Les journaux francophones revendiquent leur indépendance
OTTAWA – L’Association de la presse francophone (APF) a dévoilé, le mardi 31 octobre, sa Charte de la presse écrite de langue française en situation minoritaire au Canada. Un document censé garantir l’indépendance et l’impartialité des médias, mais qu’il faudra bien faire connaître pour en assurer l’efficacité, assurent des experts.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Dans le document de trois pages, l’APF exige que ses journaux membres souscrivent à la Charte qui vise à « assurer l’indépendance des salles de rédaction des journaux membres de l’APF et, par le fait même, leur crédibilité en tant qu’organe de presse à part entière ».
Si la Charte reconnaît que « les médias ont une fonction cruciale à assumer dans la vitalité de ces populations », elle précise que « la presse écrite de langue française en situation minoritaire doit servir l’intérêt public. Elle fait partie à part entière des médias d’information. À ce titre, elle ne peut servir de messager désigné pour une personne, un groupe, un organisme ou une institution en particulier ».
« L’APF ne va pas faire la police pour savoir si c’est appliqué, mais c’est une condition pour devenir membre. Nos journaux ont travaillé avec nous là-dessus, ils ont vu la Charte et ils y adhèrent », assure Francis Sonier, président de l’APF.
« Dans un rapport, à Terre-Neuve-et-Labrador, une des recommandations était que le journal Le Gaboteur se mette au service des organismes. Nous avons pris cette occasion pour nous affirmer et rappeler le rôle et les responsabilités des journaux, ainsi que leur indépendance. Nous l’avons fait de bonne foi, nous n’étions pas obligés. Nous pensons que cela permettra une meilleure compréhension. Les journaux restent le reflet des communautés, mais leur mission est de couvrir les sujets d’intérêt public et non d’être des organismes de relations publiques. »
D’autres cas d’ingérence ont également été rapportés à #ONfr au journal Le Franco, en Alberta, et au journal La Liberté, au Manitoba.
Un pas dans la bonne direction, disent les experts
L’APF a consulté une douzaine de professeurs d’université, spécialistes en journalisme, en éthique, en communication ou encore, en francophonie canadienne. Parmi eux, Julie Paquette, professeure adjointe à l’École d’éthique publique de l’Université Saint-Paul, avoue avoir été surprise qu’un tel mécanisme n’existe pas déjà.
« C’est pertinent de se doter d’un tel outil pour aider le travail des journalistes et la crédibilité des médias. En milieu minoritaire, il y a souvent de potentiels conflits d’intérêts. En ayant des balises claires, cela peut réduire le risque. »
« C’est seulement là comme balise et pour pouvoir si référer si des organismes essaient de s’ingérer dans le travail des journalistes. » – Francis Sonier, président de l’APF
Pour Marc-François Bernier, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa, l’équilibre est toujours difficile à trouver.
« Certains pensent que le journal, c’est leur journal. Cette charte va régler en partie cette question, même si je pense qu’il aurait fallu être plus précis et moins théoriques dans les termes utilisés pour faire de cette charte un outil opérationnel auquel les journalistes peuvent se référer au quotidien lorsqu’ils s’interrogent sur de potentiels conflits d’intérêts, de respect de l’anonymat ou d’intérêt public. »
Un gain pour la communauté
Reste que la situation particulière des médias en milieu minoritaire rend l’équilibre précaire, explique Daniela Moisa, directrice du département de Culture et Communication à l’Université de Sudbury.
« En milieu minoritaire, la presse écrite doit assumer de ne pas se séparer pleinement de la communauté, tout en précisant qu’elle n’est pas au service des intérêts des individus. Elle doit conserver son esprit critique et sa mission d’ensemble qui est d’informer et de montrer les différents aspects d’une problématique. »
Pour Claude Couture, directeur de l’Institut du patrimoine de la francophonie de l’Ouest canadien de l’Université de l’Alberta, les communautés francophones ont tout à y gagner.
« Il est important que la presse continue le dialogue avec les institutions qui représentent la francophonie dans le respect de son autonomie et de son droit de critique. C’est fondamental pour atteindre l’objectif commun qui est d’avoir une francophonie en santé. »
Faire connaître la Charte
Mais pour assurer le succès de sa Charte, l’APF a encore du travail à faire, s’entendent les spécialistes interrogés par #ONfr. Le président de l’APF assure que ce travail sera fait.
« Nous avons déjà présenté la Charte à tous les directeurs des organismes nationaux et allons l’envoyer à tous les organismes et à nos bailleurs de fonds. On va aussi faire un Facebook live, le 1er novembre, pendant lequel les gens pourront poser leurs questions. »
La mise en place d’une charte est la seconde mesure prise par l’APF pour assurer l’indépendance de ses membres. En mars, l’organisme avait déjà décidé de quitter la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada pour garantir sa distance des organismes porte-parole de la francophonie à l’extérieur du Québec.