Les entreprises franco-ontariennes se préparent à une guerre commerciale

Alors que la Maison-Blanche maintient que les tarifs douaniers de 25 % sur les importations canadiennes entreront bien en vigueur ce samedi, les menaces de ces tarifs font déjà planer l’incertitude sur les entrepreneurs et entrepreneures francophones de la province depuis déjà quelques semaines. La plupart d’entre eux ne souhaitent pas attendre la date limite pour agir.
Voilà quelques mois que les entreprises franco-ontariennes retiennent leur souffle au même rythme qu’Ottawa, face aux menaces tarifaires de l’administration Trump. En effet, pour ces entrepreneurs c’est un processus d’adaptation encore incertain qui se profile.
François Renaud-Byrne est le PDG de Hybrid Power Solutions à Etobicoke, où des générateurs électriques sont assemblés avec un souci de durabilité, c’est-à-dire sans carburant ou de manière hybride. Selon lui, la date fatidique du 1er février ne doit pas être le seul déterminant sur lequel établir un plan de secours.
« On a toujours été chanceux d’avoir les États-Unis comme énorme marché, facile à accéder, et avec l’instabilité avec cette nation, c’est peut-être le temps que plusieurs entreprises canadiennes se rejoignent ensemble pour décider à quel prochain marché on devrait s’ouvrir. L’Europe est un continent qu’on pourrait viser. »
Bien que le gouvernement Ford estime que ces tarifs pourraient mettre en péril jusqu’à 500 000 emplois en Ontario, François Byrne peine à espérer que ces tarifs ne seront que temporaires. En effet, il prévoit que d’ici la fin d’année, 40 à 50 % de ses ventes vont être vers les États-Unis.
« On a plein de clients, on a aussi des employés, donc on espère que le gouvernement fédéral fait un effort pour résoudre les problèmes de la bordure canadienne, si c’est le cas je pense qu’on devrait être capable d’enlever n’importe quel tarif entre le Canada et les États-Unis », dit-il.

La part des distributeurs que Francois Renaud-Byrne possède en Europe et en Australie lui en constitue finalement un levier essentiel dans un contexte volatile.
« C’est une grosse leçon pour le gouvernement et les entreprises canadiennes pour vraiment se diversifier », estime-t-il.
À Toronto, Oriane Diebou, qui est à la tête de la marque de prêt-à-porter « Orikrea », s’identifie comme une petite entreprise et avoue que la menace des tarifs risque de lui fermer une part pourtant si précieuse de sa clientèle au-delà de la frontière.
« Je veux continuer à exister et je veux continuer à vendre à mes clients qui sont aux États-Unis. Je ne suis pas la seule à craindre ce qui va arriver, car je fais partie d’une association de vendeurs à Toronto et ça fait quelques jours que nous sommes inquiets. Ça ne va pas être facile », explique la femme d’affaires.

Pour Charles-Étienne Beaudry, professeur d’études politiques à l’Université d’Ottawa et auteur du livre « Radio Trump », les petites structures sont les plus vulnérables face aux menaces tarifaires, confirme-t-il.
« Ça va surtout impacter les petites et moyennes entreprises, car les grandes entreprises elles peuvent être capables de se réorganiser, donc ça va faire mourir pleines de petites entreprises ontariennes. »
Il rejoint également l’idée que l’ouverture internationale émerge comme recours principal face aux tendances ultras protectionnistes de Donald Trump.
« L’Union européenne c’est notre nouvel ami numéro un, après ça, le Mexique, l’Asie du Sud-Est et la Chine. Mais avec la Chine, il ne faut pas tomber dans le panneau, car ils ne sont pas mieux que les Américains. »
Oriane Diebou cherche encore à déterminer sa stratégie d’adaptation et elle espère que des plans d’aides financières seront débloqués pour les entrepreneures comme elle.
« Je souhaiterais que les autorités canadiennes puissent prendre des mesures spécifiquement pour les petites entreprises ou les entreprises avec un chiffre d’affaires limité. Comme une loi ou une réforme qui nous accompagne. »
Emily Thorn Corthay, qui dirige une entreprise de conseil d’efficacité énergétique et changement climatique pour les industries lourdes à Etobicoke, dit avoir déjà été affectée par ces tarifs avant même qu’ils n’entrent en vigueur.
« On était sur le point d’avoir un nouveau client dans l’industrie automobile et nous sommes allés le plus loin dans le processus de vente, mais tout à coup ils nous ont dit que les conditions économiques ne leur permettaient plus d’aller de l’avant. »
Avec sa clientèle américaine qui s’élève de 20 à 30% de son chiffre d’affaires, Emily Thorn Corthay espère également que le gouvernement fédéral débloquera des mesures d’urgence similaires aux prêts de la COVID-19 accordés il y a quelques années.

Elle compte également pivoter vers les industries moins affectées et travailler plus avec les entreprises canadiennes.
« Je dois penser à la survie et la croissance de mon entreprise, et pour ça ce serait une diversification vers les mines ou peut-être le secteur banquier qui finance des industries un peu plus robustes et aussi se tourner vers l’Europe ou autre marchés géographiques différents. Par exemple, on travaille déjà avec l’Amérique du Sud. »
Quel futur pour les entreprises franco-ontariennes?
Le gouvernement fédéral prévoit un plan de sauvetage de plusieurs milliards de dollars, toutefois plus ciblé que le programme qui avait été déployé pendant la pandémie, selon un article du Globe And Mail.
L’aide se veut de se focaliser sur les employés licenciés et les entreprises touchées par les tarifs, ce qui pourra annuler l’incertitude pour une partie de la population.
Le ministre fédéral des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos a toutefois tenu à dire que « toutes les options sont sur la table » sans préciser de fourchette pour ce plan d’urgence.
« Il faut changer d’axe et ne plus faire d’affaires nord-sud avec les États-Unis, mais plutôt est-ouest entre les différentes provinces », soutient Charles-Étienne Beaudry.