Ottawa devrait-il « séparer » la minorité francophone des Anglo-Québécois?
Avec la Loi sur les langues officielles en plein processus de refonte, est-ce qu’il serait temps pour le gouvernement Trudeau de séparer les minorités francophones du pays des Anglo-Québécois? C’est ce que suggère notamment le gouvernement du Québec, le Bloc Québécois, des experts et en partie les autres partis de l’opposition, qui trouvent injuste de mettre ces deux groupes linguistiques sous un même pied d’égalité.
La semaine précédente, le gouvernement du Québec a fait part d’amendements qu’il jugeait nécessaires au projet de loi libéral. Dans ce document, la ministre québécoise Sonia Lebel propose de « tenir compte de la situation linguistique particulière et unique du Québec », tout en tenant compte des « réalités particulières et propres aux communautés francophones et acadiennes et celles propres à la communauté québécoise d’expression anglaise ».
« Nous reconnaissons que le français est la seule langue minoritaire au Canada » – Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles
La ministre des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne propose notamment de retirer la mention de promotion de l’anglais à une partie de la Loi pour faire mention seulement de la promotion du français et des minorités. « Puisque des deux langues officielles, c’est le français qui, en raison de sa situation minoritaire, doit être promu », écrit-on dans le document qu’a obtenu ONFR+.
Dans l’actuelle loi du gouvernement Trudeau, la mention « minorités francophones et anglophones » est répétée à près d’une dizaine de reprises. Pourtant, ces deux groupes minoritaires sont réunis alors qu’ils ont des défis complètement différents, selon les experts.
« Les anglophones au Québec sont clairement bien protégés, ils ont plusieurs institutions : des hôpitaux et plusieurs universités. On le voit par les chiffres que le nombre d’allophones et de parlants anglais augmentent. Ce n’est pas là que le bât blesse », note Martin Meunier, professeur et titulaire de la Chaire de recherche Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles à l’Université d’Ottawa.
Et de poursuivre : « Quand on regarde la situation des francophones hors Québec, elle n’est pas réjouissante. Le nombre de locuteurs reste pareil, mais la proportion des francophones par rapport aux anglophones diminue. Je pense que c’est là qu’il y a quelque chose à distinguer. »
Reconnaître l’inégalité avec les anglo-québécois
La refonte de cette loi présentée par Mélanie Joly en juin 2021 est morte au feuilleton avec le déclenchement des élections. Cette mouture reconnaissait un principe d’asymétrie, soit le fait qu’il fallait faire plus d’effort pour protéger le français. L’actuel projet de loi retire ce principe d’asymétrie, un gain pour les anglophones du Québec qui avaient milité contre.
Mais la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor rappelle un des principes clés de son projet de loi : « Nous reconnaissons que le français est la seule langue minoritaire au Canada », dit-elle, évoquant avoir un objectif commun avec le Québec, soit de mettre fin au déclin de la langue de Molière.
Pourquoi ne pas alors inscrire la distinction entre les deux groupes linguistiques dans la Loi, ce qui n’est pas le cas actuellement? « Je comprends exactement que la situation n’est pas la même (entre les francophones hors Québec et anglophones du Québec). Mais comme ministre des Langues officielles, c’est quand même mon rôle de s’assurer qu’on va tout faire pour protéger nos communautés en situation minoritaires », tempère-t-elle.
Mais la proposition du gouvernement Legault fait du bon sens, croit le chercheur Martin Meunier. « Ce n’est pas une mauvaise idée de distinguer l’accent mis sur une langue par rapport à une autre dans un contexte sociodémographique qui est très peu similaire », commente-t-il.
C’est aussi l’avis du chercheur Mario Polèse de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). Ce dernier a réalisé une étude d’une quarantaine de pages sur C-13. Il écrit qu’il faut préconiser « l’inégalité des minorités francophones et anglophones du pays » et « ne plus traiter la minorité anglophone comme un groupe monolithique ». Il propose aussi d’ajouter l’adjectif « sociologique » à « minorité » pour parler de réelle égalité.
« Il est temps d’en finir avec une fausse égalité qui oppose inutilement les francophones du Québec et du reste du pays », écrit-il.
L’opposition assez d’accord avec Québec
Le Bloc Québécois demande à ce que la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas au Québec, réclamant plutôt que la Charte de la langue française (Loi 96) ait préséance.
« Ça prend une approche différenciée… Tous les spécialistes au monde s’entendent pour dire que les seuls modèles vraiment efficaces pour protéger les langues minoritaires sont ceux basés sur les droits territoriaux et collectifs. Le modèle du fédéral est en opposition avec la Charte de la langue française. Il vise à donner le choix aux individus d’utiliser une langue ou l’autre », dénonce son député Mario Beaulieu.
Le Parti conservateur n’est pas prêt à aller aussi loin que son confrère québécois concernant la Loi sur les langues officielles, mais admet que le statu quo n’est pas assez bon.
« On pourrait exclure le Québec de cette équation-là. Il doit y avoir une asymétrie concernant le Québec. C’est une province francophone dans un monde anglophone en Amérique du Nord… La réalité du Québec est totalement différente. La minorité anglophone au Québec est très bien traitée alors que les minorités francophones sont très mal traitées », estime son porte-parole en Langues officielles Joël Godin.
Le NPD dit toujours être en train d’évaluer les propositions de Mme Lebel et de Québec, mais admet cette inégalité entre les deux groupes.
« Je pense qu’il y a quelques parallèles, mais c’est clair qu’ils sont dans des situations différentes. De notre part, notre priorité demeure de travailler avec les communautés francophones et de défendre le français au Québec en reconnaissait qu’il est en déclin au Québec et au Canada », priorise Niki Ashton.
Le projet de Loi C-13 ne sera pas adopté avant l’automne, a dit Ottawa mardi, repoussant encore une fois une promesse de 2015.