« L’école à la maison a ouvert une lucarne sur la violence conjugale » – Jeanne Françoise Mouè

La travailleuse sociale Jeanne Françoise Mouè. Archives ONFR+

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Jeanne-Françoise Mouè est directrice générale de La Maison, un centre multiservice torontois qui offre un hébergement d’urgence aux femmes francophones et leurs dépendants aux prises avec la violence conjugale.

LE CONTEXTE :

Si la violence conjugale a explosé durant la pandémie, elle a été détectée en partie via l’apprentissage virtuel qui a permis à des intervenants de constater des environnements à risque pour les enfants.

L’ENJEU :

Lors de son gala, ce samedi, l’organisme francophone veut sensibiliser un maximum de gens sur cette réalité et son impact sur les familles. Il espère faire d’une pierre deux coups en collectant des fonds pour aider les femmes à rebondir.

« À quoi va servir le gala virtuel que vous organisez demain?

Ce sera le moment de prendre le temps d’informer les gens, de remercier nos alliés sur le terrain et de lever des fonds. On s’est fixé un objectif de 20 000 $ de dons pour notre programme Nouvel Envol qui a été pensé pour les familles qui quittent l’hébergement et retournent dans la communauté. Cela servira à les équiper dans leur nouveau logement.

Quelles sont les causes de l’explosion des cas de violence conjugale durant la pandémie?

Il y a eu beaucoup plus d’appels de détresse, car les familles ne pouvaient pas sortir pour faire baisser la tension. Les victimes étaient enfermées dans leur tête et dans leur maison. Tout était concentré à la maison, souvent dans de petites pièces, car la crise du logement à Toronto est telle que peu de gens peuvent s’offrir des appartements spacieux.

Quelles ont été les conséquences du cocktail violence-confinement sur les enfants?

Il y a eu d’énormes impacts collatéraux car, quand on a fermé les écoles et que les parents ont dû s’occuper des enfants à la maison, les personnes-ressources en ligne autour se sont rendu compte que certains témoignaient de situations instables en arrière-plan. L’école à la maison a ouvert une lucarne sur la violence conjugale, car les enfants n’étaient plus dans le milieu scolaire mais au centre d’un environnement parfois non sécuritaire.

Êtes-vous outillé à La Maison pour venir en aide à ces enfants?

On a une intervenante pour enfants pour les écouter, atténuer l’angoisse et créer le sentiment de sécurité. C’est aussi un accompagnement de la maman pour lui apprendre à être présente et à instaurer une routine rassurante pour son enfant. Quand on est soi-même pas bien, c’est difficile de l’être pour les autres.

Comment reprendre son envol lorsque la pandémie ajoute des barrières au logement abordable et à l’emploi?

Les difficultés de relogement ont conduit à un allongement de la durée du séjour des victimes en hébergement. Le passage à l’action politique est difficile, car en temps de crise on priorise l’urgence du moment. La ville a mis la priorité sur les sans-abri. Alors, on continue de la sensibiliser, car une femme doit pouvoir poser ses valises quelque part avant de réfléchir à l’emploi, aux études, au futur. On doit redoubler d’efforts pour que ça ne sorte pas du radar.

Pourquoi cela prend si longtemps?

Ça prend le gouvernement provincial, fédéral, municipal et les constructeurs privés. Ce n’est pas le gouvernement qui va prendre la pelle, mais les compagnies privées qui sont là pour faire de l’argent. On demande aux gouvernements d’amener ces entrepreneurs à créer du logement abordable.

Qu’en est-il de votre combat pour créer du logement de seconde étape?

Avoir accès à un terrain dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario n’est pas évident. On pourrait reconvertir des bâtiments qui existe déjà et appartiennent aux gouvernements mais là aussi on se heurte à des lenteurs. Or, ce type de logement est très important, car il permet à certaines femmes d’apprendre à gérer un budget et comprendre comment naviguer.

Existe-t-il une solidarité entre refuges pour peser de tout votre poids sur les décideurs publics?

Il y a 14 maisons d’hébergement à Toronto, dont une francophone et une autochtone. On travaille en réseau avec les autorités pour reconvertir certains bâtiments et le ministère du Logement pour que, lorsque l’argent est transféré vers les villes, il y ait cette préoccupation pour le logement social et abordable.

Pourriez-vous nous partager une situation humaine à laquelle vous avez été confrontée récemment à La Maison?

On est en train de préparer le retour dans la communauté d’une jeune maman avec son tout premier bébé. Elle a quitté le foyer de ses parents vers la maison de son partenaire et s’est retrouvée en hébergement d’urgence. On l’aide à surmonter son angoisse avec un bébé entre les mains, dans un appartement sans meuble. C’est la première fois qu’elle vit seule.

Comment vous assurez-vous que l’agresseur ne recroise pas le chemin de la victime?

La Maison ne peut pas assurer cette sécurité. Par contre, on outille les femmes dans nos ateliers pour identifier les signes avertisseurs, et les comportements inacceptables. Un partenaire peut revenir si par exemple une ordonnance de la cour lui donne accès à son enfant, mais une femme doit savoir comment agir si son intégrité physique, psychologique ou sexuelle devient compromise. Les outils qu’on lui donne permettent d’aller chercher le soutien psychologique nécessaire ou la police. »