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Ottawa opte pour le « plus bas prix » : les interprètes parlementaires craignent un exode

Le Parlement à Ottawa. Archives ONFR+

OTTAWA — Le gouvernement fédéral ira de l’avant avec ses nouvelles règles concernant les interprètes parlementaires pigistes, notamment en favorisant le plus bas prix, ce qui fait craindre un exode de ces derniers hors du Parlement et une menace sur les activités parlementaires dans les deux langues officielles.

Ces nouvelles règles favoriseront les interprètes qui soumissionnent avec le prix le plus bas possible.

« Les offres recevables seront classées selon le prix évalué le plus bas par région; le prix évalué le plus bas étant classé le plus haut », peut-on lire dans les nouvelles règles dévoilées vendredi par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC).

Les interprètes pigistes seront aussi évalués selon leur profil linguistique et leur cote de sécurité. Ils devront également être accrédités auprès du Bureau de la traduction pour pouvoir travailler au Parlement. Ces derniers ont jusqu’au 24 novembre pour offrir leur services, pour des contrats qui débuteront au mois de janvier, selon l’Association internationale des interprètes de conférence au Canada (AIIC-Canada).

« Il y aura en principe moins d’interprètes. Ça va aggraver la pénurie sur la colline dès janvier » prévoit sa porte-parole Nicole Gagnon.

L’AIIC-Canada représente les interprètes pigistes qui travaillent au fédéral. Selon Mme Gagnon, ces nouvelles règles concernent un bassin d’environ 60 interprètes. Au total, il y a près de 140 interprètes sur la Colline parlementaire dont près de la moitié sont des employés du Bureau de la traduction.

Selon un récent sondage mené par l’AIIC-Canada, près de 50 % des interprètes pigistes soutenaient qu’ils quitteraient le Parlement si le critère du prix le plus bas était retenu.

« Je ne peux pas vous dire si ça sera un exode en grand nombre, mais il y aura certainement beaucoup d’interprètes qui vont partir. J’en suis persuadée », se désole Nicole Gagnon.

« En janvier là, quand le Parlement va reprendre, le Parlement aura des choix difficiles à faire et cela aura une incidence sur le public canadien dans la mesure où leur accès aux délibérations parlementaires va être brimé et donc, ça va aller à l’encontre de la constitution canadienne, c’est-à-dire le bilinguisme », juge-t-elle.

La porte-parole de l’organisme national affirme qu’il y aura prochainement une rencontre avec les interprètes pour les informer des nouvelles règles proposées par Ottawa. Mais elle rappelle qu’il ne s’agit pas d’une négociation et que la décision revient aux interprètes d’accepter ou de rejeter, prévenant que ceux-ci pourraient se tourner vers le privé.

Pas question de déroger au bilinguisme, assure les libéraux

Devant les députés du Comité permanent des langues officielles, le Bureau de la traduction avait rejeté du revers de la main l’argument que la qualité de l’interprétation se verrait réduite.

« Dire que c’est uniquement les soumissionnaires à bas prix, vous me permettrez de dire que je ne suis pas tout à fait en accord, avait réfuté son président-directeur général, Jean-François Lymburner lors d’une comparution le 7 octobre dernier. On a besoin d’avoir des interprètes qui ont été certifiés par le Bureau de la traduction. Pour nous, c’est un gage de qualité certain. Tous les soumissionnaires ne seront pas accrédités. »

« Mais ça, c’est le minimum qui est acceptable pour pouvoir travailler pour le gouvernement, contre-argumente Mme Gagnon. C’est un peu comme un pilote qui vient de recevoir son brevet, on ne le mettrait pas aux commandes d’un Boeing 747 », image-t-elle.

Cette dernière s’explique mal la démarche qu’entreprend SPAC outre le fait qu’il s’agit d’un moyen d’économiser, elle qui cite les coupes de 15 % demandées aux ministères et agences fédérales par le ministre des Finances François-Philippe Champagne.

Le ministre responsable de SPAC, Joël Lightbound n’était pas disponible pour commenter la situation. Son bureau nous a envoyé une déclaration indiquant que « le respect du bilinguisme au Parlement est une priorité absolue pour notre gouvernement, et il n’est pas question d’y déroger ».

Questionnés à ce sujet ce matin avant une réunion du caucus, les libéraux sont restés évasifs.

« Il n’y aura jamais une baisse de régime pour notre part quant à l’usage des langues officielles dans les instances du Parlement du Canada », a soutenu le ministre et Leader en chambre du gouvernement Steven MacKinnon.

« Il faut que l’on continue à s’assurer d’avoir de l’interprétation. Il faudrait que je regarde la question de plus près, mais je pense que des solutions, il y en a toujours eu et on va en trouver », a commenté la députée Mona Fortier de Ottawa—Vanier—Gloucester.