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OTTAWA – Les compressions annoncées par Radio-Canada lundi pourraient ouvrir la porte à l’argument qu’elles violent la Loi sur les langues officielles, estiment deux juristes en droits linguistiques. Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, se montre de son côté prudent, mais invite les Canadiens à déposer une plainte s’ils sentent que leurs droits linguistiques pourraient être bafoués.

En annonçant lundi qu’elle allait supprimer 250 postes tant au côté anglophone qu’au côté francophone dans les prochains mois, le radiodiffuseur pourrait avoir ouvert la porte à contrevenir à la nouvelle Loi sur les langues officielles adoptée en juin par le fédéral.

« C’est là qu’il y a un problème à mon avis », estime le juriste acadien et spécialiste des droits linguistiques Michel Doucet.

« Une coupure de 250 postes du côté francophone peut avoir un impact beaucoup plus important que du côté anglophone étant donné l’importance de Radio-Canada pour ces communautés-là (…) Donc évidemment, Radio-Canada a l’obligation de prendre cette réalité-là en compte dans ses coupures », ajoute-t-il.

Le professeur en Droit de l’Université d’Ottawa François Larocque estime que le fait que l’institution médiatique ne semble pas avoir pris en compte « l’unicité de Radio-Canada lors d’un exercice comptable » pourrait être incompatible avec son obligation d’accorder un traitement égal aux deux langues officielles comme il est exigé et à l’atteinte de l’égalité réelle du français et de l’anglais au pays.

« Est-ce qu’ils ont tenu compte ici de l’importance proportionnellement supérieure de Radio-Canada pour la minorité francophone? Ce n’est pas clair et, si oui, il faudrait qu’ils en fassent la démonstration », affirme le spécialiste en droit linguistique.

Ce dernier dresse un parallèle avec la situation juridique de l’Hôpital Montfort il y a 20 ans. Les tribunaux avaient ordonné sa réouverture après que le gouvernement ontarien ait tenté de le fermer dans un effort de redressement des finances publiques.

« L’analogie est un peu la même : personne ne conteste l’obligation du gouvernement d’assainir les finances, mais on doit le faire en tenant compte des principes et des intérêts des minorités de langues officielles. »

Radio-Canada « bien consciente de ses obligations »

Il y a aussi une portion de la Loi, à laquelle est assujetti le radiodiffuseur public en tant qu’institution fédérale, qui vise l’épanouissement des minorités linguistiques au pays. Elle exige de Radio-Canada qu’elle prenne des décisions qui « respectent la nécessité de protéger et promouvoir le français dans chaque province et territoire », « de prendre en considération les besoins propres à chacune des deux collectivités de langues officielles », ou encore, « à appuyer des secteurs essentiels à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, notamment ceux de la culture ».

Le télédiffuseur public se voit aussi dans l’obligation de prendre des mesures positives visant les minorités linguistiques et « évidemment, dans ce cas-ci, ça ne serait pas une mesure positive », soutient Michel Doucet.

« Si on n’a pas évalué l’impact direct de cette décision-là de coupe sur les communautés, il y aura certainement un argument en théorie qui pourrait être soulevé au niveau de la partie VII (de la Loi sur les langues officielles) », ajoute-t-il.

Interrogée par ONFR à savoir si elle avait pris en compte ses obligations linguistiques lors de l’annonce des coupes, la société d’État répond dans une déclaration écrite qu’elle est « bien consciente de ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles ».

Radio-Canada a indiqué lundi après son annonce qu’il était « encore trop tôt pour parler des réductions dans les différentes régions ». Le radiodiffuseur s’est défendu dans les derniers jours en mentionnant que dans des coupures de 40 millions de dollars, au niveau de la production indépendante, la CBC devra trouver 25 millions de dollars en économies alors que son confère francophone devra éponger 15 millions de dollars. Même là, soutient Michel Doucet, cet argument pourrait être débattable.

« Une coupure de 15 millions de dollars peut-être plus dramatique du côté francophone qu’une coupure de 25 millions du côté anglophone. Donc c’est l’analyse qu’il faut faire, de regarder l’impact que ces coupures-là auront directement sur la communauté francophone. »

Portez plainte si vos droits ont été bafoués, dit Théberge

Les deux experts que nous avons interrogés estiment que le Commissariat aux langues officielles serait pleinement en mesure de recevoir et d’enquêter si jamais une plainte était reçue selon lequel ces compressions violent des droits linguistiques. C’est encore plus vrai avec la nouvelle Loi sur les langues officielles qui inclut désormais Radio-Canada, selon François Larocque.

« Le rôle de Radio-Canada dans la promotion des langues officielles est maintenant reconnu avec C-13 donc ça ouvre la porte au commissaire à intervenir pour (possiblement) faire des interventions auprès du gouvernement et du Parlement », explique-t-il.

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge. Gracieuseté.
Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge. Gracieuseté Commissariat aux langues officielles.

En entrevue, le commissaire Raymond Théberge n’a pas voulu se prononcer à savoir si son bureau jugerait une plainte dans ce dossier comme recevable ou non recevable.

« Si quelqu’un du public sent que ses droits linguistiques ont été biaisés, il peut déposer une plainte et on va en faire l’analyse. C’est évident qu’on a une nouvelle partie VII de la Loi et je pense qu’avec ces nouveaux outils, ça va nous permettre un éclairage tout à fait différent », offre-t-il comme réponse.

Ce dernier a aussi un message pour Catherine Tait et la haute direction de Radio-Canada, car « moi la question que je me pose, c’est, est-ce que l’on va tenir compte des communautés de langues officielles en situation minoritaire? »

« Je pense qu’avant de passer à des coupes qui touchent ces communautés, ils devraient avoir une consultation auprès de ces communautés », estime-t-il, rappelant qu’il s’agit d’une obligation de la Loi sur les langues officielles