Les monuments de la francophonie : bien plus que de la brique et du mortier
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.
[CHRONIQUE]
Le démantèlement la semaine dernière d’un monument de la francophonie, d’abord annoncée sur les médias sociaux par Alain Vachon, a causé un émoi dans la communauté franco-ontarienne. En effet, sous le pic des démolisseurs, les pierres en granit du monument situé depuis 2007 au 435, rue Donald ont disparu en quelques heures. Plusieurs jours plus tard, le drapeau franco-ontarien géant et son mât subissaient le même sort. Une triste première.
Le projet des monuments de la francophonie d’Ottawa a commencé à germer dès la fin des années 1990 alors qu’Alain Vachon était président de l’ACFO Ottawa. À cette époque, l’Ontario français était plongé en pleine crise de SOS Montfort.
M. Vachon avait été chargé par Michel Gratton de veiller à ce que le drapeau franco-ontarien soit bien mis en évidence pendant toute la durée du Grand Ralliement du 22 mars 1997 alors que les caméras de télévision et les yeux du pays étaient rivés sur le Centre municipal d’Ottawa. Mission accomplie : le drapeau créé en 1975 était omniprésent dans ce qui est devenu alors le plus grand rassemblement franco-ontarien de l’histoire avec 10 000 personnes présentes.
Aux origines d’un projet identitaire
Avant les monuments, Alain Vachon avait aussi imaginé le projet des « Ambassadeurs et ambassadrices du drapeau franco-ontarien », en 2001. Ravivé en 2005 et jusqu’en 2008, le projet cherchait à inculquer et à susciter la fierté d’être francophone en Ontario auprès des élèves de la 7e année, par l’entremise d’activités ciblées et organisées au sein d’écoles participantes.
Ce projet identitaire avait aussi pour objectif de développer le sentiment d’appartenance, de sensibiliser les élèves à l’histoire franco-ontarienne et de donner envie de s’épanouir et de vivre en français en Ontario.
En 2005, une douzaine de personnes de la communauté francophone d’Ottawa se sont rassemblées au Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO), pour discuter d’un projet de monuments de la francophonie d’Ottawa. Une petite maquette fut fabriquée et la présidence d’honneur du comité confiée à Bernard Grandmaître. 17 000 lettres d’appui ont été récoltées et le projet des monuments de la francophonie d’Ottawa fut officiellement lancé le 1er décembre 2005.
Parrainés par le district Numéro 1 du Richelieu International à partir de février 2006, c’est le 24 mars de la même année que les six premiers sites des monuments de la francophonie furent annoncés : le siège social du Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est (CECCE), la Cité collégiale, le Centre culturel du MIFO, le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP), l’École élémentaire publique Charlotte-Lemieux du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) et le siège social de la Caisse populaire Trillium.
Le premier monument fut dévoilé le 25 septembre 2006, les autres suivirent au courant de l’année 2007.
D’Ottawa à l’Est ontarien
Des monuments furent ensuite érigés ailleurs en province dès 2008, à la fois dans les Comtés unis de Prescott et Russell et à Sudbury. Cornwall a suivi en 2010 et deux autres firent leur apparition dans la capitale nationale en 2010 et 2013. Enfin, depuis 2014, trois monuments qui furent dévoilés dans Prescott-Russell avec un quatrième à venir en septembre prochain à Alfred.
Tous les monuments de la francophonie sont des aires commémoratives et patrimoniales soulignant la contribution des francophones au développement et à la réussite de la province de l’Ontario, dans lesquelles est érigé un immense drapeau franco-ontarien entouré de plaques de granit. Chaque monument est composé d’un mât de 24 à 27 mètres de hauteur duquel flotte au vent un méga drapeau franco-ontarien aux dimensions de 9 mètres par 4,5.
Sur les plaques sont inscrits des textes d’histoire. Chaque monument a un design et un thème historique différents, ce qui fait en sorte que l’allure et les textes sont uniques d’un monument à l’autre. Aux monuments à Ottawa, les textes ont été écrits par l’auteur et l’expert-conseil en patrimoine franco-ontarien Jean Yves Pelletier en collaboration avec Michel Prévost pour le monument à l’Université d’Ottawa. Ce dernier a également écrit les textes pour le monument à Casselman.
Le but avoué de ce projet était de contribuer à la construction identitaire des élèves francophones en créant des espaces patrimoniaux et touristiques franco-ontariens pour tous et qui font la promotion du drapeau franco-ontarien, symbole par excellence de la francophonie ontarienne.
Le monument de la rue Donald : 2007-2023
Il faut maintenant parler au passé du monument de la francophonie situé au 435, rue Donald car il n’y est plus. Financé par la communauté avec 28 dons corporatifs et 82 donateurs individuels, le monument situé au 435, rue Donald, à Ottawa avait été dévoilé en grande pompe le 5 septembre 2007 devant le siège social du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP).
Le thème choisi pour les textes d’histoire de ce qui était alors le 4e monument à être inauguré fut la jeunesse, les mouvements féminins et les retraités/aînés.
Parmi les 550 personnes rassemblées pour l’occasion, on y comptait la présence de dignitaires, d’élèves, d’employés du CFORP et de chefs de file et membres de la communauté, notamment Gaétan Gervais, Mariette Carrier-Fraser, Trèva Cousineau ou encore Carol Jolin.
La directrice générale fondatrice du CFORP, Gisèle Lalonde, était bien sûr présente et a prononcé un discours pour l’occasion.
Le hasard a bien fait les choses car derrière le tangible du mortier et des pierres en granite, le 435 rue Donald était aussi un endroit symbolique pour plusieurs raisons, bien qu’insoupçonnées. En effet, à côté du siège social du CFORP se trouvait une ancienne école élémentaire de langue française, nommée École St-Paul. C’est dans cette école (dont les plans ont été dessinés par l’architecte franco-ontarien Jean-Serge Le Fort en 1954) que Gisèle Lalonde a enseigné le plus longtemps. C’est aussi dans cette même école que le projet des Ambassadeurs et ambassadrices du drapeau franco-ontarien avait été lancé par Alain Vachon alors que son frère Stéphane y enseignait.
Le monument s’inscrivait donc dans un quartier qui a vu naître, grandir, travailler des Franco-Ontariens et où la toponymie située à proximité du 435, rue Donald avec les rues du Père-Charlebois, Paul-Émile-Lamarche et Monseigneur-Lemieux, commémore aussi l’histoire franco-ontarienne.
Grâce au leadership d’Alain Vachon qui a organisé le tout en 48 heures, une cérémonie du dernier lever et descente du drapeau franco-ontarien géant du monument de la francophonie s’est tenue le 4 mai dernier en présence d’une trentaine de personnes, allant de membres du comité organisateur initial des onuments de 2005-2007, de chefs de file de la communauté et de gens du public. Dans la foule, on reconnaissait des visages bien connus de la francophonie ontarienne.
C’est au son des chants Mon beau drapeau et Notre place que le drapeau a été hissé, puis descendu et soigneusement plié. Le directeur général du CFORP s’en porte garant jusqu’à ce que le monument soit réinstallé pour l’automne prochain au Consortium Jules-Léger, tel que promis.
L’honneur de lever le drapeau franco-ontarien dans le ciel du 435, rue Donald une dernière fois est revenu à Peter Hominuk (directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario) tandis que c’est Francis Thériault (co-président du Réseau du patrimoine franco-ontarien) et ses enfants qui ont procédé à le ramener vers le sol.
Pour un monument à Vanier
Pendant qu’un monument de la francophonie est prévu pour septembre à Alfred, dans l’Est ontarien, la disparition du monument situé dans le quartier Overbrook d’Ottawa suscite des réflexions.
Bien qu’il fut démantelé du 435, rue Donald sera relocalisé au 281, avenue Lanark au Consortium Jules-Léger, dans l’Ouest d’Ottawa, il faudra qu’il s’intègre dans son nouveau site avec l’ajout au minimum d’une plaque qui raconte l’histoire de l’École secondaire Champlain (1970-1992) et du Centre Jules-Léger.
Par voie de communiqué de presse, le Réseau du patrimoine franco-ontarien a déploré « cette perte pour la communauté d’Overbrook/Vanier » et s’est dit « préoccupé du sort qui pourrait être réservé partout en province à tout autre monument construit sur des terrains qui sont vendus à des intérêts privés » puisque « les monuments, de la francophonie et autres, sont des éléments importants de notre patrimoine et leur sauvegarde et leur mise en valeur nous concernent tous et toutes ».
Chaque monument de la francophonie d’Ottawa fait l’objet d’une entente entre le comité organisateur et l’institution hôte afin qu’elle en assure l’entretien et la pérennité. En d’autres termes, ils appartiennent à la communauté mais leurs préservations sont assurées par les institutions hôtes.
Le secteur d’Overbrook/Vanier étant désormais orphelin d’un monument, un nouveau s’impose pour l’ex-Cité et bastion francophone qui a vu, entre autres, Bernard Grandmaître et Gisèle Lalonde en diriger les destinées.
Le parc Richelieu serait à mon avis l’endroit tout désigné pour l’ériger. J’ai expliqué dans ma chronique du 26 novembre dernier l’histoire du riche patrimoine franco-ontarien de ce lieu unique à Vanier.
Mais d’autres monuments, ailleurs en province et pas qu’à Vanier, doivent aussi apparaître. En somme, l’onde de choc qu’a engendrée le triste démantèlement du monument de la francophonie du 435, rue Donald doit maintenant déboucher sur un retour en force : mettre en valeur ceux qui existent déjà et continuer d’en bâtir des nouveaux. « Il n’y en aura jamais trop! » déclarait à ce propos Bernard Grandmaître en 2007.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.