économique hors Québec vue de la Belle Province?

C’est une francophonie vivante avec des réseaux méconnus. Une entreprise de Rimouski n’a aucune idée de l’ampleur ni de la réalité de cette francophonie d’ailleurs. On veut la faire connaître avec l’AFEC, s’entraider et amener un marché qui représente 8 millions de personnes qui parlent français. Les entreprises francophones représentent en retour un point de contact pour aider les nôtres à s’implanter au-delà des frontières.

Les entreprises de l’Ontario et du Québec sont en concurrence sur le marché de l’emploi pour attirer les talents bilingues. Où est la frontière entre collaboration et compétition?

On peut collaborer sur certaines choses et être en compétition sur d’autres. L’immigration économique est un enjeu important et on la veut majoritairement en français. Attirer des travailleurs francophones est  forcément une compétition et on la perçoit d’ailleurs particulièrement à la frontière. Les entreprises ontariennes disent aux travailleurs du Québec « Venez » et c’est de bonne guerre. Ça n’empêche pas les collaborations économiques en vue de développer les échanges.

Le volume des échanges interprovinciaux est-il à la hauteur selon vous entre le Québec, l’Ontario et les autres provinces?

La connexion économique entre l’Ontario et le Québec est déjà très forte. On peut l’accroître, mais je pense aussi aux autres provinces. Si on prend le cas de l’Alberta, il y a un désert de connaissance des réalités entre le Québec et cette province, alors que c’est une communauté de pensée assez similaire. On doit chercher à les rapprocher. Le potentiel est colossal. »