Les délais de traitement en immigration explosent, les immigrants écopent
OTTAWA – Délais supplémentaires, absence de réponses, vie en suspens… La pandémie a de lourdes conséquences pour les candidats à l’immigration et pour ceux, installés ici, qui ne sont pas encore Canadiens. Cette réalité est là pour durer, disent deux avocates en immigration qui encouragent les candidats à entreprendre leurs démarches, malgré tout.
« J’ai fait une demande de renouvellement de ma carte de résidente permanente fin mars. Depuis, je n’ai reçu aucune nouvelle ni aucun accusé de réception. Je suis consciente qu’il y a des délais à cause de la COVID-19, mais j’ai besoin de cette carte pour une intervention médicale aux États-Unis. »
Résidente permanente depuis 2015, Audrey Debruyne a tout essayé. Régulièrement, elle relance les députés fédéraux de sa région, Marcus Powlowski de Thunder Bay – Rainy River et Patty Hajdu, de Thunder Bay—Supérieur-Nord. Les réponses restent les mêmes… évasives. En septembre, elle s’est même résolue à refaire un dossier.
Actuellement, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) affiche un délai de 161 jours pour renouveler ou remplacer une carte de résidence permanente. Avant la COVID-19, ce délai était d’une trentaine de jours.
Autre solution pour Mme Debruyne : demander la citoyenneté canadienne. Installée au Canada depuis huit ans, la résidente de Thunder Bay est éligible et a donc fait sa demande en septembre. Mais il lui faudra attendre 12 mois, selon les délais indiqués par IRCC.
« Il y a des délais de traitement inhabituels pour tous les statuts et nous n’avons vu aucune amélioration depuis la première vague », confirme l’avocate ottavienne du cabinet Canada Immigration Lawyer, Julie Taub. « Cette semaine, j’ai reçu un accusé de réception pour un dossier de parrainage qui avait été envoyé en mars. D’habitude, ça prend six semaines! »
Un projet de toute une vie mis sur pause
À des milliers de kilomètres, à Alger, Lamine Askri espère. Au départ, il devait s’installer à Ottawa en février. Mais avec sa femme, ils ont préféré atteindre la fin de sa grossesse. Puis, la COVID-19 est arrivée…
« Nous avions commencé nos démarches en août 2019. Tout était prêt. Nous avions le « ok » du Canada. Mais avec la fermeture des frontières, nous nous sommes retrouvés coincés. Notre visa a expiré en août et on est dans l’attente. On nous a conseillé d’écrire à IRCC qui nous a envoyé une réponse standard, nous disant de ne pas nous inquiéter et de surveiller les mises à jour. »
M. Askri se réjouit de ne pas avoir démissionné de son travail, mais son « projet de toute une vie » se retrouve entre parenthèses. Prêt à partir au premier signal, il « espère pouvoir venir en 2021 ».
Situation précaire
La situation n’est pas tellement meilleure pour les travailleurs temporaires qui vivent déjà au Canada, explique Mme Taub, même si, ajoute-t-elle, des ajustements ont été apportés pour renouveler leur statut ou changer d’employeur.
« Ils peuvent obtenir l’autorisation de travailler en attendant le traitement de leur dossier. »
Selon IRCC, cette politique, temporaire insiste-t-on, réduit le temps nécessaire de 10 semaines à 10 jours pour que les travailleurs étrangers temporaires soient autorisés à travailler pour un nouvel employeur.
Mais pour nombre d’entre eux qui voudraient devenir résidents permanents et s’installer au Canada pour de bon, les délais actuels les maintiennent dans une situation précaire.
Mettre les ressources à la bonne place
Récemment, le gouvernement fédéral a annoncé certaines mesures pour accélérer les demandes de parrainage pour les parents et les grands-parents. Une décision que dénonce Mme Taub.
« Ce n’est ni logique ni juste! Le gouvernement ferait mieux d’utiliser ses ressources financières et humaines pour traiter les dossiers d’immigration en cours et réduire les délais. »
En matière d’immigration économique, ces délais sont de six mois, et même parfois plus, enrage l’avocate Shannon Kampf, du cabinet Green and Spiegel, à Toronto.
« Dans des pays comme l’Inde, on parle de sept mois d’attente! J’ai beaucoup de travailleurs prêts à venir et dont les entreprises canadiennes ont besoin. Je comprends les difficultés, mais il faut que le gouvernement trouve une solution. Comme avocate, je m’adapte à la situation, il devrait lui aussi pouvoir le faire! »
Le ministère insiste que les demandes sont traitées « le plus rapidement possible ».
« Nous faisons d’importants progrès pour ce qui est de traiter un plus grand nombre de demandes présentées en ligne. De plus, nous revoyons certaines politiques et explorons d’autres solutions », indique IRCC à ONFR+ dans un échange de courriels, insistant sur les circonstances exceptionnelles.
Remettre son immigration à plus tard?
Face à cette réalité, certains préfèrent donc patienter.
« Ça fait plus de 20 ans que je veux venir », explique Cédric Essermeant.
Avec sa femme et leurs deux filles, ils ont pourtant dû mettre leur projet sur la glace, bien que M. Essermeant possède, depuis deux ans, une entreprise spécialisée en éducation à Ottawa, avec trois associés canadiens. Malgré la situation, il reste déterminé.
« Ça fait plus d’un an qu’on y travaille. Au départ, on pensait venir s’installer en août et faire nos démarches sur place. On a dû revoir notre stratégie. Alors on vit chez mes parents et mes beaux-parents en attendant que la situation évolue. On n’a pas à se plaindre. On sait que ça pourrait ne pas se réaliser, mais le plan est toujours là. »
Selon les chiffres d’IRCC, en date du 31 août, il y avait 238 579 dossiers de résidence permanente en inventaire. Pourtant, Mme Kampf encourage les candidats à l’immigration à déposer leur dossier.
« Ça vaut la peine de se mettre dans la ligne, car les délais ne vont pas cesser du jour au lendemain. »
Un avis que partage Mme Taub.
« Les candidats qui ont les qualifications nécessaires ne devraient pas attendre, car on ne peut pas prévoir ce qui va arriver avec la COVID-19 ou en cas d’élections, avec un éventuel nouveau gouvernement. »