De non-ayants droit et une commission scolaire francophone en Cour suprême
La Cour suprême a annoncé ce jeudi qu’elle accepte d’entendre la cause de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) et des parents. Le gouvernement ténois avait alors refusé en 2018 et 2019 six demandes d’admission à des écoles francophones formulées par des parents d’élèves non-ayants droit.
Cette saga remonte à 2018 alors que la Cour suprême territoriale avait donné raison aux familles demandant au gouvernement de revoir sa décision. En novembre, le CSFTNO avait demandé à la Cour suprême de se pencher sur ce dossier après que la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest ait penché en faveur du ministère de l’Éducation ténois.
Un ayant droit est une personne qui a un droit constitutionnel d’étudier en français en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit l’éducation dans la langue de la minorité. De non-ayants droit peuvent être admis dans des écoles francophones selon des critères qui diffèrent selon les endroits. Une province comme l’Ontario étant plus souple, par exemple.
La commission scolaire et les parents jugent que les enfants auraient dû avoir été acceptés en vertu de l’article 23.
« On refuse que le gouvernement décide pour nous qui devrait être admis dans nos écoles… On connaît très très bien notre communauté, mais notre ministère interfère depuis 30 ans dans notre gestion. Donc, c’est une validation pour nous car la Cour suprême trouve que quelque part, quelqu’un ne comprend pas son rôle », se réjouit Yvonne Careen, directrice générale de la CSFTNO.
Les juges de la Cour d’appel avaient statué dans leurs arguments que le ministère de l’Éducation n’avait pas à prendre en considération les valeurs de l’article 23.
« C’est vraiment ça la bataille. À quel point est-ce que le ministère de l’Éducation peut s’ingérer dans les affaires de la commission et exercer sa discrétion sans tenir compte de l’article 23 et de ses objectifs », explique l’un des avocats qui représentent la CSFTNO, Darius Bossé, de Juristes Power.
Les avocats du CSFTNO soulignent le signal envoyé par la plus haute instance juridique au pays.
« La Cour juge que ce dossier-là est assez important qu’il justifie que la Cour suprême consacre une journée complète à ce dossier-là. C’est rare ça. Il n’y a peut-être même pas 1 % des dossiers qui sont commencés, qui se rendent à la Cour suprême du Canada. Sur le plan juridique, c’est très encourageant que la communauté franco-ténoise puisse intéresser la Cour suprême du Canada là-dessus », lance l’avocat Mark Power de Juristes Power.
Ce type de décision va avoir un impact ailleurs au pays, car elle permettra de clarifier les pouvoirs des gouvernements et ceux des conseils scolaires en vertu du droit à l’éducation dans la langue de la minorité, note Darius Bossé.
« La ministre de l’Éducation a dit que 2 000 $ de plus justifiaient essentiellement de refuser quelqu’un qui n’a pas strictement des droits en vertu du libellé de l’article 23 alors que la commission était d’avis contraire. La décision apportera suffisamment de clarifications pour savoir comment gérer ces discordes entre conseils scolaires et les ministères de l’Éducation. »
Article 23
L’interprétation de l’article 23 continue de créer divers recours judiciaires alors que l’on souligne ce mois-ci le 40e anniversaire de la mise en œuvre de la Charte canadienne des droits et libertés. En plus du recours actuel, on peut penser à la victoire en 2020 du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique ou au jugement de la Cour suprême dans l’affaire Mahé en 1990 qui confirmait aux francophones le droit à la gestion scolaire.
« Il n’y a pas beaucoup de fonctionnaires qui lisent en détail des jugements de la Cour suprême ou de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest et c’est normal. La plupart des gens qui travaillent et manipulent l’article 23 sont des fonctionnaires experts en pédagogie et qui ont une formation non juridique. Leurs outils quotidiens sont les directives de la Loi sur l’éducation », souligne l’avocat Mark Power.
Pour ce dernier, le cadre de la loi gagnerait à être modernisé.
« Souvent les directives et règlements de la Loi sur l’éducation ne reflètent pas nos droits comme francophones et comme Acadiens. Donc, cette incertitude et ce flou mènent parfois à des oublis institutionnels et presque toujours — pas par manque de bonne foi —, à une difficulté de bien comprendre les droits qu’ont les francophones et Acadiens. »
La date d’un jugement rendu par la Cour suprême dans le dossier de la CSFTNO est inconnue, mais le tout pourrait prendre plusieurs mois.