« Les langues officielles, une priorité, pas un simple geste politique », dit O’Toole

Erin O'Toole n'est plus le chef du Parti conservateur du Canada depuis un vote qui s'est tenu mercredi matin.
Erin O'Toole n'est plus le chef du Parti conservateur du Canada depuis un vote qui s'est tenu mercredi matin. Source: Facebook

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Erin O’Toole est le chef du Parti conservateur du Canada (PCC).

LE CONTEXTE :

Ces dernières semaines, le PCC n’a pas manqué une occasion de questionner le gouvernement de Justin Trudeau, en Chambre, sur l’enjeu de la protection du français et de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

L’ENJEU :

Le gouvernement libéral a promis à plusieurs reprises de procéder à une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Récemment, la rumeur d’un livre blanc sur l’avenir des langues officielles a suscité la crainte que le dépôt d’un projet de loi ne soit encore repoussé. La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, dit travailler sur le dossier, mais elle n’a pas encore donné d’échéancier. Il reste donc difficile de connaître les intentions du gouvernement libéral envers une loi qui n’a pas connu de refonte majeure depuis 1988.

« Ces dernières semaines, votre parti s’est montré très actif sur le dossier des langues officielles. Pourquoi?

Parce que c’est un enjeu important, pour moi, comme nouveau chef. Les langues officielles, ce n’est pas un simple geste politique, c’est une priorité. On doit avoir une approche sur la langue et la culture francophone à travers le pays, et comme nouveau chef, j’apporte une nouvelle vision et un nouveau style. J’ai ciblé cet enjeu.

On doit moderniser la Loi sur les langues officielles, suivre les recommandations du commissaire aux langues officielles et surveiller les autres enjeux pour la communauté francophone.

Je suis né à Montréal, j’ai grandi en Ontario et appris le français dans les Forces armées canadiennes. Comme élève officier au Collège militaire royal de Kingston, on faisait une semaine en anglais et une semaine en français. C’était une approche de respect!

J’ai un grand respect pour le français et pour notre histoire comme pays bilingue. C’est la raison pour laquelle c’est ma priorité.

Comment faut-il faire pour mieux protéger le français au Québec et au Canada?

Je pense qu’il faut moderniser la Loi sur les langues officielles. Nous sommes à l’âge des réseaux sociaux, on reçoit des alertes sur nos téléphones… J’ai parlé avec M. Rayes [Alain Rayes, député conservateur de Richmond-Arthabaska et porte-parole aux langues officielles du PCC]. Il m’a dit qu’à Victoriaville, une communauté à 90 % francophone, ils ont reçu des messages d’alerte seulement en anglais. C’est inacceptable! C’est une question de sécurité publique.

J’ai eu de bonnes discussions avec le commissaire aux langues officielles lors d’une réunion. Nous avons parlé de ça, du déclin du bilinguisme dans la fonction publique… On doit travailler avec lui sur ces enjeux-là. Et on doit avoir un premier ministre qui démontre un leadership dans ce dossier, et qui transmet cette approche de respect à tous ses ministres.

Quel genre de modernisation soutiendriez-vous?

On doit mettre en place un tribunal administratif pour gérer les plaintes en matière de langues officielles. Il faut aussi améliorer les services pour la communauté francophone. Comme ministre des Anciens combattants, j’ai rencontré des vétérans francophones à travers le pays. Nous devons avoir des services en français pour la communauté francophone à travers le Canada et veiller à les améliorer et corriger les problèmes quand il y en an.

Vous appuyez l’idée de soumettre les entreprises de juridiction fédérale à la Loi 101 au Québec. Mais certains craignent que cela n’encourage les autres provinces à demander la même chose, en anglais, ce qui y ferait reculer le français. Que répondez-vous à ces craintes?

Je ne pense pas que ce soit un risque. Après 40 ans, il est injuste que pour 4 % de la main d’œuvre au Québec, les grandes entreprises de juridiction fédérale, comme dans le secteur des télécommunications ou des banques, soient exemptées de la Loi 101.

Quand j’étais avocat dans le privé, j’ai travaillé avec l’Office québécois de la langue française pour une entreprise de taille moyenne. Ça fonctionne! Il est injuste que les grandes entreprises de juridiction fédérale aient une approche différente, surtout quand on voit le déclin du français à Montréal et l’inquiétude que cela suscite au Québec. Pour moi, c’est une question de respect et d’équité. Les ex-premiers ministres québécois, les maires, tous se sont prononcés en faveur de l’extension de la Loi 101, on doit le faire!

Les organismes de la francophonie canadienne, tout comme le Quebec Community Groups Network, veulent que la nouvelle Loi sur les langues officielles confirme l’obligation pour les juges à la Cour suprême du Canada d’être bilingues. L’ancien gouvernement conservateur n’était pas favorable à cette obligation. Quel est votre avis sur cette question?

C’est une question importante. Comme nouveau chef, comme avocat et comme premier ministre, je vais avoir une approche claire. Elle s’appuiera sur deux principes pour la Cour suprême du Canada : le mérite, car nous voulons des juges très expérimentés; et l’engagement des juges à apprendre ou à améliorer le français. C’est une approche un peu différente de celle de Stephen Harper, mais je pense que c’est possible d’apprendre ou d’améliorer son français quand on est juge, comme l’avait démontré la juge Beverly McLaughlin [juge en chef du Canada de 2000 à 2017]. De plus, nous avons trois sièges pour le Québec, ce qui est important pour le français.

Dans votre discours, on vous entend souvent parler des « langues nationales » et moins des « langues officielles ». Pourquoi?

C’est une manière pour moi de parler de ma fierté envers notre histoire. C’est aussi la raison pour laquelle je parle des deux peuples fondateurs, en partenariat avec les Premières Nations, et que je défends la statue de John A. Macdonald, l’édifice Langevin… Nous devons apprendre notre histoire et la respecter, tout en améliorant la situation des Premières Nations. C’est possible de faire ça, tout en respectant notre histoire.

Pour le français, c’est important que les anglophones comprennent que c’est une grande partie de notre histoire et de l’accord entre les deux peuples fondateurs. Parfois, j’utilise langues nationales, parfois langues officielles, mais parler de l’importance du français, c’est une question de respect, pour faire comprendre que le français est une langue fondamentale de notre histoire.

C’est aussi pour ça que je respecte les champs de compétence des provinces et territoires, comme un système qui fait partie de cette histoire. Les deux Trudeau n’ont pas respecté ces champs de compétence, ils pensent qu’Ottawa sait toujours mieux.

Un dossier sur lequel on vous entend moins, c’est celui du Campus Saint-Jean, en Alberta, l’une des rares institutions postsecondaires de langue française dans l’Ouest du pays qui voit son avenir menacé. Que faudrait-il faire pour en assurer la survie et l’épanouissement?

Je pense qu’il est important que les transferts fédéraux pour les programmes des communautés francophones soient versés directement aux institutions, en collaboration avec les provinces. S’il y a des fonds spécifiques pour les langues officielles, ils doivent directement cibler les institutions des communautés de langues officielles en situation minoritaire, que ce soit en Alberta, en Ontario ou n’importe où ailleurs.  

Avez-vous eu l’occasion de parler de la situation avec Jason Kenney?

Oui, j’ai eu des conversations avec M. Kenney. Je comprends que l’Alberta, comme toutes les provinces, traverse de grands défis avec la pandémie et aussi, plus particulièrement là-bas, avec les difficultés du secteur énergétique. L’Université de l’Alberta a pris cette décision, car toutes les universités sont en crise budgétaire. Mais j’ai invité M. Kenney à me partager ses recommandations s’il y a des programmes fédéraux, ici à Ottawa, qui pourraient aider la situation du Campus. »