Actualité

Ontario : les conseils scolaires francophones redoutent une perte d’autonomie

Au-delà des difficultés financières qui frappent certains conseils anglophones, les conseils francophones, mieux positionnés, s’inquiètent des effets d’une mainmise croissante du ministère de l’Éducation, au détriment des communautés minoritaires.

Prudence, mais sans sonner l’alarme. C’est la posture adoptée par les conseils scolaires de langue française de l’Ontario après la décision du ministère de l’Éducation, fin juin, de placer quatre conseils anglophones sous tutelle en raison de difficultés financières. Le ministère de l’Éducation de l’Ontario avait nommé des superviseurs pour les administrer.

« Nous sommes conscients qu’aucun conseil scolaire n’est à l’abri », a affirmé l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), se disant « fière de constater que les conseils scolaires publics de langue française comptent sur de bons gestionnaires ».

Dans ce contexte, l’ACÉPO souligne « l’importance de collaborer avec nos membres et pour ainsi assurer une gouvernance responsable et efficace ».

La gestion budgétaire, une priorité

Le Conseil scolaire catholique MonAvenir, qui accueille plus de 15 000 élèves répartis dans 61 écoles (47 écoles élémentaires, 12 écoles secondaires et deux écoles élémentaires et secondaires), considère la gestion budgétaire comme une priorité.

Nicole Mollot, directrice de l’Éducation et Geneviève Grenier, présidente du Conseil scolaire catholique MonAvenir. Gracieuseté du Conseil.

« Notre rigueur budgétaire et notre conformité aux attentes ministérielles témoignent de notre capacité à gérer efficacement les fonds publics », déclare Geneviève Grenier, présidente du Conseil. 

Le conseil respecte le plafond de déficit de 1 % et a adopté un budget de 320 millions $ pour 2025‑2026, conformément aux attentes du ministère de l’Éducation, le tout soumis avant la date limite du 30 juin, précise l’administration de ce conseil qui siège à Toronto. 

« Malgré une légère baisse prévue de 0,1 % des effectifs, et un sous‑financement chronique du transport scolaire, nous maintenons l’accès à une éducation de qualité sans compromettre les services aux élèves », soutient Nicole Mollot, directrice de l’Éducation du Conseil MonAvenir.

Le Conseil scolaire Viamonde met quant à lui en avant les résultats académiques. « Nous avons obtenu les meilleures performances aux tests de l’OQRE (l’Office de la qualité et de la responsabilisation en éducation) parmi les 72 conseils de la province depuis plusieurs années », se félicite Steve Lapierre, directeur exécutif aux communications.

Pour lui, cela témoigne de la qualité des programmes et de l’encadrement offerts dans les 57 écoles élémentaires, secondaires et virtuelles du conseil.

Conseil scolaire Viamonde
Le Conseil scolaire Viamonde compte 59 écoles élémentaires, secondaires et virtuelles. Archives ONFR

Le droit des minorités 

Selon Sachin Maharaj, professeur en administration de l’éducation à l’Université d’Ottawa, divers facteurs jouent en faveur des conseils francophones.

« Les conseils francophones sont relativement récents (créés il y a environ 30 ans) et leurs infrastructures sont plus modernes, ce qui les place dans une meilleure situation financière que certains conseils anglophones dont les bâtiments tombent en ruine, soutient-il. Leur croissance démographique et leur statut de minorité jouent aussi en leur faveur ».

Il fait remarquer qu’une mise sous tutelle d’un conseil scolaire de langue française serait politiquement et juridiquement délicate, notamment en raison de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

D’ailleurs, il existe divers précédents dans d’autres provinces, rappelle Sachin Maharaj, qui font écho aux revendications des minorités linguistiques ailleurs au pays, mais qui révèlent tout autant une tendance des provinces à vouloir prendre la main sur l’éducation.

Deux visions de l’éducation s’affrontent 

Aujourd’hui en Ontario, ce qui est présenté comme un problème de gestion budgétaire relève en réalité d’un conflit de valeurs : entre une éducation strictement académique et une vision ancrée dans les réalités sociales des élèves, estime Sachin Maharaj.

« Le gouvernement provincial actuel défend une approche éducative dite de ‘retour aux bases’, centrée sur la lecture, l’écriture, les mathématiques, les sciences et la préparation à l’emploi, tandis que de nombreux conseils scolaires souhaitent offrir une expérience éducative plus large et diversifiée », explique-t-il.

Les conseils scolaires cherchent à répondre aux besoins de leurs communautés en maintenant des programmes sociaux et du personnel de soutien, comme des travailleuses sociales, des intervenants jeunesse ou des psychologues, qui sortent du cadre strictement académique. 

Le gouvernement, de son côté, considère souvent ces services comme non essentiels et appelle à leur réduction, provoquant un désaccord fondamental sur le rôle et la portée de l’éducation publique.

Une loi pour renforcer le contrôle gouvernemental 

La menace de mise sous tutelle ne serait donc, selon Sachin Maharaj, qu’une nouvelle étape dans le plan de contrôle de la province. En ce sens, une autre source d’inquiétude pointe : le projet de loi 33. 

En plus de faciliter les mises sous tutelle, ce texte encore à l’étude conférerait au ministre de l’Éducation de nouveaux pouvoirs, y compris sur des enjeux non financiers. Il pourrait approuver ou bloquer le changement de nom d’une école, imposer des programmes de présence policière ou lancer des enquêtes sans justification budgétaire, observe Sachin Maharaj.

Sachin Maharaj, professeur en administration de l’éducation à l’Université d’Ottawa. Gracieuseté de Sachin Maharaj

Face à cette volonté accrue de centralisation, Phyllis Dalley, chercheuse spécialisée en éducation et en droits linguistiques des minorités, rappelle que des recours juridiques sont possibles.

« Les conseils scolaires de langue française peuvent saisir les tribunaux et faire valoir qu’en vertu de l’article 23 de la Charte, le gouvernement ne peut prendre le contrôle de la gestion financière ou de l’administration des conseils scolaires, car cette gestion relève non pas de l’État, mais des communautés francophones », soutient Phyllis Dalley.

Elle ajoute : « C’est pour cela que les élections scolaires sont si importantes, car elles représentent, en quelque sorte, la forme de gouvernance qui appartient en propre aux francophones. »

Des précédents révélateurs

L’enseignement des francophones en situation minoritaire est un droit garanti par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés incluse dans la Constitution canadienne adoptée en 1982.

Plusieurs décisions judiciaires au pays confirment que les droits des communautés linguistiques minoritaires à gérer leurs écoles sont solidement ancrés dans la jurisprudence canadienne.

En 1990, l’arrêt Mahé c. Alberta a confirmé le droit des francophones de gérer et de contrôler leurs propres institutions scolaires.

En 2018, la Nouvelle-Écosse, en raison d’une volonté de réorganisation du système éducatif, a aboli tous les conseils scolaires sauf le Conseil scolaire acadien provincial (CSAP), maintenu pour préserver les droits linguistiques et culturels de la communauté francophone. 

Le 3 avril 2025, la Cour d’appel du Québec a donné raison aux commissions scolaires anglophones en confirmant, à l’instar de la Cour supérieure en août 2023, que la loi provinciale abolissant les commissions scolaires viole les droits à l’éducation des minorités linguistiques.

Ainsi, alors que le gouvernement provincial souhaite uniformiser davantage le système éducatif, les conseils scolaires francophones rappellent que leur autonomie n’est pas qu’une question de gestion : c’est une condition essentielle à la vitalité des communautés qu’ils servent.