« multilinguisme », « richesse à cultiver », le français en Ontario vu par le gouvernement Macron
TORONTO – « Il y a pas une mais des langues françaises. » La phrase du ministre français de la Culture, Franck Riester, vient apporter un éclairage dissonant au moment où les propos de Denise Bombardier enflamment les francophones en contexte minoritaire sur les réseaux sociaux.
En déplacement à Toronto, le porte-drapeau de la culture française est venu prendre le pouls de l’industrie culturelle canadienne. En pleine réforme de l’audiovisuel, son pays se pose la question de l’avenir de la diffusion culturelle et médiatique.
L’occasion de l’interroger sur la qualité du français et son rayonnement dans le monde, alors que Denise Bombardier a remis sur la table l’épineux dossier du français en milieu minoritaire.
Les avis tranchés de l’écrivaine et journaliste alimentent une avalanche de commentaires depuis la diffusion de son reportage Denise au pays des Francos et ses apparitions dans l’émission Tout le monde en parle (TLMEP), une des plus écoutées du Canada.
Elle s’alarme, entre autres, du développement d’un français approximatif, teinté d’accents inaudibles, qui contribue à un essoufflement de la langue de Molière, que beaucoup qualifie désormais en Ontario de langue de la résistance.
Les francophones en contexte minoritaire lui reprochent des mots durs et un ton condescendant qui ne règlent pas vraiment les défis hors-Québec : qualité académique, enseignement, anglais dans les couloirs d’écoles francophones, insécurité linguistique, assimilation…
Mais Mme Bombardier a-t-elle tort sur le fond? Encore aujourd’hui, dans un article d’opinion publié dans Le Journal de Montréal, l’essayiste québécoise alerte sur « la dégradation du français parlé » et du « calvaire que subissent les enseignants du français dans nos écoles ».
« La langue française nous ouvre au monde et c’est pourquoi on ne peut pas baragouiner si l’on veut se faire comprendre par les centaines de millions de personnes qui la partagent avec nous », lance-t-elle.
Franck Riester : « Une richesse à cultiver »
Franck Riester, dont le portefeuille ministériel englobe aussi la francophonie, estime pour sa part que s’exprimer différemment n’est pas un problème. « En France », rappelle-t-il, « les Français ont des accents très différents et un vocabulaire parfois différent. C’est une richesse qui est à cultiver. »
À l’opposé d’un purisme linguistique ou d’un recroquevillement communautaire, le ministre français plaide pour le partage, évoquant la création d’un dictionnaire numérique collaboratif mondial que chacun pourra alimenter avec ses mots, ses expressions, sa particularité. Issu d’un partenariat entre le ministère et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le dictionnaire des francophones (DDF) devait être lancé cet automne.
« Il faut à la fois que chacun s’y retrouve et en même temps puisse partager, connaître, comprendre les autres francophones partout dans le monde », conçoit-il. Selon M. Riester, la diversité d’expression en français n’est « pas un obstacle à la langue française mais une force ». Se voulant une langue mondiale, le français est pétri de particularités qui reflètent sa diversité.
Un point de vue partagé par de nombreux Franco-Ontariens qui ont senti, dans le discours de Mme Bombardier, un jugement de valeur.
Une langue dynamique, même là où elle est minoritaire
Interrogé sur l’insécurité linguistique et le phénomène d’assimilation en Ontario, le ministre n’a pas le sentiment que la langue minoritaire se dissolve dans la langue majoritaire.
« Je trouve qu’il y a une belle dynamique de la francophonie dans le monde, y compris là où elle est minoritaire. De plus en plus de gens ont envie de cultiver cette spécificité-là », affirme-t-il, évoquant un intérêt marqué pour le « partage de références culturelles, d’une histoire autour de la langue française. ».
Le multilinguisme plutôt que le bilinguisme
M. Riester s’aventure un peu plus loin dans son raisonnement, se risquant à parler de multilinguisme. Une notion qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté.
En terre ontarienne, où le français est loin d’être l’égal de l’anglais, où les francophones doivent se battre à chaque instant pour conserver leur langue et leurs acquis, le représentant français de la francophonie parle de plurilinguisme.
« On souhaite accompagner la francophonie et le plurilinguisme », étaye-t-il à propos de la place de la France et du français dans le monde. « On est convaincu que le plurilinguisme est une force et pas une faiblesse, y compris dans les pays où la francophonie est minoritaire. Le président Macron est d’ailleurs très favorable à développer le multilinguisme. »
Cette approche adoptée en milieu linguistique minoritaire au Canada, a permis à de nombreuses collectivités, notamment municipales, d’éviter d’adopter des règlements et communications dans les deux langues officielles, en plaçant le français, non plus sur le même piédestal que l’anglais, mais comme une langue parmi les autres. C’est le cas à Toronto où le français pointe au 12e rang si l’on tient compte du nombre de résidents l’ayant pour langue maternelle.
Cinquième langue la plus parlée dans le monde, le français compte près de 300 millions de locuteurs, en progression de 10 % depuis cinq ans. Ces chiffres ont été récemment actualisés par les chercheurs Alexandre Wolff de l’Observatoire de la langue française, et Richard Marcoux de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, dans l’ouvrage La langue française dans le monde.
Au Canada, les statistiques sont plus nuancées. Selon les données du dernier recensement de 2016 avec comme élément la « première langue officielle parlée », les provinces Terre-Neuve-et-Labrador (+ 16 % de francophones), le Yukon (+ 10,1 %), les Territoires du Nord-Ouest (+ 14, 4 %), et le Nunavut (+ 31,6 %) ont vu leur nombre de francophones augmenter en valeur relative et absolue.
Au Nouveau-Brunswick ou au Manitoba, c’est l’inverse.
En Ontario, les chiffres des quelque 7 000 francophones supplémentaires (+ 1,3 %) observés en 2016 ne s’étaient pas concrétisés en proportion (4,1 % contre 4,3 % pour le recensement de 2011).