Le réchauffement climatique pourrait aggraver l’état de l’eau potable

Sur les réseaux sociaux, un père de famille à Casselman a écrit: "notre enfant de huit mois a dû se baigner là-dedans ce soir". Crédit image : Corey James

De nombreuses municipalités de l’Est ontarien se trouvent près de sources d’eaux de plus en plus vulnérables. L’état de l’eau potable pourrait se détériorer selon plusieurs experts. Alors que la ville de Casselman enregistrait récemment des taux élevés de manganèse dans l’eau, le réchauffement climatique deviendrait un véritable défi pour conserver la qualité de ce bien vital.

Le cas de Casselman est un bon exemple pour comprendre comment l’eau peut changer de statut et pourquoi ce type d’événement pourrait devenir plus fréquent à l’avenir. Au début du mois de juillet, la municipalité a retrouvé un taux historique de manganèse dans l’eau de 0,45 mg/L.

Le professeur de l’Université d’Ottawa, Hossein Bonakdari, pense que « le réchauffement climatique entraîne des modifications dans les écosystèmes aquatiques, tels que l’augmentation des températures de l’eau, les changements de régime de précipitations et les variations de débit des cours d’eau. Ces changements peuvent créer des conditions favorables à l’apparition de nouvelles espèces de bactéries ou à la prolifération de certaines déjà présentes, ce qui peut augmenter les risques pour la qualité de l’eau. »

Pour l’urbaniste de Conversation de la Nation Sud, Claire Lemay, « le comité de protection des sources est conscient que le changement climatique peut causer des nouvelles vulnérabilités et c’est quelque chose qui pourrait être étudié dans le futur ».

« Il a des problèmes avec les niveaux de chlorure dans l’eau dans certaines régions, surtout dans les puits privés », explique-t-elle. « Le sel des routes est un problème, les puits plus profonds et les nappes phréatiques de l’ancienne mer de Champlain ont des niveaux assez élevés de chlorure. »

Claire Lemay est urbaniste principale à la Conservation de la Nation Sud. Gracieuseté

Hossein Bonakdari indique aussi que l’intensification des événements météorologiques extrêmes (fortes pluies, tempêtes et inondations), « pourra entraîner une augmentation des charges de contaminants dans l’eau, y compris de nouvelles souches bactériennes provenant de sources telles que les déversements d’eaux usées ou l’agriculture ».

Enfin, l’élévation des températures de l’eau due au réchauffement climatique pourrait, là encore, « favoriserait la croissance bactérienne et réduirait l’efficacité des traitements de désinfection ». Pour le scientifique, cela pourrait entraîner « une augmentation des risques associés à des bactéries pathogènes dans l’eau potable ou dans les sources d’eau récréatives ».

D’après Conservation de la Nation Sud, certaines prises d’eau telles que Casselman, Hawkesbury, Prescott, Alexandria, Lefaivre et bien d’autres seraient vulnérables et menacées face au traitement des eaux usées, aux sites d’élimination des déchets, aux activités agricoles, aux pesticides, au sel, aux carburants et aux produits chimiques. 

Protéger l’eau à tout prix

Pour ce faire, les municipalités devront, à l’avenir, investir dans les stations d’épuration et penser à de nouvelles technologies. M. Bonakdari soutient qu’il faudra « mettre en place des programmes de surveillance de l’eau robustes, investir dans des technologies avancées capables de traiter efficacement les contaminants émergents tels que les produits chimiques agricoles, les microplastiques et les toxines d’algues ». 

Il suggère de mettre en place des systèmes de réserve d’eau pour faire face aux périodes de sécheresse et de pénurie d’eau.

La rivière de la Nation Sud à Casselman. En 2016, en 2019 et rebelote en 2023, du manganèse a été retrouvé dans l’eau du village. Crédit image : Sébastien Pierroz

Enfin, pour le scientifique, la gestion durable de l’eau nécessitera la collaboration entre les gouvernements, les organismes de gestion de l’eau, les universités, les groupes communautaires et les citoyens.

Il existe aussi les plans de protection des sources, comme le rappelle le bureau du ministère de l’Environnement : « Les autorités responsables de la protection des sources maintiennent à jour les plans afin de garantir qu’ils reflètent les dernières avancées scientifiques et que tous les nouveaux systèmes d’eau potable municipaux ou en expansion sont protégés. »

Claire Lemay sait pourtant qu’il sera « difficile pour les municipalités et surtout les plus petites municipalités avec des budgets restreints de suivre tout ce qui sera nécessaire dans le futur pour s’assurer une bonne qualité et quantité d’eau ». 

« Cela sera tout un problème, même si les technologies existent ou non, c’est vraiment l’implémentation des infrastructures qui seront nécessaires », croit-elle. 

Du manganèse dans l’eau de Casselman

« Les variations saisonnières sont une première explication de la qualité de l’eau dans la rivière Nation Sud », affirme Hossein Bonakdari, expert sur les questions liées au changement climatique. 

La ville de Casselman puise son eau directement dans la rivière de la Nation Sud. 

« Casselman est la seule municipalité qui prend directement son eau de la rivière », explique Claire Lemay, urbaniste principale chez Conservation de la Nation Sud. 

La rivière de la Nation à Plantagenet. Crédit image : P199 – travail personnel via Wikimedia, CC BY-SA 3.0

Les autres municipalités sont desservies par le fleuve Saint-Laurent, la rivière des Outaouais, la rivière Garry, le lac Saint-François, les sources de Raisin-Nation Sud, les puits ou nappes phréatiques. Certaines municipalités bénéficient de l’eau grâce à un système de canalisations souterraines. La région de protection des sources Raisin-Nation Sud comprend 26 systèmes municipaux d’eau potable (13 souterrains et 13 eaux de surface).

Pour autant, « les contaminants possibles ou les activités qui sont considérées comme des risques sont les mêmes pour toute notre région », assure Mme Lemay.

« L’eau municipale en Ontario doit respecter les normes provinciales. Donc, c’est la responsabilité des municipalités de s’assurer que la qualité de l’eau potable respecte ces normes. », assure l’urbaniste. 

Pourtant, d’après le communiqué de la Ville de Casselman, le 5 juillet dernier, un taux historique de manganèse a été retrouvé dans l’eau (0,45 mg/L). Le médecin en chef du bureau de santé publique de l’est de l’Ontario, le docteur Paul Roumeliotis, expliquait dans la missive qu’il n’y avait pas de normes sur la qualité de l’eau potable en Ontario, concernant le manganèse. Cependant, Santé Canada recommande une concentration maximale acceptable (CMA) de 0,12 mg/L dans l’eau potable. 

Hossein Bonakdari est professeur agrégé en génie civil de l’Université d’Ottawa, expert du changement climatique. Gracieuseté

D’après le professeur Bonakdari, les changements de débit ou l’augmentation des ruissellements, pourrait influencer la concentration de manganèse dans l’eau. Ces variations pourraient ne pas être adéquatement traitées par les processus de traitement actuels.

Claire Lemay explique que le manganèse est un minéral qui est naturellement présent dans l’eau de la rivière Nation Sud. « C’est lorsque les températures sont élevées et qu’il y a des niveaux assez bas de l’eau dans la rivière que ces phénomènes se produisent. C’est le cas avec la récente sécheresse, ce qui a permis au soleil d’atteindre le fond du nid de la rivière et aux minéraux de pénétrer l’eau. » 

Pour Hossein Bonakdari, il se déroule aussi un « processus biologique ». 

« Les conditions chaudes et sèches peuvent également affecter les processus biologiques dans la rivière. Certains microorganismes et bactéries jouent un rôle dans le cycle du manganèse. Les changements de température, les niveaux d’oxygène dissous et d’autres facteurs environnementaux pendant ces périodes peuvent influencer l’activité de ces organismes, impactant la concentration de manganèse. »

Une carte montrant les villes qui puisent eux-mêmes l’eau (en vert). L’eau potable municipale des villes indiquées par un point rouge est assurée par un réseau de canalisation à partir du système de distribution de l’eau traitée. Crédit image : Conservation de la Nation Sud

Même si l’on comprend que cet évènement s’est produit à plusieurs reprises et pourrait réapparaitre, l’Agence ontarienne des eaux (AOE), en entrevue avec ONFR+ estime que 99,9 % des tests provenant de systèmes d’eau potable résidentiels municipaux respectaient les normes en 2022-2023. Ces systèmes font l’objet d’inspections annuelles par le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs. 

Pour autant, « un dépassement d’une norme sanitaire constitue un incident de qualité de l’eau nuisible et indique une menace potentielle pour l’eau potable », précise Lindsay Davidson du bureau du ministre. 

D’ailleurs, la présence de substances naturellement présentes en quantité élevée dans l’eau potable n’est pas exclusive à Casselman, explique-t-il. « Toutes les usines de traitement de l’eau potable municipale en Ontario peuvent connaître une fluctuation de la qualité des eaux de sources, ce qui peut entraîner des changements esthétiques par exemple. Les municipalités sont tenues d’ajuster leurs processus. »

Un habitant de Casselman a partagé cette photo prise le samedi 15 juillet, cela fait près de deux semaines que l’eau est brune et malodorante dans le village. Gracieuseté

Pour ce qui est de Casselman, la mairesse Lajoie avait déclaré dans son dernier communiqué vouloir trouver une nouvelle source d’alimentation en eau potable pour la ville. En 2016, 2019 et en 2023, la Ville a recensé des taux anormalement élevés de manganèse dans l’eau municipale.