À mes mentors, où que vous soyez : une lettre à ceux qui ont fait de ma plume une épée d’expression
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.
[CHRONIQUE]
Née du triomphe de la lutte pour l’éducation secondaire franco en Ontario, l’École secondaire Hanmer allait voir le jour en 1970 dans le Nord de l’Ontario. Ici, au fil des années 1990, je ferais de la scène, j’écrirais pour la première fois, et je rêverais de mon destin. Cette école allait tout me donner : mes amis, mes amours, mes mentors – et ma plume.
C’était un vendredi soir ensoleillé.
L’École secondaire Hanmer fêtait son 50e anniversaire, des retrouvailles de générations de jeunes franco-ontariens en banlieue de Sudbury.
Dans un écho du passé cruel et magnifique, je revenais sur mes pas dans cette école qui m’a tout donné, dans ces couloirs colorés de récits, chaque petit recoin de la scène d’épopées de jeunesse.
Les bennes à ordures où on se réfugiait pour fumer à la cachette. Le gym où Léo me prenait autrefois par la main pour un slow dance. La caf où, seule au dîner lors de mes premiers jours de 9e année, je mangeais mon sandwich dans les toilettes en me désolant de ma solitude.
Et la grande scène, un théâtre niché dans des coulisses de velours noir, les planches – mes planches – où on jouait, où on chantait, où on se confiait nos rêves.
Ici, on m’inspirait à faire de ma plume une épée d’expression.
Le Rebelle
Lui, il était rebelle.
Voisin et papa adoré d’une grande amie d’enfance, Dan St-Jean était un Franco-Américain d’une ferme de patates du Maine aux États-Unis, venu étudier et prendre pays dans le Nord de l’Ontario.
Homme de principes, de littérature, de baseball et de pinottes, ce prof d’English allait nous faire écrire, écrire, écrire. Toujours écrire. Et encore écrire.
Il nourrissait notre esprit revendicateur de courage et de créativité, nous rappelant les exploits des étudiants qui nous avaient précédés, nous permettant de nous plonger dans notre voix et nos songes contestataires.
Car si nous devions être rebelles, nous devions aussi être éclairés – et c’est lui qui allait faire de nous des insoumis réfléchis.
La Rêveuse
Toi, tu étais rêveuse, Monique.
Monique Lamarche, autrefois Dewson – communément appelée Madame Monique, maman adorée des Troubadours, une gang de jeunes inspirées à monter sur les planches pour faire du théâtre.
Tu perdais tes clés, tu oubliais nos noms et tu nous appelais « mes cocos », et tu nous rappelais à l’ordre quand on « cabotinait » dans les coulisses. Avec joie, enthousiasme et affection, tu nous inspirais à la curiosité, à la réflexion, au rêve, nous livrant à un univers de beauté à l’abri de l’orage adolescent.
C’est grâce à toi, tout comme toi, si je suis devenue rêveuse.
C’est toi, Monique, qui allait me soutenir dans ma propre force créatrice, me dotant d’une plume pour m’écrire un théâtre plus grand, plus beau, plus extraordinaire.
« Vous êtes dans le cœur de ma vie », me disait-elle en me serrant dans ses bras le mois dernier.
Et toi, le cœur de nos vies à nous, Monique.
Le Poète
Lui, il était poète.
Clément Dumas cultivait le mystique, arpentant les couloirs, le nez dans un livre, faisant abstraction des jeunes effrontés qui le trouvaient excentrique.
Il allait nous faire parler d’amour et de poésie dans son cours de français. Il m’apprendrait (enfin!) à conjuguer mon participe passé. À prendre ma rage et à en faire une missive de glorieuse colère féministe.
J’apprenais son décès comme jeune universitaire, et, le cœur gonflé d’émotion, je pleurais cet homme que je connaissais à peine.
Car il avait fait de moi une poète.
À mes mentors, où que vous soyez
Forgeuse de mots, de paroles et de missives enflammés, je dois tout à ces rebelles, rêveurs et poètes, car ce sont eux qui allaient me permettre de prendre parole.
C’est grâce à Dan St-Jean que j’ai découvert ma muse, ma grand-mère Isabelle. Grâce à Clément Dumas si j’ai appris à prendre parole dans des textes d’opinion. Et si je rêve encore d’écrire mon théâtre, c’est grâce à Madame Monique, qui a cultivé en moi le désir de me dire.
Chacun a nourri mon âme. Et prouve que les éducateurs laissent leurs empreintes sur les jeunes confiés à leurs soins.
À ces mentors, où que vous soyez, je vous dois tout.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.