Au Nouveau-Brunswick, le fantôme de La Laurentienne guette son université francophone

L'Université de Moncton Crédit image: Pascal Vachon
L'Université de Moncton Crédit image: Pascal Vachon

MONCTON – En avril 2021, c’est le choc à Sudbury alors que l’Université Laurentienne coupe 72 programmes, dont 29 en français, et congédie près de 200 personnes, dont une centaine de professeurs. À 1 664 kilomètres de là, la nouvelle surprend et pose une question persistante encore aujourd’hui : « Et si ça nous arrivait aussi? »

Cet endroit, c’est l’Université de Moncton, qui avec ces trois campus universitaires, dont un à Edmundston et à Shippagan, dessert la communauté francophone du Nouveau-Brunswick. C’est le plus grand établissement francophone hors du Québec avec près de 5 000 étudiants. Si la question revient à l’époque dans ce bastion universitaire acadien, ce n’est pas pour rien.

« À ce moment-là, on prévoyait un déficit de 10 millions de dollars chez nous en raison de la pandémie et des déficits accumulés », relate le recteur de l’Université de Moncton, Denis Prud’homme.

Il est le recteur de la seule institution universitaire francophone dans la province et de la plus grosse en Atlantique, qui inclut aussi l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, laquelle compte près de cinq fois moins d’étudiants. L’Université de Moncton est considérée comme une ressource critique pour la main-d’œuvre francophone dans la seule province bilingue du pays.

Au niveau du corps professoral, Hélène Albert, la présidente de l’Association des bibliothécaires, professeures et professeurs de l’université de Moncton (ABPPUM), explique que La Laurentienne a été un mal pour un bien en amenant l’administration et les professeurs à faire preuve d’une plus grande transparence entre eux sur la situation financière de l’établissement.

« Ce qui s’est passé à La Laurentienne est devenu présent dans nos préoccupations communes dans une intention de vouloir éviter qu’une pareille chose nous arrive », explique-t-elle.

Au cours des dernières années, la situation financière n’a pas été toute rose sein de l’institution. Elle a dû faire des compressions de 30 millions de dollars au cours de la dernière décennie en plus d’augmenter les frais de scolarité au cours des deux dernières années.

Tout ça, dans le but d’éponger des infrastructures qui deviennent de plus en plus déficientes. Majoritairement construits dans les années 1960-1970, ces édifices croulent sous la pression des années et l’Université n’a d’autres choix que de faire le strict minimum.

« On va au plus urgent », explique M. Prud’homme.

Le recteur de l'Université de Moncton Denis Prud'homme. Crédit image: Pascal Vachon
Le recteur de l’Université de Moncton Denis Prud’homme. Crédit image : Pascal Vachon

C’est là qu’un parallèle peut se créer avec l’Université Laurentienne alors qu’au début des années 2010, elle décide de massivement investir dans la construction d’édifices dans le but d’attirer une plus grande population étudiante, mais celle-ci ne suit pas.

Dans son rapport, la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, écrit que « la cause principale de son déclin financier de 2010 à 2020 était l’expansion et la modernisation mal planifiées et coûteuses de ses immobilisations ». Toujours selon cette dernière, c’est près de 168 millions de dollars qui ont été consacrés aux infrastructures par l’établissement sudburois en allant creuser davantage dans sa dette.

« Contrairement à La Laurentienne, on n’a pas construit de nouvelles bâtisses ou fait de rénovations majeures », avertit Denis Prud’homme en entrevue avec ONFR+ à son bureau à Moncton. « On évite la crise financière en se privant d’investissements stratégiques. Il y a des risques à ça, mais on ne peut pas faire mieux. »

Il estime que son université aurait besoin de 110 millions au cours de la prochaine décennie pour renouveler ses infrastructures, soit l’équivalent d’un budget sur une année. Même si c’est un montant qui est « appelé à augmenter chaque année », pas question pour le moment d’imiter l’établissement ontarien en empruntant sur la dette.

« On ne répétera pas les mêmes erreurs » tranche-t-il, ajoutant que la haute administration à Moncton n’aurait jamais laissé une telle chose passer au cours des années.

Certains édifices de l’Université de Moncton, construits dans les années 1960, commencent à se faire vieux. Crédit image : Pascal Vachon.

C’est là que le recteur estime que le gouvernement fédéral a son rôle à jouer, notamment en maintenant sa promesse électorale de 2021 de rendre permanente son enveloppe budgétaire destinée aux universités et de la doubler à 80 millions de dollars par année. Il pointe aussi vers la refonte de la Loi sur les langues officielles, qui pourrait renforcer, si adoptée, la section concernant les mesures positives que doit prendre le fédéral envers les communautés linguistiques en milieu minoritaire.

« Il faut que le fédéral fasse comprendre aux institutions ce qu’est la prise de mesures positives. »

Au niveau provincial, il dit apercevoir de plus en plus d’ouvertures, mais rappelle que le financement accordé aux universités n’est pas indexé à l’inflation et que le financement de base n’a jamais augmenté de plus d’un point de pourcentage depuis 20 ans.

Vers un plafond

Ce manque d’infrastructures ou de renouvellement de celles-ci amène l’établissement près de son effectif maximal, note le recteur.

L’arrivée de près de 600 étudiants internationaux depuis le début de la pandémie, un effectif non prévu au départ, a permis de redresser la barre pour l’établissement qui a su réduire son déficit aujourd’hui à hauteur de 700 000 $. Mais Denis Prud’homme admet ne pas être dupe, la situation pouvant vite changer dans quelques années.

« S’il y avait une crise ou quoi que ce soit dans les prochains mois, nous n’aurions pas de marge de manœuvre. »

« Les difficultés financières de l’établissement ne sont pas une préoccupation de tous les jours, mais restent une arrière-pensée », nous indiquait un professeur rencontré sur le campus. Hélène Albert abonde dans le même sens, affirmant que les événements dans l’institution ontarienne ont généré des questionnements à l’époque, mais que le climat actuel permet d’avoir l’heure juste avec l’administration.

« Ce qui s’est passé à La Laurentienne, c’est une série de mauvaises décisions et un clair manque de transparence. Je pense qu’on n’en est pas là et j’ai confiance que si la situation financière se détériorait au point que ça devienne inquiétant, on ne l’apprendrait pas la veille », considère-t-elle.

L’institution estime qu’elle pourrait accueillir encore 500 à 600 étudiants supplémentaires, mais pas plus. Le manque de logements, la hausse des salaires et la pénurie de main-d’œuvre qui frappent le pays actuellement signifient que le développement de l’Université est en quelque sorte plafonné. Le mur s’en vient-il?

« C’est difficile à dire, mais il est sûrement à long terme (…). C’est comme un char, nos experts nous disent qu’il faut faire ça et ci, mais tu as le choix de ne pas le faire comme une auto, mais un jour, le muffler tombe, etc. C’est ça qui est le risque présentement », conclut Hélène Albert.