Le poste de Theresa Tam devrait-il être désigné bilingue?
OTTAWA – Le poste d’administrateur en chef de la santé publique du Canada devrait-il être bilingue? L’idée, lancée ce jeudi devant le comité permanent des langues officielles, n’est pas sans rappeler la Loi de la néo-démocrate Alexandrine Latendresse, en 2013.
Dans un rapport dévoilé fin octobre, le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, pointait du doigt les nombreux accrocs à la Loi sur les langues officielles en temps de crise.
Pour mieux comprendre le problème, le comité permanent des langues officielles a décidé de lancer une étude. Et pour leur première réunion sur le sujet, les parlementaires ont reçu plusieurs pistes de solutions. Parmi elles, celle de la politologue au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, retient l’attention.
« Nous avons rapidement réalisé que l’administrateur en chef de la santé publique du Canada – un rôle auparavant obscur pour la majorité des Canadiens – devient un acteur de premier plan dans la communication et la coordination en temps de pandémie Ce poste devrait être bilingue au même titre que les agents du parlement. »
Un unilinguisme qui pose problème
Le poste d’administrateur en chef de la santé publique du Canada a été créé en 2004, à la suite de la crise du SRAS. Il ne comporte toutefois aucune obligation linguistique : « La maîtrise des deux langues officielles serait préférable », est-il seulement indiqué.
Le rôle de l’administrateur en chef est de donner des conseils à la ministre de la Santé, d’appuyer et de conseiller la présidente de l’Agence de la santé publique du Canada et de communiquer avec les Canadiens sur la santé publique, y compris en cas d’urgence.
Spécialiste en matière d’immunisation, de maladies infectieuses, de préparation aux situations d’urgence et d’initiatives de sécurité sanitaire mondiale, Theresa Tam a été nommée en juin 2017. Elle terminera son mandat en juin 2022 et celui-ci peut être renouvelé indéfiniment, selon la Loi sur l’Agence de la santé publique du Canada.
Mise sur le devant de la scène depuis mars, son incapacité à communiquer dans les deux langues officielles a fait grincer quelques dents, même si elle a souvent été épaulée par le sous-administrateur en chef de la santé publique, le Dr Howard Njoo, pour partager les informations en français.
« C’est elle qui est la voix et le visage d’un poste qui s’est avéré primordial. De plus, son bras droit n’était pas toujours là », souligne toutefois Mme Chouinard.
Le précédent Latendresse
Cette proposition n’est pas sans rappeler le projet de loi sur les compétences linguistiques, adopté en 2013, d’Alexandrine Latendresse.
À l’époque, réagissant à la nomination controversée de l’unilingue anglophone Michael Ferguson au poste de vérificateur général par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, l’élue néo-démocrate avait réussi à faire passer une loi obligeant l’embauche de personnes préalablement bilingues pour dix postes-clés au niveau fédéral.
Résultat, les postes de vérificateur général, directeur général des élections, commissaire aux langues officielles, commissaire à la protection de la vie privée, commissaire à l’information, conseiller sénatorial en éthique, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, commissaire au lobbying, commissaire à l’intégrité du secteur public et président de la Commission de la fonction publique sont désormais tous désignés bilingues.
« Le projet de loi Latendresse a ramené à l’avant-plan l’importance que les agents du parlement soient en mesure de s’adresser aux Canadiens dans les deux langues officielles. Mais ça me semble une anomalie que le poste de l’administratrice en chef de la santé publique du Canada ne soit pas désigné bilingue, surtout avec ce qu’on voit depuis mars », a insisté Mme Chouinard devant le comité.
Enthousiasme de la FCFA, l’opposition partagée
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada accueille cette proposition avec enthousiasme.
« Absolument qu’on appuierait cette idée. Notre projet de loi-modèle [sur les langues officielles] proposait d’ailleurs que les hauts fonctionnaires soient bilingues. D’autre part, il va de soi qu’en situation d’urgence comme la COVID-19, les gens veulent entendre les principaux porte-parole gouvernementaux leur parler dans leur langue officielle », indique l’organisme.
Du côté du Parti conservateur du Canada (PCC), on se montre plus prudent.
« Nous avons pris note de cet échange et nous étudierons la question. Il est néanmoins impératif que l’Agence de la santé publique puisse relayer l’information dans les deux langues officielles. (…) C’est une question de sécurité. Mme Tam, M. Njoo et leur équipe ont jusqu’ici été en mesure de le faire depuis le début de la pandémie. Rien n’indique que cela va changer », a réagi le bureau du porte-parole aux langues officielles conservateur, Alain Rayes.
Au Nouveau Parti démocratique (NPD), on reconnaît « le travail important que fait la Dre Tam », mais le bureau de Niki Ashton indique, dans un échange de courriels, « qu’il est aussi important à l’avenir que les hauts fonctionnaires soient bilingues, comme le NPD l’a notamment proposé pour les juges à la Cour suprême et le bilinguisme chez les hauts fonctionnaires du parlement ».
Mme Chouinard précise en entrevue que sa suggestion n’a rien d’une critique contre la Dre Tam.
« Ce n’est absolument pas une critique personnelle, c’est juste que ce poste-là a deux mandats particuliers, soit de communiquer avec les Canadiens et de coordonner avec tous les intervenants. Si la personne en poste ne peut pas le faire dans les deux langues officielles, il n’y a pas d’égalité réelle. Dans certains coins du pays, l’interprétation simultanée n’était accessible que sur retranscription numérique, donc certains Canadiens n’y ont pas eu accès en temps réel. »
Contacté par ONFR+, le bureau de la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, par la voix de sa porte-parole Catherine Mounier-Desrochers, dit comprendre « à quel point il est crucial pour les Canadiens d’avoir accès aux informations de santé dans leur langue pendant cette pandémie ».
Mais il ne se positionne pas sur la possibilité de rendre le poste d’administrateur en chef de la santé publique bilingue.
« Les Canadiens s’attendent de leurs gouvernements, tous paliers confondus, qu’ils communiquent avec eux dans la langue officielle de leur choix. Le plein respect de la Loi sur les langues officielles par les institutions fédérales en temps de crise est une question de sécurité et nous allons continuer de communiquer les informations importantes de façon rapide et efficace et ce, dans les deux langues officielles. »
Cet article a été mis à jour le vendredi 27 novembre, à 12h