Plafonnement des salaires à 1% : tollé dans la fonction publique

La loi adoptée hier à Queen’s Park touche un million de fonctionnaires en Ontario. Archives ONFR+

TORONTO – Une loi adoptée hier à l’Assemblée législative de l’Ontario provoque des remous dans les rangs des fonctionnaires franco-ontariens des écoles, des universités et des hôpitaux. Durant les trois prochaines années, leurs salaires n’augmenteront pas au-delà de 1% par an.

« Quand le premier ministre se lève en chambre pour dire que l’économie se porte mille fois mieux que sous l’ancien gouvernement et qu’on a réussi à réduire le déficit de moitié, je ne pense pas que le reste des économies doit se faire sur le dos des travailleurs du secteur public », lâche Rémi Sabourin.

Le président de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) est abasourdi. L’adoption de la Loi de 2019 visant la viabilité du secteur public pour les générations futures tombe, selon lui, au plus mauvais moment pour les enseignants dont la convention collective est en cours de négociation avec le gouvernement.

Cette loi grave dans le marbre provincial la limitation à 1% de l’augmentation des salaires des employés, qu’ils soient syndiqués ou non, pour les trois années à venir.

Contre-attaque judiciaire des enseignants

Si le syndicat franco-ontarien espérait arracher une augmentation proche de celle de l’inflation, il ne se faisait guère d’illusion sur les intentions du gouvernement. Le projet de loi déposé en juin, avant même que ne débutent les discussions, était vécu par la profession comme une épée de Damoclès.

Rémi Sabourin, président de l’AEFO. Gracieuseté

« Si l’économie va mieux, pourquoi ne pas laisser les syndicats négocier de bonne foi, en mettant tout sur la table, sans avoir les mains liées? » questionne M. Sabourin, précisant que la progression de la rémunération des enseignants du secteur public a été, ces dernières années, inférieure de moitié à celle de leurs confrères du secteur privé. « Ça vient interférer avec notre droit à négocier librement. »

L’AEFO et trois autres syndicats d’enseignants ont déclaré, par voie de communiqué, vouloir porter l’affaire devant les tribunaux, dénonçant une loi qui bafoue leurs droits en imposant des « mesures d’austérité injustes. » « Nous allons regarder les différents mécanismes qui sont à notre disposition pour contrer cette loi », confirme M. Sabourin, dont le syndicat reste toutefois à la table des négociations.

« Un impact dévastateur » dans les universités

Professeur agrégé de mathématiques et président de l’Association des professeurs de l’Université Laurentienne (APUL) à Sudbury, Fabrice Colin ne cache pas son « désappointement et un sentiment d’injustice devant une attaque pareille au droit de négocier librement une convention collective. »

Tout comme celles des enseignants dans les écoles, les conventions collectives dans les universités arrivent à échéance. Elles seront, suivant les institutions, négociées cette année ou au cours des trois prochaines années, mais sans le gouvernement. Elles se déroulent seulement entre syndicats et employeurs, c’est-à-dire le conseils des gouverneurs de chaque université.

Fabrice Colin, président de l’APUL. Gracieuseté

M. Colin déplore d’autant plus cette initiative que la situation était déjà alarmante. « Les augmentations obtenues ces dernières années correspondaient à peine à l’inflation. »

« Au niveau éthique, cela aura aussi un impact dévastateur sur les professeurs issus de groupes à la recherche de plus d’équité salariale comme les collègues femmes, autochtones, handicapés et contractuels. Cela va aggraver le problème de la précarité d’emploi que connaissent beaucoup de nos collègues et, en bout de ligne, pénaliser la population étudiante. »

Un personnel hospitalier à bout de force

La colère est aussi palpable dans le milieu hospitalier dont les effectifs sont déjà à fleur de peau. Alors que le gouvernement s’est engagé dans une vaste réforme pour éliminer la médecine de couloir et améliorer les soins aux patients, c’est l’incompréhension générale.

« Le gouvernement veut répondre à des défis en santé très importants mais on fait des coupures depuis des années », regrette Laurin Levesque, vice-président francophone du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (CSHO) et président de la section locale 4721 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), à Ottawa.

« Couper dans le budget force les hôpitaux à revoir leur stratégie et leur structure », argumente-t-il. « En bout de ligne, on coupe des temps pleins ou on ne comble pas les postes vacants. 150 postes ont été abolis depuis 2015. »

« Il faut regarder la situation en face : les hôpitaux dépensent des millions de dollars en heures supplémentaires. » – Laurin Levesque

Les technologies se substituent aux personnels dans plusieurs secteurs mais, selon M. Levesque, ce système a ses limites. « Ça prend un humain pour faire le travail, surtout quand la population vieillit. On se retrouve avec de plus en plus de malades qui patientent parfois dans les locaux ménagers, et des infirmières débordées qui partent en maladie. On les harcèle à la maison pour qu’elles reviennent travailler. »

Même la logique financière lui échappe : « Il faut regarder la situation en face : les hôpitaux dépensent des millions de dollars en heures supplémentaires. Le gouvernement est en contradiction avec sa volonté de désengorger les hôpitaux et de faire des économies. »

« Un marteau très fort » juge l’opposition

L’objectif du gouvernement est de réduire le déficit de la province. La rémunération dans le secteur public représente environ la moitié de ses dépenses, soit plus de 72 milliards de dollars par année.

Le gouvernement affirme cependant que la Loi n’entravera pas les négociations collectives en cours, ni n’aura aucune incidence sur les conventions actuelles.

« Elle n’impose pas de gel ou de baisse des salaires ni de perte d’emploi dans le secteur public », affirme le Conseil du Trésor. « Les employés peuvent encore négocier leurs conditions d’emploi, notamment leur rémunération. »

Gilles Bisson, leader parlementaire de l’opposition officielle à Queen’s Park. Archives ONFR+

Un argument que met en doute l’opposition. « Le gouvernement utilise un marteau très fort » alors que « les négociations collectives auraient pu aboutir à un résultat », regrette pour sa part le leader parlementaire de l’opposition officielle à Queen’s Park, Gilles Bisson.

« Toute cette affaire est non constitutionnelle et va être portée en cour », note le député néo-démocrate de Timmins. « On va perdre de l’argent dans les cours avec quelque chose qu’on aurait pu faire à l’étape des négociations. »

M. Bisson s’inquiète aussi pour le domaine de la santé. « On gèle les salaires et les budgets autour de 1,5 % et on crée des listes d’attente, faute de lits disponibles. Chaque année, on fait un recul. »