La fromagerie Thornloe a fermé ses portes lundi dernier suscitant surprise et indignation. Source : Village de Thornloe

THORNLOE – Quelques jours après l’annonce choc de la fermeture de la fromagerie Thornloe, un comité citoyen a été mis sur pied au cours de la fin de semaine afin de tenter de sauver ce fleuron du Nord en activité depuis 1940. Une page Facebook créée samedi pour la mobilisation a généré beaucoup de réactions en ligne dans la communauté.

Intitulée Save Thornloe Cheese (Sauvons la fromagerie Thornloe), la page Facebook a réuni en 48 heures plus de 7 300 membres et 2 600 j’aime, générant beaucoup de réactions de la part d’internautes émus de la fermeture soudaine de la fromagerie.

Le comité citoyen responsable de la page est composé de six fermiers laitiers du Nord, Anna Regele, Dominic Léveillé, Robin Flewwelling, Josh Jackson, Sam Loranger et Darren Jibb.

Dominic Léveillé, propriétaire de la ferme Léveillé et fils LTD, n’a pas hésité à se mobiliser : « On s’est dit qu’on ne peut pas laisser ça tomber parce qu’une fois que tu perds ta fromagerie, c’est quasiment impossible que ça recommence parce que les fromageries ont un quota. »

Un des produits de la fromagerie, Devil’s Rock, fut sélectionné par les Producteurs laitiers du Canada pour célébrer le 150e anniversaire de la Confédération en 2017. Source : Page Facebook Sauvons la fromagerie Thornloe

Déferlement de réactions

« Nous allons avoir besoin du soutien de toute la communauté pour nous assurer que nous sommes en mesure de lutter contre cela! », écrivait le comité dans sa première publication.

Et la réponse du public ne s’est pas fait attendre, car plusieurs centaines de commentaires ont déferlé sur la page dans les heures qui ont suivi.

Parmi les nombreuses personnes ayant réagi sur la page, Hélène Côté de Hearst a contacté la compagnie à laquelle appartient la fromagerie pour lui témoigner de son désarroi devant la nouvelle : « Le fromage Thornloe occupe une place spéciale dans le cœur de nombreux habitants du Nord. Ses produits uniques, en particulier le fromage en grains, sont devenus une partie chérie de notre culture et un symbole de la résilience de la communauté. »

Paul Baril, originaire de Thornloe, a lui aussi tenu à exprimer sa déception : « Fermer ce magasin et cette fromagerie est une preuve que les multinationales n’ont pas à cœur les communautés du Nord. »

Un appel au boycottage des produits de la coopérative Gay Lea Foods, basée à Missisauga et à laquelle appartient la ferme, a aussi été lancé par de nombreux internautes.

Dominic Léveillé se dit extrêmement surpris de l’implication de la communauté : « On est juste quelques fermiers. On n’est pas des personnalités publiques, mais c’est incroyable, ce que le partage et la communauté peuvent faire, c’est phénoménal. »

Dominic Léveillé a cru à une mauvaise blague quand on lui a annoncé la fermeture de la fromagerie. Gracieuseté

Une décision inattendue

La raison évoquée pour la fermeture serait des coûts trop élevés pour moderniser les équipements estimés à près de 10 millions de dollars.

Au final, plus d’une trentaine d’employés perdent leur emploi, sans compter les emplois liés à l’entretien, la machinerie et les autres secteurs alentour. Ceux-ci auraient reçu une indemnité de départ conséquente, selon les informations recueillies par le comité, après avoir appris leur licenciement sur l’affiche de la porte de la ferme.

« Les employés sont arrivés le matin pour travailler puis ils ont eu pas mal bêtes en voyant l’affiche », raconte M. Léveillé.

Un message unilingue et sans équivoque était affiché sur la devanture de la fromagerie lundi matin où sont transformés près de 30 000 litres de lait par jour. Gracieuseté

 « C’est un choc pour la collectivité », a déclaré de son côté le député de Timiskaming-Cochrane et porte-parole de l’opposition en matière d’agriculture, alimentation et affaires rurales à Queen’s Park, John Vanthof.

De la même manière, les actionnaires de la coopérative avaient eux aussi découvert que la nouvelle fut rendue publique par une publication Facebook du député, selon M. Léveillé.

M. Vanthof, lui-même un ancien producteur laitier, s’est dit très déçu de la décision soudaine et définitive de la coopérative. Il a affirmé compter continuer à parler aux parties prenantes afin de trouver une solution alternative : « J’ai parlé au PDG de l’entreprise et je parlerai à d’autres intervenants au cours des prochains jours pour voir ce qui peut être fait. »

« Le quota laitier doit rester dans notre région », a laissé savoir quant à lui Charlie Angus, député de Timmins-Baie James.

Le député du Nord, Charlie Angus, a indiqué avoir l’intention de discuter avec les différents acteurs impliqués dans le dossier. Source : Page Facebook de Charlie Angus

Des quotas pour le Sud?

Ce n’est pas la première fois que la question de la fermeture de la fromagerie se pose. En 2006, John Vanthof avait participé au sauvetage de la fromagerie lorsque la multinationale Parmalat souhaitait la fermer. L’idée était à l’époque de transférer les quotas de la production de lait vers ses usines situées dans le Sud.

La fromagerie avait été achetée par Gencor en 2007, pour être finalement vendue à Gay Lea Foods en 2019. Cet achat avait été bien reçu, car il s’agissait d’une coopérative, d’où l’incompréhension devant la situation actuelle selon Dominic Léveillé : « Une coopérative, ça a des valeurs, dans la communauté, pour leurs employés puis ils n’ont aucunement respecté tout ça. »

Aujourd’hui, le scénario semble se répéter selon de nombreux internautes qui regrettent que les revenus soient récupérés par le Sud au détriment du Nord. « Ce qui nous frustre le plus c’est qu’ils essaient de garder ça secret pour ne pas que ça nuise trop à leur image, parce qu’ils veulent juste emmener le dans le sud », juge M. Léveillé qui ajoute que le montant avancé pour les réparations est volontairement exagéré.

« Il n’y a aucune raison qu’un business qui fait 14 millions de dollars par année ferme »
— Dominic Léveillé, fermier

« Je n’ai jamais été le seul client, il y en avait toujours au moins trois ou quatre dans la boutique », affirme une publication du comité.

Selon lui, beaucoup de fonds supplémentaires seraient accessibles tels que la Société de gestion du Fonds du patrimoine du Nord de L’Ontario : « Il n’y a aucune raison qu’un business qui fait 14 millions de dollars par année ferme. »

Deux scénarios seraient possibles pour la suite d’après le fermier franco-ontarien : une marche arrière de la coopérative ou la revente des quotas à un autre investisseur. Encore faut-il que le prix proposé soit délibérément raisonnable, et ne pas être une excuse pour transférer ces quotas vers une de leurs usines du sud, conclut-il.

M. Léveillé a indiqué qu’une pétition en ligne serait bientôt disponible et que des rencontres avec des acteurs politiques et économiques sont prévues dans les prochaines semaines. En attendant, le comité invite le public à envoyer des courriels à la coopérative pour lui signifier leur mécontentement. Des pamphlets à signer sont également disposés dans des commerces de la région.