Les Autochtones et la dualité canadienne
[COLLOQUE DUALITÉ CANADIENNE]
Le Canada fête cette année son 150e anniversaire. Au coeur des célébrations, l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique qui a doté le pays d’une constitution. Ce document juridique que l’on dit constitutif de notre identité canadienne serait en fait un pacte entre deux peuples fondateurs. Pour certains, la théorie du pacte est une évidence incontestable alors que pour d’autres, elle relève d’un mythe tenace. Si la dualité nationale a fait couler beaucoup d’encre depuis 1867, elle n’en reste pas moins problématique en 2017.
NATHALIE KERMOAL
Chroniqueuse invité
Car voilà l’origine de notre histoire est incomplète et surtout inachevée. Selon la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), « On ne peut pas fonder un pays sur un mensonge patent. » Le pays que nous appelons aujourd’hui le Canada « n’était pas une terre inoccupée à l’époque du contact et … les nouveaux arrivants (qu’ils soient Français ou Anglais] ne l’ont pas « découvert » (Vol. 2, p. 1).
La Confédération perçue par la grande majorité des Canadiens comme une période charnière qui a donné naissance à un pays démocratique n’a pas, loin s’en faut, été très égalitaire envers les Autochtones. Depuis 1867, ils se sont vus imposer une myriade de politiques interventionnistes et assimilatrices telles que la Loi sur les Indiens en 1876, les pensionnats, dont ils portent encore en eux les séquelles. La Confédération représente pour les Autochtones 150 ans de résistance à l’assimilation.
Déjà, lors du centenaire de la Confédération canadienne en 1967, le chef Dan Georges de la nation Tsleil-Waututh prononçait un discours devant 32 000 personnes à Vancouver et faisait passer le message suivant : « Oh Canada, comment puis-je célébrer avec toi ce centenaire, cette centaine d’années? Dois-je te remercier pour les réserves qui me restent de mes belles forêts? Pour les poissons en conserve de mes rivières? Pour la perte de ma fierté et de mon autorité, même parmi mon propre peuple?Pour mon manque de volonté à me battre? »
Il espérait voir les barrières de l’isolement des Autochtones se briser pour que les 100 prochaines années apportent à son peuple et aux autres nations autochtones la fierté d’être qui ils sont.
Il faudra attendre 1969 pour qu’un nouveau chapitre des relations entre le Canada et les Autochtones s’écrive notamment par l’entremise du dépôt du Livre blanc par le gouvernement Trudeau. Ce projet de loi fédéral proposait de changer fondamentalement les bases de la relation entre l’État canadien et les peuples autochtones en s’attaquant aux traités, à la Loi sur les Indiens et au ministère des Affaires indiennes.
Le but étant d’assimiler les Autochtones à la société canadienne. Inspirés par le Red Power Movement des États-Unis, les Autochtones du Canada se mobilisent d’un bout à l’autre du pays et assènent un coup de semonce aux politiques d’assimilation en dénonçant la discrimination et le racisme structurel imposés par le gouvernement fédéral. Pour les leaders autochtones de l’époque, la relation avec le Canada nécessite une redéfinition radicale.
Ce vent de dissonance autochtone déstabilise de façon durable la notion de dualité canadienne. Poussés par la volonté de réinvestir l’espace politique canadien, les Autochtones s’attaquent plus spécifiquement à la théorie des deux peuples fondateurs.
Par exemple, armés d’une rhétorique axée sur la décolonisation, sur l’anti-impérialisme et sur la reconnaissance politique, sous la houlette d’Harry Daniels, originaire de la Saskatchewan, les Métis mettent l’accent sur la contribution historique de la nation métisse dans l’unification du pays. Voués au silence suite aux évènements de 1885 à Batoche (Saskatchewan) et à la pendaison de Louis Riel, ils conservent tout de même l’idée de recréer la nation métisse de l’Ouest canadien ancrée dans leur imaginaire.
Selon Daniels, la rhétorique autour de l’unité nationale centrée sur le Québec et le Canada anglais est élitiste, ethnocentrique, colonialiste et raciste car elle exclut les Autochtones. Nullement opposés aux revendications québécoises, les Métis espèrent voir la prise en compte de leur patrimoine politique dans les débats sur l’unité nationale et la réforme constitutionnelle car, selon eux, ils font partie des peuples fondateurs du Canada.
En effet, la naissance de la province du Manitoba est considérée comme une réalisation métisse puisqu’ils ont posé les conditions d’entrée d’une colonie autochtone dans la Confédération.
Changements
Cette prise de parole aiguisée ouvre la porte à des changements constitutionnels qui permettent d’affirmer les droits des Autochtones. En 1982, la Constitution canadienne est modifiée pour reconnaître et confirmer les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones du Canada. Toutefois, la nature et la portée de ces droits restent à déterminer.
1982 représente une avancée remarquable car le Canada peut enfin s’acquitter de ses obligations historiques et respecter ses engagements envers les Autochtones. Cet élan sera cependant freiné par l’échec de la conférence des premiers ministres sur les questions constitutionnelles, de l’accord du Lac Meech en 1990 puis de l’accord de Charlottetown en 1992.
Malgré ces revirements, cette reconnaissance autochtone autant politique que judiciaire (je pense ici à certaines victoires autochtones en Cour suprême) a pour effet de fissurer la théorie des deux peuples fondateurs. Face à de telles avancées politiques, on aurait espéré que la rhétorique autour du 150e soit insufflée d’un vent nouveau, mais en vain.
Nathalie Kermoal est professeure titulaire et vice-doyenne aux affaires académiques à la Faculté d’études autochtones de l’Université de l’Alberta. Elle est aussi directrice du centre de recherche Rupertsland sur les Métis situé à l’Université de l’Alberta.
Cette analyse est la troisième d’une série de quatre chroniques en marge d’un colloque qui se tiendra au Campus Saint-Jean en Alberta les 27, 28 et 29 avril. Voici le site : https://www.ualberta.ca/campus-saint-jean/recherche/colloque
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.