Plaidoyer pour une Constitution canadienne enfin bilingue

Le parlement du Canada. Crédit photo: Benjamin Vachet

OTTAWA – L’Association du Barreau canadien (ABC) veut profiter de la modernisation de la Loi sur les langues officielles pour faire enfin aboutir un dossier vieux de près de 30 ans : le bilinguisme de la Constitution du Canada.

« Plusieurs Canadiennes et Canadiens seraient étonnés d’apprendre que la majorité des textes constitutionnels du Canada ne sont pas officiellement bilingues, incluant la Loi constitutionnelle de 1867 », explique l’organisme national qui regroupe plus de 36 000 juristes, avocats, notaires et professeurs de droit, à travers le Canada, dans un mémoire remis, ce lundi, au comité sénatorial permanent des Langues officielles.

Selon l’ABC, 71 % des textes constitutionnels n’ont toujours pas de version française officielle.

« La contradiction est frappante, alors que le Canada garantit l’égalité de statut du français et de l’anglais et stipule que les lois du Parlement doivent être promulguées dans les deux langues officielles », estime l’organisme.

Raison pour laquelle le président du comité de direction de la section des juristes d’expression française de common law de l’ABC, Mark Power, a plaidé devant les sénateurs pour modifier la Loi sur les langues officielles afin de remédier à cette incongruité.

« Notre demande est modeste. On demande à la ministre de la Justice de travailler sur le dossier. C’est le temps d’agir, car le dossier a été perdu de vue. »

Si les modifications proposées voient le jour, la Loi sur les langues officielles obligera la ministre de la Justice à déployer les meilleurs efforts pour rédiger et adopter une version officielle française de la Constitution du Canada. Elle devra également remettre un rapport tous les cinq ans pour faire le point sur les avancées réalisées dans le domaine.

Travail inachevé

Une telle traduction est prévue de longue date. Elle fait même partie de la Loi constitutionnelle de 1982, dans laquelle était demandé au ministre de la Justice de « rédiger, dans les meilleurs délais, la version française » de la Constitution.

L’avocat Mark Power. Archives #ONfr

« La traduction existe depuis 1990, faite par des experts dans le domaine. Ce qu’on demande, c’est qu’on passe à l’action et qu’on l’adopte », précise M. Power.

Selon l’avocat, le contexte politique de l’époque et les relations tendues entre Ottawa et Québec pourraient expliquer que le dossier ne soit finalement jamais allé plus loin que le bureau de la ministre de la Justice de l’époque, Kim Campbell.

« Mais le contexte a changé! Quelqu’un doit prendre l’initiative et communiquer avec les provinces pour régler ce dossier une fois pour toutes. »

Obstacle à l’accès à la justice

L’absence d’une constitution bilingue a un impact sur le terrain de la justice, assure M. Power.

« Il existe deux langues officielles au Canada et le système juridique canadien fédéral est censé pouvoir fonctionner aussi bien en français qu’en anglais, et est censé rendre à l’aise les justiciables de choisir l’une ou l’autre des deux langues officielles sans conséquence. Ce n’est pas le cas! D’abord, le symbolisme est puissant. Comment prétendre que le Canada possède un système de justice bilingue et avoir plus de 70 % de ses textes fondateurs uniquement en anglais », interroge l’avocat. Et de poursuivre : « L’unilinguisme de la Constitution frustre également le travail des juges. Je l’ai vécu dans l’affaire Caron. Il existe une série de jugements dans lesquels les juges commentent cette difficulté. Cela limite aussi les arguments des juristes. Et puis, cela gêne aussi le travail des députés, notamment québécois, qui ne peuvent pas faire leur travail correctement quand la majorité de la Constitution n’est disponible qu’en anglais. »

Pas une première demande

Ce n’est pas la première fois que cette demande ressurgit. En 1999, une plainte avait été déposée auprès de la Commissaire aux langues officielles de l’époque, Dyane Adam, par le militant souverainiste, Gilles Rhéaume. Celle-ci avait finalement été déclarée « non fondée » par le commissariat.

En novembre 2015, un colloque à l’Université d’Ottawa avait de nouveau soulevé cette question, espérant profiter de l’occasion offerte par le 150e anniversaire de la Confédération canadienne en 2017 pour faire adopter une Constitution canadienne bilingue, sans succès auprès du gouvernement de Justin Trudeau.

L’ABC a donc décidé de prendre le dossier en main en adoptant, en février dernier, une de ses rares résolutions « pour enfin mettre fin à l’impasse sur cette question ».