Les langues officielles sur le devant de la scène
OTTAWA – Rarement les langues officielles n’auront autant occupé de place que lors de la session d’automne qui s’achève à la Chambre des communes. Mais c’est surtout la crise linguistique en Ontario qui a beaucoup fait parler, alors que les annonces du gouvernement de Justin Trudeau peinent encore à se concrétiser.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Nouveau règlement sur la délivrance de services fédéraux bilingues, amélioration de l’accessibilité du test de français pour les nouveaux arrivants, mise en place d’un service avant l’arrivée de ces derniers, retour du Programme de contestation judiciaire… Le gouvernement a accéléré les annonces, ces derniers mois, en matière de langues officielles.
Mais cela ne suffit pas à convaincre le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand.
« On a répété beaucoup de choses lors de cette session. Mais en immigration, on n’a toujours pas de stratégie nationale pour augmenter l’immigration francophone. Pour le Programme de contestation judiciaire, on a annoncé les comités d’experts, mais le programme n’est toujours pas fonctionnel. Quant à la modification du règlement sur les services fédéraux bilingues, il faudra attendre 2023 pour en voir les effets et beaucoup jugent le nouveau règlement encore trop réducteur. »
Des actions concrètes, c’est ce que réclame aussi le porte-parole aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada, Steven Blaney.
« On a eu beaucoup de vœux pieux de la ministre Joly [ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie], maintenant, il est temps qu’elle passe de la parole aux actes. Elle a exploité ce qui se passe en Ontario français à des fins partisanes en annonçant, en pleine crise, le retour du Programme de contestation judiciaire, un programme qui a été suspendu pendant 20 mois et dont les fonds ne sont toujours pas disponibles! »
Occasion manquée
Selon M. Normand, le gouvernement aurait pu encore tout récemment démontrer son engagement envers les langues officielles en nommant un sénateur acadien pour représenter la Nouvelle-Écosse. La création d’un ministère du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, cet été, n’a pas changé, selon lui, l’impression que le dossier n’intéresse pas le premier ministre Trudeau.
« La preuve, c’est sa rencontre quelques minutes avant le dévoilement du plan d’action pour les langues officielles, en mars, avec la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, qui demandait à le rencontrer depuis plusieurs mois. C’était vraiment juste pour la photo! »
Une session fructueuse pour la FCFA
La FCFA juge pourtant la session d’automne fructueuse, notamment avec les mesures en immigration, dont l’annonce d’un accueil en français pour les nouveaux arrivants francophones à l’aéroport Pearson de Toronto. L’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire a également eu l’occasion de pousser son idée d’ajouter des questions linguistiques au formulaire court et long du recensement auprès du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains.
« Nous avons aussi rencontré les différents partis pour qu’ils s’engagent sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles », explique le président de la FCFA, Jean Johnson. « De tous les projets, c’est le plus important, car avoir une Loi avec plus de mordant et d’obligations réglerait bien des problèmes. »
Le porte-parole néo-démocrate pour les langues officielles, François Choquette, souligne que le gouvernement fédéral pourrait d’ores et déjà agir pour contrer le jugement Gascon en adoptant un règlement qui précise ce que signifient les mesures positives qui doivent être prises par le gouvernement, selon la Loi.
« Le gouvernement est à blâmer. D’un côté, il dit favoriser une interprétation large de la partie VII de la Loi [sur la Promotion du français et de l’anglais], mais d’un autre, il continue à aller devant les tribunaux. Le gouvernement pourrait prendre les devants pour corriger la situation en mettant en place des règlements. Mais il est dans l’attentisme. »
Les francophones, un jeu politique
L’engagement verbal des partis envers la modernisation de la Loi sur les langues officielles dérange M. Normand.
« La modernisation, on en parlait déjà au début du mandat du gouvernement libéral et on est encore à se questionner si on va faire une consultation ou non. On ne sait pas plus ce que proposent les conservateurs et du côté du Nouveau Parti démocratique, François Choquette, malgré toute sa bonne volonté, peine à présenter la position de son parti. Il y a un risque que les francophones fassent l’objet d’un marchandage aux prochaines élections. »
Car il ne reste plus qu’une session avant le passage aux urnes à l’automne 2019. Et les récentes prises de bec au parlement entre les trois principaux partis sur la question de la crise linguistique en Ontario n’augurent rien de bon, selon le politologue.
« Il y a de belles paroles de chaque parti, mais ce sont surtout des manœuvres politiques et ça n’engage rien de concret. »
Partisanerie
Le président de la FCFA reconnaît qu’il attend davantage du gouvernement fédéral dans ce dossier en rencontrant le premier ministre Doug Ford et en posant des gestes concrets.
« Le premier ministre a fait quelques efforts en rencontrant les chefs de tous les partis politiques fédéraux, mais le résultat a été très mitigé. Dans cette histoire, on voit bien trop de partisanerie de part et d’autre et aucune collaboration », regrette M. Johnson.
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