PAFO : la course au million de dollars est ouverte
TORONTO – Reconduit par le gouvernement, après un an de mise en sommeil, le Programme d’appui à la francophonie ontarienne (PAFO) s’ouvre désormais aux entreprises, en compétition directe avec des organismes à but non lucratif. Ce bassin de candidats élargi et hétéroclite se disputera un montant identique à celui du fonds initial : un million de dollars.
Le programme de subvention sur trois ans, lancé en 2017 sous le gouvernement Wynne, avait permis à 57 associations franco-ontariennes de réaliser des projets communautaires et culturels dans des domaines aussi divers que l’art, la santé, l’éducation, la jeunesse et l’événementiel.
Attendue depuis septembre dernier, promise par le gouvernement Ford, sa reconduction a finalement été officialisée la semaine dernière par le ministère des Affaires francophones. Objectif affiché : améliorer la vitalité culturelle et commerciale de la population franco-ontarienne en favorisant son développement communautaire et économique.
Les postulants doivent déposer un plan de développement d’activité convaincant avant le 19 août et s’engager à concrétiser leur projet entre novembre et avril prochains. Grande nouveauté : les entreprises francophones de plus de trois salariés peuvent déposer une demande de financement de 25 000 $ à 50 000 $ à condition de justifier des recettes brutes annuelles situées entre 100 000 $ et 750 000 $, avoir au moins trois salariés et deux ans d’existence.
Les créateurs d’entreprise sur leur faim
Ces critères excluent de facto les auto-entrepreneurs et les entreprises naissantes, celles qui en ont le plus besoin, selon Hermine Mbondo, fondatrice de B4brand, une toute jeune agence de branding et marketing bilingue basée à Toronto.
« C’est une bonne chose d’aider les entreprises, mais il faut que cela corresponde à la réalité des entrepreneurs. Quand on démarre, on a besoin d’un petit coup de pouce à un moment décisif, un moment où l’argent peut tout débloquer et rendre le commerce profitable, monter exponentiellement avec le nombre de clients. »
Un point de vue partagé par Manon Tournayre. « On devrait encourager les petits business, ce n’est pas facile de se lancer et d’obtenir un prêt », dit cette gérante du Conciliabule, un café qu’elle a créé à Toronto en s’auto-finançant et qui a ouvert il y a trois mois.
« Il paraîtrait juste de reconnaître aussi les efforts de l’artisanat, supporter les personnes qui font tout à la main, qui travaillent avec des produits locaux de saison, mieux récompenser la qualité des produits francophones et leur apport dans le développement économique de la ville. »
L’orientation pro-business du programme plaît à la Société économique de l’Ontario (SEO), ainsi qu’au Conseil de la coopération de l’Ontario de l’Ontario (CCO), deux acteurs clés du développement économique provincial.
« La francophonie ontarienne a une contribution économique essentielle qui mérite non seulement d’être soulignée, mais aussi développée davantage », estime le directeur général du CCO Julien Geremie, pour qui « la nouvelle mouture du programme permettra cela, même si c’est à petite échelle ».
« On regrette toutefois que les entreprises sociales sans but lucratif ne soient pas admissibles au programme économique. Ces entreprises composent un segment important de l’activité économique dans les communautés francophones. »
Du côté de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), on salue la reconduction du dispositif qui répond, selon son président Carol Jolin à un besoin « flagrant » de la communauté. « L’argent investi jusqu’ici dans ces projets a permis un accroissement de la programmation de l’ordre de 20 %. »
« C’est une bonne chose d’ajouter un volet économique, car beaucoup de francophones ont la fibre entrepreneuriale. Il faudra s’assurer que des ajustements puissent être apportés si nécessaires et que le programme se poursuive au-delà d’un an. »
Un an et après?
Le PAFO 2019-2020 est en effet un programme d’un an contrairement à l’ancienne version qui s’étalait sur trois ans. Un timing qui ne garantit rien pour les années suivantes.
« À l’avenir, le programme continuera d’être administré sur une base annuelle », assure pourtant le ministère des Affaires francophones, nuançant toutefois « qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur ses futures éditions ».
Aider l’entrepreneuriat est une belle idée, convient l’ancienne ministre des Affaires francophones Marie-France Lalonde, soulagée de la reconduction du dispositif dans un contexte de « coupures drastiques dans tous les secteurs, y compris francophones ». Ce qui inquiète l’initiatrice du programme en 2017, en revanche, est d’avoir attendu un an avant de relancer le PAFO et de voir « la part du gâteau s’effriter pour les organismes culturels ». « Beaucoup de candidats vont être déçus », pense Mme Lalonde.
A l’époque, la demande était telle dans le seul domaine communautaire et culturel que son ministère avait reçu des demandes pour un total de huit millions de dollars de projets.
L’élargissement fait aussi craindre une compétition entre des organisations sans but lucratif et des gens d’affaires qui doit amener le jury à accorder, selon elle, « une attention particulière » aux candidats disposant de ressources moins importantes. « Il faut être flexible avec les demandes de petit montant, mieux soutenir les petits projets »
« À la suite des tables rondes auprès d’entrepreneurs francophones l’automne dernier, nous avons eu la chance de bien identifier les besoins des entreprises désirant mieux servir les francophones », réplique-t-on au ministère qui ajoute avoir consulté le ministère du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce pour bien définir les paramètres du programme.
« Le volet développement économique s’adresse à des petites entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est de moins de 750 000 $ et qui souhaitent renforcer leur présence auprès des marchés francophones de l’Ontario », soulignent les services de Mme Mulroney. « Par exemple, on peut envisager que des petites entreprises œuvrant dans certains secteurs clé, tels le tourisme, la restauration ou l’hôtellerie, voudront profiter de ce programme pour former ou encadrer leur main d’œuvre bilingue ou envisager des stratégies de communication pour rejoindre des clientèles francophones. »
Un pas vers la connexion entre culture et entreprises
Joël Beddows et son équipe sont en train d’étudier les possibilités d’appliquer à ce fonds. Le directeur artistique du Théâtre français de Toronto voit là l’occasion de mettre en action un projet ponctuel structurant, tout comme il l’a fait par le passé. Le précédent projet toujours en cours de réalisation vise à mettre les arts à la portée de 10 000 jeunes francophones grâce à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un nouveau programme d’apprentissage, par l’intermédiaire des outils numériques.
« Ce projet a été rendu possible grâce au PAFO et les résultats sont déjà palpables si on se fie au record d’assistance. Le théâtre francophone n’a jamais été vu par autant de gens, ni mieux compris et apprécier. On est en réflexion. On veut y aller avec nos besoins les plus essentiels », ajoute-t-il.
Le metteur en scène apprécie l’ajout d’un volet commercial qu’il ne ressent pas comme une compétition mais comme une ouverture.
« Cela fait longtemps que nous collaborons de près avec les entreprises. Il y a une connexion fructueuse entre le monde de la culture et celui des entreprises. Cela ne pose aucun problème si le jury chargé de l’évaluation est composé de spécialistes dans leur domaine, qui distribuent les aides dans la rigueur et la clarté et ne mélangent pas les oranges et pommes. »