Le projet de loi 96 ne devrait pas avoir de répercussion négative sur les francophones du reste du Canada
OTTAWA – La volonté du Québec d’inscrire dans la Constitution canadienne qu’il est une nation et que sa langue est le français, ne menace pas les droits linguistiques des communautés francophones et acadienne du Canada, ni ceux de la minorité anglophone du Québec.
C’est l’avis du constitutionnaliste Patrick Taillon, de la Faculté de Droit de l’Université Laval, à Québec. Rappelons que le projet de loi 96, déposé à l’Assemblée nationale par le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec) prévoit d’inscrire dans la Constitution canadienne que le Québec est une nation et que sa langue est le français.
Au cours des derniers jours, la décision du gouvernement québécois d’agir ainsi unilatéralement a soulevé des inquiétudes notamment en ce qui a trait au bilinguisme au Nouveau-Brunswick. Mais le professeur Taillon dit qu’il ne faut pas s’alarmer.
« Abolir le bilinguisme au Nouveau-Brunswick serait l’équivalent d’abolir l’article 133 pour les anglophones du Québec. Ce n’est pas possible de faire ça unilatéralement. Il faut l’accord du fédéral en vertu de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 », tranche Patrick Taillon.
Toutes les provinces ont le droit d’amender la Constitution, à condition que le changement apporté ne concerne aucun autre partenaire de la fédération canadienne.
Ce droit s’applique en vertu de l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982. Mais il existait déjà dans la Loi constitutionnelle de 1867, qui se nommait autrefois Acte de l’Amérique du Nord britannique.
« À l’origine, l’idée que la Constitution peut être modifiée unilatéralement par une province, sans l’accord du reste du Canada, c’est quelque chose qui existe depuis toujours. Avant 1982, qui avait le pouvoir officiel de modifier la Constitution du Canada? C’était le Parlement britannique. Et il faut imaginer un Parlement britannique qui ne veut pas nécessairement fixer tous les détails de l’organisation des colonies », explique le professeur Taillon.
Toutefois, ce pouvoir conféré aux provinces a ses limites.
« Mais attention, avant 1982 comme après, ça permet seulement de faire certains changements, dans un ‘‘carré de sable’’ bien limité. Et ce qui est vrai pour le Québec est vrai pour les autres provinces. Elles ont toutes le même article 45 (Loi constitutionnelle de 1982) et ont toutes ce pouvoir-là, mais ce qui est compliqué, c’est de déterminer l’étendue du ‘‘carré de sable’’. Grosso modo, une province peut modifier seulement des dispositions qui la concerne elle. Dès que ça concerne aussi le fédéral, ou les autres provinces, c’est fini, ça ne marche pas », tranche le constitutionnaliste.
Une province ne peut pas changer unilatéralement le partage des pouvoirs entre elle et le gouvernement fédéral, par exemple.
« L’autre chose qui n’est pas possible, c’est de changer ce que la Cour suprême appelle des arrangements spéciaux, ou parfois, elle parle de compromis historiques qui ont pu être négociés et qui sont un peu comme des garanties. Donc, l’article 43 (de la Loi constitutionnelle de 1982), c’est ça. Ce sont des règles qui s’appliquent seulement dans certaines provinces, mais qui sont des arrangements spéciaux et des compromis historiques protégés, donc, pas modifiables unilatéralement, et la langue, ça entre là-dedans, c’est même écrit à l’article 43 », poursuit le professeur Taillon.
« Le gouvernement Legault, lui, il propose deux changements : le premier sur la nation qui semble un peu plus substantiel, mais qui étonnamment entre moins en conflit avec les autres procédures. Mais attention, à l’époque de Meech et de Charlottetown, lorsque l’on parlait de société distincte, on parlait d’une reconnaissance, donc tout le Canada qui reconnaissait le Québec en tant que société distincte et on ordonnait aux juges d’en tenir compte dans l’interprétation de la Constitution », précise-t-il.
Ainsi, en agissant de la sorte, « le Québec se définit lui-même, et donc, cela ne suppose pas que le reste du pays le reconnait comme ça. Il inscrit ça dans sa constitution. Personnellement, je pense que ça aurait été plus clair, si le libellé de l’article en question (dans le projet de loi 96) avait été « Sous réserve de l’article 133, le Québec a pour langue officielle le français » ou « Sous réserve des droits reconnus aux anglophones du Québec… », ce qui éviterait toute ambiguïté », estime le professeur Taillon.
Une motion qui ne fait pas l’unanimité
Mercredi, le Bloc québécois a échoué dans sa tentative de faire adopter unanimement, à la Chambre des communes, une motion reconnaissant le droit du Québec de modifier sa propre constitution demande à la Chambre des communes de reconnaître son droit de modifier la Constitution.
« Que cette Chambre convienne que l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 confère au Québec et aux provinces la compétence exclusive pour modifier leurs constitutions respectives; et prenne acte de la volonté du Québec d’inscrire dans sa constitution que les Québécoises et les Québécois forment une nation, que le français est la seule langue officielle du Québec et qu’il est aussi la langue commune de la nation québécoise. »
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, dit qu’il s’agissait d’un « test de sincérité » pour les autres formations politiques.
« Je ne souhaite pas que nous nous satisfassions d’une approbation à la sauvette, mais bien que de façon claire et formelle la Chambre des communes prenne acte que le Québec s’affirme comme nation dont la seule langue officielle et commune est le français. La grande vertu des réactions des différents chefs semble nous assurer que la motion sera bel et bien adoptée, avec seule faiblesse, un contrôle parfois moins solide de certains chefs sur leurs caucus », a déclaré le chef bloquiste dans un communiqué.
En point de presse, en fin d’après-midi, M. Blanchet a expliqué pourquoi il tenait à ce qu’il y ait un vote de reconnaissance du droit du Québec à s’affirmer en tant que nation de langue française. Selon lui, après un tel vote, il serait plus difficile pour le fédéral de s’ingérer dans la politique linguistique du Québec.
« La pertinence et la légitimité du fédéral d’aller soutenir de possibles contestations à la Loi 96 ou la possibilité que le fédéral se place en concurrence de la Loi 96, par exemple en intervenant sur l’application de la Charte de la langue française aux entreprises sous juridiction fédérale, mais implantées au Québec. Ce sont des enjeux qu’on n’a pas le droit de regarder passer. Ce sont des enjeux au bénéfice desquels nous devons assurer les coudées franches à l’Assemblée nationale du Québec et au gouvernement du Québec », a-t-il expliqué.
Par ailleurs, M. Blanchet considère que le projet de loi 96 n’est pas une tentative de ressusciter la notion de société distincte qui fut au cœur du débat sur le projet d’accord constitutionnel du lac Meech dans les années 1980.
« La notion de « Société distincte » en regard de l’histoire était un amalgame de compromis où il fallait utiliser un mot et pas tel autre, peut-être, on est pas sûr… mais y a-t-il quelque chose de plus clair que ‘‘nation’’? ‘‘Nation’’ d’ailleurs dépouillé de cette espèce de handicap que les conservateurs avaient voulu lui accrocher comme quoi que c’était une nation seulement si ça faisait partie du Canada, ce qui, a sa façon, est une aberration. »
M. Blanchet a l’intention de revenir à la charge et de forcer un vote par appel nominal sur la motion lors d’une journée d’opposition.
« Cette motion est le reflet d’un très vaste consensus au Québec. C’est sans nul doute pourquoi nous constatons l’appui des libéraux en tant que parti gouvernemental, alors qu’aucune opposition à cette motion n’a été signifiée dans leur rang. Idem du côté des conservateurs et du NPD. J’observe donc un large consensus des partis fédéraux au sujet de la démarche d’affirmation de la nation québécoise et je m’attends donc à un appui fort de chacun lors du vote dans le cadre de notre éventuelle journée d’opposition », a conclu M. Blanchet.