Le projet de loi 7 soulève de vives inquiétudes parmi les francophones

Le projet de loi 7 soulève des questions sur l'accès aux soins de longue durée en français. Source: Canva

TORONTO – Les aînés francophones en Ontario s’inquiètent du sort qui leur sera attribué avec le projet de loi 7 visant à libérer des lits dans les hôpitaux de la province tout en transférant les malades dans des foyers de soins de longue durée, là où les services en français ne seront pas nécessairement présents.

La pression monte, alors que le gouvernement a déposé une motion pour faire passer le projet de loi directement en troisième lecture ce lundi, ce qui signifie qu’il ne sera pas examiné par un comité ou soumis à une audience publique..

Le projet de loi 7, Loi de 2022 pour plus de lits et de meilleurs soins, déposé à l’Assemblée parlementaire la semaine dernière, soulève de nombreuses questions dans sa mise en application. Parmi elles, l’opposition demande si les personnes francophones seront « forcées » de quitter l’hôpital et envoyées dans un centre de soins anglophone.

Dans ce projet, il est fait mention de la prise de certaines mesures sans le consentement des patients. Ces mesures concernent « les patients qui occupent un lit dans un hôpital public et qui sont désignés par un clinicien traitant comme ayant besoin d’un niveau de soins différents ». Questionné sur la mise en application de cette loi, le ministre des Soins de longue durée, Paul Calandra, assure que les spécificités religieuses et linguistiques seront prises en compte.

Il dit aussi que les patients ne seront pas forcés à quitter l’hôpital, mais s’ils refusent d’entrer dans un centre réunissant leurs préférences, ils se verront payer des frais pouvant aller jusqu’à 1 500 $ la journée.

Foyer de soins de longue durée en anglais

Yacinthe Desaulniers, présidente et directrice du Réseau des services en français de l’Est de l’Ontario (RSSFE), considère que « les hôpitaux vivent plein de défis, il faut alléger la situation ».

« Mais, il ne faut pas oublier la concordance linguistique qui est un énorme facteur », nuance-t-elle. « Une récente étude prouve l’impact négatif de soins de santé dans la mauvaise langue. On constate une différence dans les taux de décès. »

François Larocque, titulaire de la chaire de recherche en droit et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa, abonde en ce sens : « Il y a un lien clairement établi par la recherche entre la langue et les résultats thérapeutiques des soins. »

Soins de santé longue durée. Yacinthe Desaulniers, présidente-directrice du RSSFE.
Yacinthe Desaulniers, présidente-directrice du RSSFE. Crédit image : RSSFE

Yacinthe Desaulniers a aussi récolté des données démontrant qu’à l’Hôpital Montfort, il y avait une augmentation de patients anglophones. Pour elle, ce n’est pas une qualité de soins pour les anglophones. C’est aussi une mauvaise façon d’utiliser des petites ressources francophones disponibles.

« À la résidence Saint-Louis (un établissement de soins de longue durée situé à Orléans), il y a seulement 57 % des patients qui sont francophones. »

« Le risque majeur est d’envoyer des patients dans des centres anglophones » – Michel Tremblay

Pour le directeur général de la Fédération des aînés et retraités francophones de l’Ontario (FARFO), Michel Tremblay, « le risque majeur est d’envoyer des patients dans des centres anglophones ».

« Il y a d’autres options », ajoute-t-il. « Il faut améliorer l’offre de services à la maison, il faut aider les proches aidants et débloquer des fonds pour les besoins spéciaux, comme des lits adaptés ou des fauteuils roulants. »

Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), se dit « conscient que la pandémie à un impact sur les hôpitaux. On comprend que la province doit mettre en place certaines mesures, dont celle-là. Cependant, il faut s’assurer que les services en français suivent après transferts ».

Et d’ajouter : « Le français en santé est une question de qualité des soins. »

Soins de longue durée. François Larocque, professeur à l’institut de Droit et Chaire de recherche à l’Université d’Ottawa.
François Larocque, professeur à l’institut de Droit et Chaire de recherche à l’Université d’Ottawa. Crédit image : Université d’Ottawa.

Pour François Larocque, qui cite Michel Doucet, juriste acadien, « si le Code de la route était aussi bien respecté que la Loi sur les services en français, ce serait le K.O. sur la route ».

Le cas du Nord de l’Ontario

Alors que le projet est en relecture, les libéraux soutiennent que les aînés du Nord pourraient être transférés dans des centres de soins à plus de 300 kilomètres de leur communauté, famille et amis. Pour le reste de la province, les patients seraient placés à environ 100 kilomètres de leur domicile et 30 kilomètres pour ceux résidant en ville.

Guy Bourgouin, porte-parole de l’opposition et député pour Mushkegowuk-Baie James, dénonçait en chambre le 24 août dernier que « si on doit m’envoyer dans un centre de soins, ce sera un foyer anglophone et si c’est un foyer francophone, ce sera à huit heures de route de chez moi ».

« Ça, c’est manquer de respect aux aînés, à notre culture et notre langue. »

« Les personnes âgées préfèrent attendre chez elles le centre de leur choix au lieu que d’aller dans un foyer inadapté », ajoute le directeur général de la FARFO.

Soins de longue durée. Michel Tremblay, FARFO.
Michel Tremblay, directeur général de la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario. Archives ONFR+

Il n’y a pas de doutes, pour François Larocque, même si certains hôpitaux et centres ont obtenu la désignation de fournisseurs de soins en français. Quelque 80 % des francophones vivent dans une région désignée, mais 20 % hors de ces régions. Cette tranche de la population risque d’avoir des difficultés vis-à-vis des distances.

« Le risque, c’est la perte cognitive », prévient Mme Desaulniers. « Pendant la pandémie, nous avons été témoins de personnes dans des centres anglophones, qui ont décompensé. Les familles et les amis ne pouvaient pas les visiter, donc ils se sont retrouvés totalement isolés. »

« Les centres où il y a de la place sont des foyers obsolètes, sans climatisation et bien d’autres. Les gens ne veulent pas y aller », affirme Michel Tremblay.

Sans consentement

L’Ontario Health Coalition, via communiqué, déclare aussi que « le droit au consentement est fondamental dans la pratique clinique. Cibler les personnes âgées et les personnes handicapées pour enfreindre ce droit est, à notre avis, une violation de leurs droits fondamentaux ».

Et d’ajouter qu’en Ontario, « la Loi sur le consentement aux soins de santé et la Loi sur les soins de longue durée codifient l’exigence du consentement éclairé dans le processus d’admission ». En permettant à un clinicien ou un docteur de décider pour un patient, le gouvernement pourrait outrepasser ce droit, de l’avis de plusieurs observateurs.

Carol Jolin, président de l'AFO
Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, Carol Jolin. Archives ONFR+

« S’il y a une notion de consentement, si les gens ont le choix », souligne Carol Jolin, « ils pourront refuser d’être envoyés dans un centre loin de chez eux, c’est très important ».

Si un patient refuse une offre d’admission – un foyer de soins de longue durée qu’il n’a pas choisi et qui pourrait être éloigné, inapproprié, insalubre ou dans lequel le patient a peur d’aller – l’hôpital peut leur facturer des frais pouvant aller jusqu’à 1 200 $ à 1 500 $ par jour.

La peur des centres de soins

Les patients âgés ont plusieurs réserves, nous explique le directeur de la FARFO. D’abord, il faut se rappeler ce qui s’est passé dans les foyers durant la pandémie et cela ne rassure pas les patients.

« On est d’accord, il y a quelque chose qui doit être fait pour soutenir les hôpitaux », ajoute le président de l’AFO, Carol Jolin, « mais il faudra voir comment le projet de loi va évoluer ».

Selon M. Tremblay, certains foyers sont encore sous-adaptés, que ce soit le matériel ou l’établissement en lui-même. Enfin, il souligne que le prix d’un séjour en centre de soins longue durée est aussi un facteur aggravant dans cette situation.