Le sirop d’érable est-il en danger en Ontario?
Le réchauffement climatique a indéniablement un impact sur l’agriculture, mais qu’en est-il de l’acériculture, la culture des érables? Dans l’Est, là se trouve une grande partie de la production ontarienne, les inquiétudes montent chez les producteurs et plusieurs des récents phénomènes météorologiques laissent craindre le pire quant à la pérennité du métier.
Avec le réchauffement climatique, les érables subissent des stress hydriques, des maladies, la propagation d’insectes, des incendies de forêt et d’autres problèmes environnementaux qui peuvent affecter leur santé et leur croissance.
Pour autant, dans certaines régions, le réchauffement climatique peut avoir un impact positif sur la croissance des érables, car il peut prolonger la saison de croissance et augmenter la disponibilité de l’eau. C’est pourquoi on parle d’une niche climatique qui se déplacerait vers le nord du pays.
Laurent Souligny, acériculteur à St-Isidore, ne voit pas encore de graves effets indésirables sur son érablière. « Gérer une érablière, c’est quelque chose d’imprévisible. On sait que c’est lié au climat, c’est sûr, mais pour l’instant, c’est gérable. »
« Après, les unités de chaleurs augmentent, même si je ne vois pas de danger sur mon érablière, j’ai quand même vu des invasions d’insectes et de chenilles qui n’étaient pas là avant. »
Dans d’autres régions, le réchauffement climatique peut avoir un impact négatif en raison de la diminution des précipitations et de l’augmentation des températures extrêmes. En Ontario, c’est cet aspect qui inquiète quelques acériculteurs, tels que Claude Castonguay, propriétaire de la sucrerie Frank Sugar Shack à Moose Creek, lui aussi dans l’Est.
Le producteur de sirop d’érable explique à ce titre que, sur ses terres, certains érables sont en bonne santé, mais d’autres meurent. « Je me demande pourquoi. on fait pourtant attention quand on les entaille », s’inquiète M. Castonguay.
En 2015, quand M. Castonguay est devenu propriétaire de son érablière, il a fait en sorte de ne pas trop ouvrir le bois. « C’est important de faire attention, et cela, pour plusieurs raisons », explique-t-il. « Il ne faut pas que les érables attrapent un coup de soleil et il faut éviter les couloirs venteux. »
Insectes ravageurs : une réalité des changements climatiques
Bien que cela ne paraisse pas évident, la multiplication des insectes en milieu boisé est favorisée par les changements climatiques. Les érables dans l’Est ontarien sont par exemple indirectement affectés par l’agrile du frêne.
Sur les parcelles de M. Castonguay au milieu de ses érables vivent plusieurs sortent d’arbres, dont des frênes, arbres de grande taille qui fournissent de l’ombre. Lorsqu’ils sont tués par l’agrile, cela peut avoir un impact sur les écosystèmes locaux. Dans les forêts, l’agrile du frêne a causé la mort de millions d’arbres, ce qui a eu des impacts écologiques importants à l’échelle du Canada.
Pour le producteur, perdre un érable serait tragique. Il compare cette perte au chagrin que lui procurerait la perte d’un animal. Pour anticiper ce risque, il plante entre 100 et 150 nouveaux érables chaque année. « J’espère que les nouveaux arbres vont s’adapter au climat et qu’il y aura moins de lumière dans le bois. »
« Je constate aussi que certains de mes arbres perdent leur écorce et ce n’est pas normal. S’ils perdent leur écorce, ils ne pourront pas se protéger eux-mêmes. »
En effet, en plus de l’apparition d’insectes ravageurs, M. Castonguay observe des différences, saison après saison. En huit ans, il voit déjà les saisons s’écourter. « Il faut que la température descende à moins de cinq degrés la nuit et les érables produiront si dans la journée la température grimpe autour de six ou sept degrés. »
Le réchauffement planétaire déjà néfaste pour les érablières
Pour produire du sirop, il faut des hivers froids et des printemps doux avec des journées chaudes et des nuits froides. Pourtant, la tendance observée indique des hivers plus doux, ce qui favorise une croissance précoce des bourgeons et peut réduire la quantité et la qualité de la sève produite. Les printemps plus chauds accélèrent le début de la saison de production, mais la raccourcissent aussi.
Avec ces conditions, l’acériculteur a commencé la saison au début du mois de février, légèrement plus tôt que l’an passé. D’ailleurs, elle se termine aussi plus tôt. « Nous sommes le 11 avril, et aujourd’hui, on prélève les derniers litres », relève M. Castonguay. « Je crois que j’ai une semaine d’avance sur l’an passé. »
Et de renchérir : « C’est partout pareil en Ontario et au Québec. Certains n’arrivent même pas à produire plus d’une livre par an. »
Il y a quatre ans, il produisait 600 gallons de sirop d’érable. Aujourd’hui, il dit maintenir la production autour de 500 gallons. « Je prends ce que mère nature nous donne, mais tous ces changements vont être néfastes pour mon érablière. »
« Peut-être que dans dix ans, on ne pourra plus produire. C’est très délicat. C’est le temps pour le gouvernement de s’y attaquer », songe-t-il. « Ce n’est pas juste vous et moi qui sommes là pour payer la note. Des industries en Ontario qui sont de très grands pollueurs et vont faire beaucoup plus de dommages. »
Si le producteur est inquiet, c’est aussi parce qu’il prépare son érablière pour la prochaine génération. « Je ne l’emporterais pas avec moi », dit-il. « La ferme va rester ici, alors je veux m’assurer que la prochaine génération va avoir des arbres en bonne santé. C’est aussi pour ça que j’en replante chaque année. »
Des événements météorologiques rares, mais plus graves
Au début du mois d’avril, une importante tempête de verglas s’est abattue sur l’Est de l’Ontario et le Québec. M. Castonguay a compare cette tempête à celle de 1998, mais se réjouit qu’elle n’ait pas été encore plus dommageable. Il se souvient des autres événements, tels que le derecho en 2022 ou même les épisodes de sécheresse de l’an passé qui ont affaibli les érablières de la région, selon lui.
Ces événements, voués à se reproduire, inquiètent tout autant le président de l’Association des acériculteurs de l’Est de l’Ontario, Jules Rochon.
Ce producteur à la retraite a plus vingt ans d’expérience en acériculture. À Clarence-Rockland, au début du mois d’avril, la tempête de verglas a endommagé de nombreux arbres. « Les acériculteurs de la région sont encore en train de nettoyer leurs terrains », affirme-t-il, s’attendant à d’autres catastrophes.
« Ce n’est pas nouveau. Ces perturbations vont se reproduire. On a eu de bonnes années, mais aussi des années vraiment bizarres. Je me souviens en 2012, la saison avait duré neuf jours, c’était la pire année. »
Cette année-là, la sève coulait la nuit mais pas le jour parce qu’il faisait trop chaud, se rappelle-t-il. « Il faisait plus de 30 degrés, je ramassais la neige d’un banc de neige que j’avais repoussé à l’hiver et je la mettais autour de mes stations de pompage. Les changements climatiques sont réels et ils sont là pour rester. »
Laurent Souligny, bien qu’il se pense à l’abri des changements climatiques, admet qu’il y aura certainement d’autres intempéries. « Il faudra apprendre à les contrôler », croit-il. « Il faudra être avant-gardiste. »
« Il va falloir que le gouvernement fasse quelque chose » – Jules Rochaon
Aujourd’hui à la retraite, Jules Rochon est très impliqué auprès des acériculteurs de l’Est ontarien. Après la tempête de verglas, certains des membres de l’association ont vu des arbres tomber sur les lignes de pompages. D’autres qui exercent dans des cabanes à sucre modernes ont dû arrêter la production puisqu’ils n’avaient plus d’électricité pendant plusieurs jours.
« Il va falloir que le gouvernement fasse quelque chose. Pour le moment, il n’y a rien, alors que c’est la première récolte de l’année. »
Toutes ces inquiétudes se trouvent soutenues par d’autres problèmes de fond. En entrevue avec ONFR+, l’ancien conseiller municipal d’Alfred et Plantagenet, René Beaulne, s’inquiète tout particulièrement du déboisement. « C’est que les arbres retiennent l’humidité. Avec la coupe des arbres, il y a de l’évaporation », explique-t-il. « En gardant l’eau dans la terre, il y aura moins de sècheresse. »
Pour M. Rochon, « à un certain moment, ça serait le fun si on avait un gros dôme par-dessus notre érablière pour éviter ça ».
Les défis sont variés et les solutions difficiles d’accès. Pour contrebalancer les effets du réchauffement climatique, l’ancien acériculteur suggère de protéger plus de boisés. D’autant plus que, « l’autre compétiteur, c’est l’immobilier. On ne vend plus à l’agriculture. Ces gens-là veulent développer ça en maison ».
« Sans oublier, qu’avec le déboisement, nos beaux écureuils et pics-bois ont moins d’arbres et vont grignoter nos lignes. »
Les acériculteurs auront besoin d’aide, selon lui. Les coupes de la province dans le tourisme dans Prescott-Russell, il y a quelques années, ont laissé un goût amer à celui qui rêve d’ouvrir un festival franco-ontarien du sirop d’érable.